Vers les élections législatives de septembre 2021⚓
MAI 2021
Les Verts allemands entendent rompre avec la diplomatie d'Angela Merkel
Article publié par Thomas Wieder dans Le Monde, jeudi 13 mai 2021.
La chef de file des écologistes, Annalena Baerbock, qui a de vraies chances de succéder à Angela Merkel, a l'intention de redéfinir le rôle de l'Allemagne sur la scène internationale en cas de victoire.
Ce n'est pas forcément sur ce terrain qu'on l'attendait en premier. Depuis sa désignation comme candidate des Verts à la chancellerie, le 19 avril, Annalena Baerbock multiplie les interventions sur les questions de politique étrangère et de défense : longue interview à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 24 avril ; prise de parole devant l'Académie fédérale des hautes études de sécurité, le 3 mai, à Berlin ; entretien avec le célèbre journaliste américain Fareed Zakaria, lors d'un forum organisé par l'Atlantic Council, le 6 mai.
Le fait que ces sujets occupent une place si importante dans le début de campagne de la candidate des Verts est significatif. Il faut sans doute y voir de sa part la volonté de répondre à ses adversaires, qui ne cessent de répéter que son âge – elle a 40 ans – et son CV – elle n'est que députée et n'a jamais été ministre – en font une prétendante à la chancellerie trop peu capée pour négocier d'égal à égal avec un Vladimir Poutine ou un Xi Jinping.
Il n'empêche. Si ses idées en matière de politique étrangère suscitent une telle curiosité, c'est précisément parce qu'Annalena Baerbock a de vraies chances de succéder à Angela Merkel après les élections législatives du 26 septembre. Et que s'ils entrent au gouvernement, les Verts ont bien l'intention de redéfinir le rôle de l'Allemagne sur la scène internationale.
C'est d'abord vis-à-vis de Moscou et de Pékin qu'ils entendent rompre avec la politique d'Angela Merkel, jugée trop conciliante. Voyant dans la Chine une « rivale systémique » de l'Europe, la chef de file des écologistes souhaite que l'Union européenne (UE) s'engage notamment à ne plus importer de « produits issus du travail forcé ». Une référence à la situation des Ouïgours, dont l'un des plus ardents défenseurs est l'écologiste allemand Reinhard Bütikofer, l'un des cinq eurodéputés récemment sanctionnés par Pékin pour leur soutien à la minorité musulmane du Xinjiang.
Les « contradictions » de Nord Stream 2
Sur la Russie, « il faut exercer davantage de pression » afin notamment de mieux protéger des pays comme l'Ukraine et la Biélorussie, estime Annalena Baerbock.
A la différence de ses deux principaux adversaires, le conservateur Armin Laschet (CDU) et le social-démocrate Olaf Scholz (SPD), la candidate des Verts souhaite également mettre un coup d'arrêt au projet de gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie à l'Allemagne via la Baltique et dont le chantier est achevé à 95 %. « Ce gazoduc est en contradiction avec nos sanctions, il ne peut donc pas fonctionner », assure-t-elle.
Par ses positions à l'égard de Moscou et de Pékin, Annalena Baerbock se trouve aujourd'hui plus en phase avec les Etats-Unis que ne l'est Angela Merkel, et que ne le serait sans doute le très russophile Armin Laschet, ce qui montre à quel point les lignes ont bougé depuis l'époque, pas si lointaine en Allemagne, où la CDU était le parti de l'atlantisme et où les Verts cultivaient volontiers un certain antiaméricanisme.
Très élogieuse à l'égard des engagements pris par le président américain Joe Biden contre le réchauffement climatique et en faveur de la justice sociale (« Nous partageons les mêmes idées de ce côté-ci de l'Atlantique »), Annalena Baerbock s'efforce de rassurer les Etats-Unis sur le fait qu'une Allemagne dirigée par les Verts restera un partenaire fiable.
Tout en critiquant l'objectif fixé par l'OTAN à ses membres de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense d'ici à 2024 (l'Allemagne en est aujourd'hui à environ 1,6 %), la candidate des Verts assure ainsi que l'Alliance atlantique est « un acteur indispensable de la sécurité européenne », et répète qu'elle n'est pas opposée à une augmentation du budget de la défense pour moderniser une Bundeswehr aux équipements souvent vétustes.
La « doctrine » Fischer
« Ce qui est intéressant dans le discours d'Annalena Baerbock, c'est qu'elle combine une fidélité aux idées traditionnelles des Verts – défense du multilatéralisme et du droit international, attachement aux valeurs – avec une vraie réflexion sur ce qu'est une politique de puissance, analyse Ulrich Speck, chercheur au bureau berlinois du German Marshall Fund. Elle pense en termes géopolitiques et elle est convaincue que l'Allemagne doit s'affirmer davantage dans la compétition mondiale, ce qui n'a pas toujours été une évidence pour les Verts. »
Née en 1980, l'année de la fondation des Verts, Annalena Baerbock a adhéré au parti en 2005, l'année de son master en droit international à la London School of Economics, celle aussi où les écologistes sont retournés dans l'opposition après sept ans au gouvernement sous la houlette du social-démocrate Gerhard Schröder.
En cela, elle appartient à une génération qui est entrée chez les Verts après leur aggiornamento historique de 1999, quand le ministre des affaires étrangères de l'époque, le Vert Joschka Fischer, a défendu l'intervention de l'OTAN au Kosovo, au risque de heurter les convictions pacifistes et antimilitaristes de nombre de ses camarades.
Si Annalena Baerbock a reçu la « doctrine » Fischer en héritage, cela ne veut pas dire pour autant que le parti a totalement clarifié ses positions en matière de politique étrangère et de sécurité. « Les Verts tiennent des discours très durs contre la Russie et la Chine, qu'ils accusent d'être des régimes autoritaires et agressifs. Mais en même temps, ils veulent en finir avec l'idée de dissuasion nucléaire, ce qui a quelque chose de contradictoire. On ne peut pas dire d'un côté qu'il faut davantage tenir tête à Poutine et, de l'autre, renoncer à ce qui est un instrument majeur du rapport de forces avec Moscou », estime Thorsten Benner, directeur du Global Public Policy Institute, à Berlin.
Les désaccords avec la CDU
Crédités de 25 % à 28 % des voix dans les dernières intentions de vote, légèrement devant la CDU-CSU (23 % à 25 %) et à bonne distance du SPD (14 % à 16 %), les Verts sont quasiment assurés de participer au prochain gouvernement. « Mais leur influence sur la politique étrangère ne sera pas la même selon la couleur de la coalition au pouvoir et les portefeuilles ministériels qu'ils obtiendront », rappelle Thorsten Benner.
Si les conservateurs arrivent en tête et gardent la chancellerie, les écologistes pourraient hériter du ministère des affaires étrangères, comme c'est généralement le cas du « partenaire junior » de la coalition au pouvoir. S'ils l'emportent, les Verts pourraient, en revanche, être tentés de former une majorité avec le SPD et le petit Parti libéral-démocrate (FDP), crédité d'environ 10 %.
Interrogé sur ces deux hypothèses, le député Omid Nouripour, porte-parole des Verts pour les questions de politique étrangère, assure que les points d'accord seraient plus faciles à trouver avec les sociaux-démocrates qu'avec les conservateurs. « Sauf sur la Russie, nous sommes bien plus proches du SPD que de la CDU-CSU », explique-t-il.
Avec les conservateurs, les négociations seraient sans doute plus âpres, notamment sur Nord Stream 2, la dissuasion nucléaire, les exportations d'armements et le budget de la défense au regard des objectifs de l'OTAN. Cela ne veut pas dire pour autant que les désaccords seraient insurmontables, au point d'empêcher la formation d'un gouvernement.
De ce point de vue, le précédent de 2017 est dans tous les esprits : à l'époque, Angela Merkel avait d'abord tenté de former une coalition avec les Verts et le FDP. Or, si celle-ci n'a finalement pas vu le jour, obligeant la chancelière à s'allier de nouveau avec le SPD, c'est parce que les libéraux ont claqué la porte, et non à cause des écologistes, qui espéraient récupérer les affaires étrangères. Quatre ans plus tard, tous les observateurs sont d'avis que ces derniers ne resteront pas une nouvelle fois aux portes du pouvoir, et que si la CDU-CSU leur propose de former une alliance, celle-ci se fera, même au prix de douloureux compromis.
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Deutschland Trend. Les Verts passent devant l'Union
Article publié par Ellen Ehni sur le site de l'ARD 6 mai 2021 18h00. Traduit de l'allemand par Google.
Après presque deux ans, les Verts sont à nouveau à la première place devant l'Union sur la question de dimanche. Selon ARD-DeutschlandTrend, ils bénéficient également des bons résultats de l'enquête de leur candidat à la chancelière.
C'est la première fois en près de deux ans que l'Union n'est pas à la première place dans la question dominicale de l'ARD-DeutschlandTrend - mais derrière les Verts. Si les élections générales avaient lieu dimanche, l'Union aurait actuellement 23%, soit quatre points de moins par rapport au mois précédent. Les Verts, en revanche, s'améliorent de quatre points à 26% et seraient la force la plus forte.
Le SPD perdait deux points par rapport au mois précédent et reviendrait à 14%. L'AfD s'améliore d'un point à 12 pour cent, le FDP de deux points à 11 pour cent. La gauche perd un point et arrive à 6%. Les électeurs libres passent à 3%, mais ne franchiraient pas la barre des 5%.
Baerbock devant Laschet et Scholz
Si les Allemands pouvaient décider directement du futur chancelier fédéral, une majorité relative de 28% voterait pour la candidate verte Annalena Baerbock. 21% votent chacun pour le candidat de l'Union Armin Laschet et le candidat du SPD Olaf Scholz. 30 pour cent ont répondu «ne sais pas» ou n'ont pas répondu.
Surtout parmi les partisans de son propre parti, Baerbock bénéficie d'un plus grand soutien que ses deux concurrents. Quatre partisans verts sur cinq (82%) ont opté pour Baerbock comme chancelier en cas d'élection directe. Scholz représente 63% des partisans du SPD. Un partisan de l'Union sur deux (51%) est en faveur de Laschet.
Avec leurs sondages élevés, les Verts bénéficient actuellement des bonnes valeurs de leur candidat, entre autres: 44% de tous les répondants ont classé Baerbock comme le plus sympathique parmi les trois candidats à la chancelière. Dans cette question, Scholz a obtenu 18 pour cent, Laschet 17 pour cent. Dans le même temps, une majorité relative de 32% considère que Baerbock est le plus crédible. Scholz vient à 22 pour cent, Laschet à 19 pour cent. Les Allemands, quant à eux, considèrent Scholz comme le leader le plus fort. 31% attribuent cet attribut au candidat SPD, 23% au candidat de l'Union Laschet et 20% au candidat vert Baerbock.
L'élection fédérale de 2021 sera une course particulièrement ouverte
Très important: comme toujours, l'actuelle DeutschlandTrend décrit un instantané et ne doit pas être interprétée trop hâtivement comme un indicateur des élections fédérales de septembre. Le SPD le sait trop bien: après la nomination de Martin Schulz en février 2017, il a lui-même connu une recrudescence des sondages. Dans la question des élections directes, 50 pour cent étaient en faveur de l'homme du SPD, seulement 34 pour cent pour l'actuelle Angela Merkel et dans la question de dimanche, le SPD s'est rapproché de l'Union sur un point. Lors des élections de septembre, cependant, l'Union a pris la tête de plus de 12 points de pourcentage - et Merkel est restée chancelière pendant quatre ans de plus.
La course est particulièrement ouverte cette année, car les trois candidats à la chancellerie ont un potentiel électoral presque identique: un Allemand sur deux dit actuellement à propos des Verts, de l'Union et du SPD qu'une élection pour ce parti serait en principe une option pour lui. Les Verts et le SPD sont les plus susceptibles de se disputer les électeurs potentiels, car 67% des électeurs Verts pourraient fondamentalement imaginer voter pour le SPD. Et 59% des électeurs du SPD pourraient imaginer voter pour les Verts. Parmi les partisans de l'Union, 44% pourraient imaginer voter pour le FDP, 43% pour les Verts et 39% pour le SPD.
Perte de compétence dans les partis au pouvoir
Lorsqu'ils examinent sept domaines politiques sélectionnés, les Allemands voient la majorité des compétences dans un seul des partis représentés au Bundestag. 58% sont les plus susceptibles de faire confiance aux Verts pour résoudre les tâches de politique environnementale et climatique.
Contrairement aux Verts, les deux partis au pouvoir n'ont pas de sujet comparable dans lequel ils se voient attribuer un niveau tout aussi élevé de compétences en résolution de problèmes. L'Union et le SPD obtiennent de moins bons résultats dans tous les domaines politiques étudiés qu'ils ne l'ont fait lors des élections fédérales de 2017.
Cela est particulièrement flagrant en ce qui concerne les problèmes fondamentaux des deux partis: aux élections fédérales de 2017, 57% pensaient très probablement que l'Union ferait progresser l'économie en Allemagne. Aujourd'hui, ce n'est que 37%. Dans le domaine de la politique des réfugiés et de l'immigration, la valeur de l'Union est passée de 38% en septembre 2017 à seulement 22% aujourd'hui. Et quand il s'agit de savoir qui peut bien conduire l'Allemagne à travers la crise Corona, la valeur a même diminué de moitié, passant de 60 à 30% depuis septembre 2020. Ici, une majorité relative de 32 pour cent ne fait actuellement confiance à aucune partie pour résoudre cette tâche - ou a répondu «ne sait pas».
Avec 30 pour cent, les personnes habilitées à voter sont toujours les plus susceptibles de faire confiance au SPD pour fournir des salaires adéquats. Pour l'élection fédérale de 2017, cependant, il était de 41%. Et: Aux élections de 2017, 38% étaient les plus susceptibles de voir une compétence en politique familiale avec le SPD. Il n'est plus que de 22% actuellement. Les Verts sont presque à égalité avec 21% aujourd'hui, l'Union à 19%.
De l'avis de ceux qui ont le droit de vote, la compétence n'est pas non plus clairement répartie en matière de numérisation: ici l'Union est à égalité avec le FDP (18% chacun), les Verts en ont 16%.
Lien vers l'article original : https://www.tagesschau.de/inland/deutschlandtrend/deutschlandtrend-2609.html
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SEPTEMBRE 2020
Le ministre allemand des Finances sur la sellette après deux scandales
Article publié par Tobias SCHWARZ dans Challenge avec AFP le 09.09.2020 à 11h55
Le ministre allemand des Finances Olaf Scholz lors de son audition par les députés, le 9 septembre 2020 à Berlin
Le ministre allemand des Finances Olaf Scholz, qui aspire à devenir chancelier, a été soumis mercredi à un flot de questions embarrassantes sur deux énormes scandales financiers qui ont récemment secoué son pays et risquent d'assombrir son bilan.
Celui qui ambitionne au nom du parti social-démocrate (SPD) de succéder au pouvoir fin 2021 à la conservatrice Angela Merkel a dû s'expliquer dans l'après-midi devant les députés allemands pendant plusieurs heures.
En cause notamment: la société de paiement en ligne Wirecard, ex-coqueluche de la Bourse de Francfort avant qu'elle ne s'effondre comme un château de cartes en juin après la révélation d'un trou de deux milliards d'euros dans ses comptes.
Mais il a aussi dû répondre devant la commission des finances du Bundestag d'un autre scandale retentissant, celui d'une évasion fiscale orchestrée par des investisseurs, dite Cum-ex, qui aurait coûté 5,5 milliards d'euros aux caisses de l'Etat selon les estimations officielles.
Le ministre a dû en particulier s'expliquer sur l'abandon d'une créance d'un million d'euros au profit d'une banque de Hambourg impliquée dans le scandale, la Warburg Bank, alors qu'il était maire de la ville, ainsi que sur ses liens avec le patron de cette institution, Christian Olearius.
Les quotidiens Sueddeutsche Zeitung et Die Welt ont ainsi révélé qu'il avait eu des contacts plus rapprochés qu'il n'avait admis jusqu'ici avec lui.
"Il ne doit pas y avoir d'intervention politique et il n'y en a pas eu à Hambourg non plus", a soutenu M. Scholz, 62 ans, devant les élus, avant de se déclarer persuadé que les différentes procédures au pénal en cours permettraient de "récupérer les milliards" dont les contribuables allemands ont été privés.
Selon l'agence allemande dpa, il aurait par ailleurs reconnu devant la commission des finances une deuxième rencontre en 2016 avec M. Olearius, tout en soulignant se baser sur son agenda de l'époque et ne pas se souvenir du contenu de l'entretien.
La porte-parole des Verts sur les questions financières, Lisa Paus, a demandé mercredi que M. Scholz rende publique sa correspondance avec Warburg Bank.
Son homologue du parti libéral FDP Florian Toncar, lui aussi dans l'opposition, a réclamé que le ministre dissipe par une enquête active "le soupçon intolérable que la Warburg Bank ait pu bénéficier d'un traitement préférentiel afin de conserver des fonds obtenus de manière criminelle".
Le secrétaire général du groupe parlementaire SPD, Carsten Schneider, a dénoncé en retour des manœuvres politiciennes pour "nuire au candidat du SPD à la chancellerie", sur le site d'information "t-online".
- Sondages en berne -
Alors que ce vieux routier de la politique allemande espérait capitaliser sur sa gestion de la crise économique provoquée par la pandémie de nouveau coronavirus, son implication dans les dossiers Cum-ex et Wirecard n'aide pas à le faire décoller dans les sondages: le SPD n'est crédité que de 16% des intentions de vote en moyenne contre 36% pour la CDU de Mme Merkel.
Il a annoncé vouloir réformer rapidement les règles d'audit des entreprises afin d'éviter une nouvelle affaire Wirecard.
Il veut aussi donner plus de pouvoirs et de moyens à la BaFin, l'autorité allemande des marchés financiers et de la régulation bancaire mise en cause pour son inaction.
Depuis cinq ans déjà, la presse se faisait l'écho de soupçons d'irrégularités dans le modèle économique de Wirecard.
Début 2019, le Financial Times avait même publié une enquête approfondie sur des soupçons de fraude en Asie. Ces informations, restées sans conséquences pour Wirecard, ont déclenché en revanche une enquête judiciaire visant les journalistes.
Or selon un rapport produit par son ministère, Olaf Scholz était au courant dès 2019 d'une enquête secrète de la BaFin visant Wirecard.
Les partis d'opposition se sont de leur côté mis d'accord pour demander jeudi la mise en place d'une commission d'enquête sur Wirecard.
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En Allemagne, l'incertaine succession d'Angela Merkel
Article publié par Detlef Puhl dans Boulevard Extérieur le 19 septembre 2020
L'Allemagne est désormais en campagne électorale. La succession de Mme Merkel, qui ne se représentera pas en septembre 2021, est ouverte. Mais les partis politiques sont tous dans une situation d'incertitude profonde. La CDU doit d'abord choisir son nouveau président avant de briguer la chancellerie. Mais son parti frère bavarois, la CSU, a son propre candidat. Le SPD devra dire s'il se prépare à gouverner, en cas de succès, avec les Verts, la Gauche ou les libéraux. Quant aux Verts, ils ne cachent pas leurs ambitions mais refusent d'indiquer avec qui ils sont prêts à faire alliance.
Kaléidoscope (Mariagat Włodek Głażewski/Wikimedia commons)
Cette année, la rentrée politique en Allemagne s'annonce compliquée, plus compliquée que d‘habitude. C'est la dernière rentrée avant les élections législatives de septembre 2021. Désormais, le pays est plus ou moins en campagne électorale. Quatre élections régionales au printemps 2021 (en mars, avril et juin) vont ajouter aux incertitudes. C'est aussi la dernière rentrée politique pour Angela Merkel, qui ne se représentera pas en 2021. Il y aura donc un changement de gouvernement l'an prochain, quoi qu'il arrive. Il est quasiment certain que ce sera aussi la dernière rentrée pour cette coalition de gouvernement, qui très probablement ne sera pas reconduite.
A côté de cela, rien n'est sûr. La CDU, parti de la chancelière, n'a toujours pas de président appelé à remplacer sa présidente démissionnaire, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), et à devenir probablement son candidat à la chancellerie. Le SPD a déjà désigné son candidat, l'actuel vice-chancelier Olaf Scholz, mais on ne sait pas avec qui il voudra former une coalition s'il en a vraiment la chance, ce qui est loin d'être sûr. Les Verts qui, dans les sondages, se trouvent constamment, et depuis longtemps, devant le SPD refusent toujours de se prononcer sur une alliance avec celui-ci. De toute façon, il leur faudrait un troisième partenaire pour arriver à la majorité. A deux, ils n'y arriveraient pas.
Tout est possible, tout semble permis
On s'amuse donc à deviner si le SPD et les Verts oseront l'aventure d'un gouvernement de la gauche, avec le parti „La Gauche“, dont la direction va changer fin octobre. Ou bien s'ils chercheront une alliance avec les libéraux du FDP dont le président vient de chasser sa secrétaire générale pour la remplacer par un ministre du gouvernement régional de Rhénanie-Palatinat où une telle alliance fonctionne bien. Ou bien encore si les Verts préfèreront, après tout, gouverner seuls avec la CDU/CSU – une autre forme de „grande coalition“ si les Verts arrivent en deuxième position. Tout est possible, tout semble permis. Sauf, bien sûr, une combinaison quelconque avec l'extrême droite de l'AfD.
En ce mois de septembre 2020, les partis politiques, tous les partis politiques, se trouvent dans une situation d'incertitude profonde. La gestion de la crise du coronavirus domine la scène politique depuis six mois. La CDU et la chancelière personnellement en ont profité dans les sondages ; les scores de la CDU/CSU sont montés de 27/28% au printemps à 37/38% aujourd'hui et le taux de satisfaction dont bénéficie la chancelière se situe actuellement à 72%. Les Allemands ne souhaitent-ils rien de mieux que de continuer avec Angela Merkel et l'équipe en place ? Peut-être. Mais c'est justement ce qu'il ne va pas se passer. Les dirigeants de la démocratie chrétienne en sont bien conscients. Ils savent que ces chiffres flatteurs ne vont pas rester.
À cette rentrée, ils se trouvent devant le défi de créer une dynamique nouvelle afin de garder, autant que possible, leur avance dans les sondages, sans savoir avec qui. Le parti de la chancelière sortante doit absolument se donner une nouvelle direction après l'échec d'AKK, qui a démissionné en février. Mais, à cause du corona, le congrès de la CDU ne se réunira qu'en décembre, à Stuttgart, dans un format réduit à un jour au lieu de trois et limité à l'élection de la direction sans discussion d'un programme ; et tout cela selon la situation sanitaire au moment du congrès.
Trois candidats à la présidence de la CDU
Deux ans seulement après l'élection d'AKK à la tête du parti, ils seront appelés cette fois à faire leur choix parmi trois hommes : Armin Laschet, le ministre-président de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie ; Friedrich Merz, l‘ancien président du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag de 2000-2002 ; et Norbert Röttgen, l'actuel président de la commission des affaires étrangères du Bundestag. Ce sera un choix difficile pour ce parti au pouvoir depuis 15 ans, dominé par Angela Merkel depuis 20 ans.
M. Merz, qui avait quitté la politique après avoir été chassé de la présidence du groupe parlementaire par Angela Merkel en 2002, est soutenu aujourd'hui par le courant conservateur, proche des milieux d'affaires. Il a été battu par AKK il y a deux ans et n'a pas cessé de critiquer la politique du gouvernement. Mais pendant la crise du corona, il s'est trouvé marginalisé. Tout comme M. Röttgen, ancien ministre de l'environnement, démis de ses fonctions par Angela Merkel en 2012, qui s'est fait une carrière parlementaire dans les affaires étrangères. M. Laschet, lui, fait partie des chefs de gouvernements régionaux qui ont géré et qui gèrent toujours la crise actuelle, gestion très appréciée selon les sondages. Et il vient de gagner les élections municipales dans son „Land“ le 13 septembre. Mais il n'apparaît pas comme un favori incontesté. Il est perçu comme trop proche de la chancelière à qui, avant la crise du corona —il faut se le rappeler— beaucoup de ses partisans avaient reproché d'avoir vidé la CDU de son âme. A la fin, ce seront les délégués qui compteront, non pas les sondages.
Une fois cette décision prise, il restera toujours à désigner le candidat à la chancellerie. Le président de la CDU nouvellement élu aura l'ambition de conduire son parti dans cette campagne électorale et de récupérer le fauteuil d'Angela Merkel à la chancellerie. Mais le parti frère bavarois, la CSU, aura son mot à dire. Et dans les sondages, c'est son président, qui est aussi le ministre-président de la Bavière, Markus Söder, qui émerge comme le favori pour devenir chancelier, loin devant M. Laschet. Voilà un autre défi pour le parti de la chancelière.
Quels partenaires pour le SPD ?
Le SPD, qui a déjà désigné son candidat, va-t-il mieux ? Loin de là. D'abord, le SPD, partenaire de ce gouvernement bien apprécié, n‘en profite que très peu dans les sondages. Il progresse seulement de 14/15% au printemps à 16/17% aujourd'hui. Ensuite, le SPD a désigné comme candidat à la chancellerie celui qu'il avait refusé à la tête du parti en décembre dernier. Il ne sera pas facile de faire campagne dans ces conditions. Olaf Scholz, le candidat, va devoir s'accorder avec les deux co-présidents du SPD qui avaient fait campagne contre lui et l'avaient battu. Aussi il n'aura aucune chance de réussir s'il ne peut pas offrir une perspective réelle d'obtenir une majorité. Or, avec 17%, peut-être 20%, ce sera difficile. Ou bien les Verts finiront plus forts que le SPD, et la question d'Olaf Scholz à la chancellerie ne se posera plus. Ou bien il devra négocier une coalition avec les Verts et „La Gauche“ ; ce sera extrêmement difficile. Ou bien encore il négocie une coalition avec les Verts et les libéraux ; ce sera très difficile de convaincre les Verts d'en faire partie. En tout cas, selon les sondages actuels, aucun de ces scénarios n'a de majorité. Tout ce qui reste pour le SPD, c'est l'espoir.
Les nouvelles ambitions des Verts
Les Verts, eux, semblent se trouver dans une position confortable. Une coalition avec la CDU/CSU ne fait plus peur à personne – et serait majoritaire. Mais Robert Habeck, un des co-présidents du parti, refuse de se prononcer sur un choix de coalition. Il refuse aussi de se prononcer pour une alliance avec le SPD, la fameuse „alliance rouge-verte“ de l'époque Schröder/Fischer (quand, selon le chancelier Schröder, le SPD était le „chef de cuisine“ et les Verts „le garçon“). Mais il n'hésite pas à dire qu'on n'entre pas en compétition pour arriver à la deuxième place. Clairement, les Verts expriment des ambitions que personne n'aurait imaginées il y a deux ans encore. Et à Berlin on se demande si les Verts y sont prêts – à gouverner, certainement, mais pour la chancellerie ? Si vraiment les Verts visent la première place, on a le droit d'attendre des clarifications, qui font encore défaut.
Même „La Gauche“ discute maintenant de savoir si, oui ou non, elle veut gouverner. Au niveau des „Länder“, ce parti successeur de l'ancien parti communiste de la RDA est toujours bien établi, surtout à l‘Est ; en Thuringe, il dirige le gouvernement. Mais au niveau national ? Une bonne partie de ses militants se trouve à l'aise dans l'opposition au système capitaliste. D'autres aspirent à prendre des responsabilités, dont les co-chefs du groupe parlementaire, Dietmar Bartsch et Amira Mohamed Ali. Il se trouve que les deux co-présidents du parti ne se représentent plus au prochain congrès fin octobre. Deux femmes, Janine Wissler (Hesse) et Susanne Hennig-Wellsow (Thuringe), se sont portées candidates, dont une, Janine Wissler, vient juste de quitter un courant trotskiste proche du parti. Pour rassurer le SPD ? Aujourd'hui, en tout cas, des leaders de „La Gauche“ réclament „une majorité de gauche“. Ils veulent arriver au pouvoir. Bien qu'il soit très peu probable qu'une telle majorité se forme, le débat est ouvert, sérieusement.
Les libéraux en danger, l'extrême-droite en baisse
Le FDP, dans l'opposition aussi, peine toujours à trouver son rôle. Certes, son président, Christian Lindner, l'a reconduit au Bundestag en 2017 après l'absence de la Chambre de ce parti libéral traditionnel entre 2013 et 2017. Angela Merkel lui avait même offert de faire partie de son gouvernement, avec les Verts. Mais après de longues négociations il avait refusé et depuis le FDP risque à nouveau de tomber en-dessous de la barre des 5%. Il n'est pas sûr qu'il réussira à sortir de l'impasse. En tout cas, il n'apportera pas beaucoup de voix.
Finalement, pour compléter ce tableau du monde politique à Berlin en ce moment, même l'extrême droite de l'AfD, premier groupe d'opposition au Bundestag depuis 2017, se trouve en crise d'orientation. Comme toute l'opposition, marginalisée depuis le début de la crise du corona, ses scores dans les sondages sont en baisse, même dans les „Länder“ de l'Est. La lutte interne pour le contrôle du parti commence à laisser des traces. Le comité directeur vient d'expulser du parti un des leaders du courant extrême, appelé „l'aile“, décision mal appréciée par les co-chefs du groupe parlementaire au Bundestag. C'est le conflit au sein de ce parti entre la droite conservatrice et bourgeoise d'une part et l'extrême droite xénophobe et fascisante de l'autre, qui resurgit. Pour l'instant, c'est match nul.
Cette rentrée politique vient d'ouvrir la voie vers „l'après Merkel“, définitivement. Jusqu'à la fin de l'année, la chancelière est encore cheffe d‘un gouvernement qui assume la présidence de l'Union européenne, une charge lourde car de gros dossiers se trouvent sur la table. „L'après“ va commencer immédiatement après. Et le scénario de cette étape nouvelle est encore vide.
https://www.boulevard-exterieur.com/En-Allemagne-l-incertaine-succession-d-Angela-Merkel.html
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L'inquiétante ascension de QAnon en Allemagne
Article publié par Jacques Hubert-Rodier dans Les Échos, samedi 26 septembre 2020 à 07:40
Dans une enquête, « Der Spiegel » se penche sur l'inquiétante montée du mouvement QAnon en Allemagne propageant une idéologie d'extrême droite pro-Trump et haineuse et qui a déjà des dizaines de milliers d'adeptes.
Le 29 août, à Berlin, devant la porte de Brandebourg, des adeptes des théories du complot et opposés au port du masque, brandissent des drapeaux du mouvement QAnon avec le slogan « rendre sa grandeur à l'Allemagne » dans une allusion à Donald Trump. (Picture-Alliance via AFP)
Sommes-nous revenus à une période d'obscurantisme ? Selon « Der Spiegel », l'étrange mouvement vouant un culte à Donald Trump, QAnon, utilisant la lettre Q pour un internaute anonyme, fait de plus en plus d'adeptes en Allemagne, « des dizaines de milliers de sympathisants », peut-être 150.000.
« Les adeptes des théories d'extrême droite du complot, écrit le journal, sont convaincus qu'un groupe de pédophiles satanistes enlève des petits garçons et filles pour utiliser leur sang dans la fabrication de drogues. »
Selon leur théorie fumeuse, le coronavirus a été développé dans un laboratoire chinois, probablement avec l'aide d'Obama, pour empêcher la réélection de Trump. Ce dernier, pour ces adeptes, est « un héros combattant l''Etat profond' et désireux de protéger le monde de forces démoniaques ». Ce qui rend ce mouvement particulièrement dangereux, c'est qu'il propage sur les réseaux sociaux des idées comme une prétendue conspiration des élites riches, particulièrement des hommes d'affaires juifs, pour dominer le monde ou encore de politiciens, de journalistes qui répandent une propagande favorable aux puissants. Le mouvement n'hésite pas à développer de vieilles horreurs antisémites.
En février, à Hanau (27 km de Francfort), le terroriste qui a assassiné 9 personnes dans un bar à chicha, puis sa mère, avant de se suicider, a fait des allusions à des théories similaires, selon lesquelles il y avait des bases américaines secrètes en Allemagne où des enfants étaient violés et assassinés.
Des adeptes de QAnon ont aussi pris part à l'assaut du Reichstag lors d'une manifestation anti-masque. Et, selon l'un de ses adeptes vivant en Allemagne du Sud, cité par le « Spiegel », « la troisième Guerre mondiale va éclater et ce sera la dernière ». Une ascension menaçante d'une idéologie au XXIe siècle.
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