Le séisme politique du 5 février 2020⚓
L'élection d'un ministre-président en Thuringe avec les voix de l'extrême droite
« Tremblement de terre politique » en Allemagne, où un président de région est élu avec les voix de l'extrême droite
Le candidat libéral-démocrate dirigera le Land de Thuringe avec l'aide de l'AfD, brisant un tabou politique dans le pays.
Le Monde avec AFP Publié le 05 février 2020 à 15h50 - Mis à jour le 06 février 2020 à 06h43 Temps de Lecture 3 min.
Pour la première fois depuis l'après-guerre en Allemagne, le président d'un Land, la Thuringe, a été élu, mercredi 5 février, grâce aux voix de l'extrême droite, faisant tomber un tabou politique dans le pays.
Le candidat du Parti libéral-démocrate (FDP), Thomas Kemmerich, a été élu à la surprise générale par l'assemblée régionale de cet Etat de l'est de l'Allemagne à une infime majorité. Il a bénéficié des voix de tous les élus du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), et de celles de la plupart des membres de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de la chancelière Angela Merkel. Il a devancé d'une voix le ministre-président sortant de Thuringe, Bodo Ramelow, membre du parti de gauche radicale Die Linke, qui était, lui, soutenu par les sociaux-démocrates et les Verts.
M. Ramelow comptait se faire réélire à la tête d'un gouvernement minoritaire de gauche, pensant que les partis de la droite traditionnelle n'accepteraient jamais de s'allier à l'extrême droite. Jusqu'ici les formations de droite et de centre droit en Allemagne, comme la CDU ou le FDP, ont en effet toujours refusé toute coopération ou alliance avec l'extrême droite.
« Une violation des valeurs fondamentales de notre pays »
Avec cette élection, la digue a de facto rompu : CDU et FDP se retrouvent alliés à l'extrême droite dans un Etat régional allemand. Cette rupture est qualifiée outre-Rhin de « tremblement de terre politique » par les médias et elle fait grand bruit dans le pays. Le président de Die Linke, Bernd Riexinger, a parlé d'un « tabou brisé » :
« Où en sommes-nous arrivés pour voir le FDP faire élire un des siens avec les voix des fascistes ? »
« Incroyable ! L'élection aujourd'hui de Thomas Kemmerich (...) avec les votes de l'AfD n'est pas un accident, mais une violation délibérée des valeurs fondamentales de notre pays », lui a fait écho la dirigeante écologiste Katrin Göring-Eckardt.
Même au sein du FDP, les avis sont partagés : si le vice-président du parti, Wolfgang Kubicki, a parlé d'un « grand succès », la députée Marie-Agnes Strack-Zimmermann a elle pris ses distances, parlant d'une issue « inacceptable et insupportable » pour tout démocrate. La CDU a elle appelé à de nouvelles élections en Thuringe.
Frange la plus radicale de l'AfD
Ce rapprochement entre la droite traditionnelle et AfD est survenu dans une région où le parti d'extrême droite est qui plus est dirigé par sa frange la plus radicale. Le leader de la formation en Thuringe, Björn Höcke, s'est notamment singularisé dans le passé en prônant la fin de la culture de repentance de l'Allemagne pour les crimes nazis, pourtant un des piliers de la politique allemande d'après-guerre.
M. Höcke s'est félicité du « nouveau départ politique en Thuringe », espérant qu'il s'agisse d'un signal qui sera « remarqué » dans tout le pays. Jörg Meuthen, un des dirigeants nationaux de l'AfD, a lui salué l'émergence d'un front commun de droite en Allemagne, soulignant le lien étroit existant à ses yeux entre la CDU, le FDP et son parti.
La surprise en Thuringe est aussi le résultat de récentes élections régionales sans vainqueur clair sur place et marquées par une poussée de l'AfD.
La CDU tiraillée
Cette affaire est en tout cas une illustration supplémentaire des remous provoqués en Allemagne par l'essor électoral, ces dernières années, de l'extrême droite, qui y a complètement rebattu les cartes du jeu politique.
Les conservateurs d'Angela Merkel sont ouvertement tiraillés sur la question d'un rapprochement avec l'extrême droite au plan régional, où des coalitions majoritaires entre partis traditionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Certains des membres de la CDU, notamment en Saxe, Land voisin de la Thuringe et où l'AfD est très populaire, ont récemment lancé le débat.
Jusqu'à présent, la direction de la CDU a toujours refusé ces alliances, notamment en Saxe. Arrivés en tête, les conservateurs ont finalement décidé de s'y allier avec les écologistes et les sociaux-démocrates au sein d'une coalition hétéroclite.
...
Merkel juge «inexcusable» l'alliance de la droite et l'extrême-droite
La chancelière allemande a réagi le 6 février, depuis l'Afrique du Sud, à la politique intérieure: elle a fermement condamné l'alliance scellée la veille en Thuringe, entre le parti de droite (CDU) et celui d'extrême droite (AfD), qui avait permis l'élection à la tête du Land du libéral du FDP Thomas Kemmerich d'une courte majorité.
...
Séisme politique.En Allemagne, le centre-droit prend le pouvoir en Thuringe “par la grâce de l'extrême droite”
Die Tageszeitung - Berlin. Publié le 06/02/2020 - 12:27. Article traduit dans Courrier international.
Au Parlement d'Erfurt, dans l'est du pays, les chrétiens-démocrates (CDU) et les libéraux (FDP) se sont alliés, le 5 février, à l'extrême droite pour faire barrage à la gauche et se hisser à la tête de l'exécutif régional. Une première depuis la fin du nazisme.
“Élu par les fascistes”, titre Die Tageszeitung ce jeudi 6 février. La veille, l'élection du député libéral Thomas Kemmerich (FDP) comme ministre-président du Land de Thuringe, dans l'est du pays, avec les voix des chrétiens-démocrates (CDU) et d'Alternative pour l'Allemagne (AfD), a déclenché un séisme politique dans tout le pays.
À la une : la “poignée de main de la honte” (comme titrent de nombreux journaux, y compris le tabloïd Bild) entre Kemmerich et le leader régional de l'AfD, Björn Höcke, qui est aussi le chef du “Flügel”, l'aile la plus radicale du parti d'extrême droite. L'accession au pouvoir, “par la grâce de l'extrême droite”, d'un élu de centre droit ultraminoritaire sur les bancs de l'Assemblée régionale, dans le but de “faire barrage à la gauche” qui gouvernait le Land depuis cinq ans et s'apprêtait à reconduire sa coalition (Linke, sociaux-démocrates du SPD et écologistes), est “une atteinte à la démocratie” sans précédent depuis l'après-guerre, dénonce le quotidien berlinois de gauche, à l'instar de la plupart des journaux.
Des manifestations ont eu lieu hier à Erfurt et dans toutes les grandes villes du pays. Suite à cette “rupture de digue” inédite, “irresponsable” et “impardonnable”, une rencontre au sommet des dirigeants de la coalition au pouvoir à Berlin (CDU-CSU et SPD) est prévue samedi 8 février pour envisager les suites à donner à cette “onde de choc” généralisée.
Source : Die TageszeitungBerlin www.taz.de
Allemagne : Angela Merkel renvoie un membre de son gouvernement favorable à une alliance avec l'extrême droite
Christian Hirte s'était ostensiblement félicité de l'élection d'un nouveau dirigeant grâce aux voix coalisées du parti démocrate-chrétien CDU de la chancelière allemande et de ceux du parti anti-migrants Alternative pour l'Allemagne (AfD).
Article publié par Franceinfo avec AFP le 08/02/2020.
Angela Merkel fait place nette. La chancelière allemande a congédié, samedi 8 février, un membre de son gouvernement après un scandale national provoqué par une alliance entre élus de la droite modérée et de l'extrême droite. Christian Hirte, secrétaire d'Etat du ministère de l'Economie et commissaire du gouvernement pour les territoires de l'est du pays, était depuis plusieurs jours sous le feu des critiques.
Il s'était ostensiblement félicité mercredi dans un message sur Twitter de l'élection d'un nouveau dirigeant pour l'Etat régional de Thuringe grâce aux voix coalisées du parti démocrate-chrétien CDU de la chancelière allemande et de ceux du parti anti-migrants Alternative pour l'Allemagne (AfD).
Un tabou politique brisé
Le partenaire social-démocrate des conservateurs d'Angela Merkel au gouvernement à Berlin avait réclamé la tête de Christian Hirte. La chancelière devait trancher dans le vif, sous peine de voir sa coalition, déjà très fragile, exploser.
Le vote de Thuringe a créé un séisme dans le pays car il a brisé un tabou politique de l'histoire allemande d'après-guerre : le refus de la droite modérée de toute alliance avec l'extrême droite.
Les élus de Thuringe se sont affranchis de cette consigne, un acte jugé "impardonnable" par Angela Merkel cette semaine. D'autant que la chancelière est la principale cible politique de l'AfD depuis des années, après sa décision de laisser entrer plus d'un million de demandeurs d'asile en Allemagne en 2015 et 2016.
...
Angela Merkel sauve son gouvernement, pas son parti
La chancelière a répondu samedi aux exigences des sociaux-démocrates qui menaçaient de quitter la coalition après l'élection en Thuringe mercredi d'un ministre président avec le soutien des voix de la CDU et de l'extrême droite. L'épisode fragilise néanmoins sa dauphine, à la tête d'un parti plus que jamais divisé.
Article publié par Ninon Renaud dans les Échos le 8 février 2020 à 19h52Mis à jour le 9 févr. 2020 à 14h54
De nouveau menacé de tomber, le gouvernement d'Angela Merkel a finalement survécu au scandale provoqué par l'élection d'un nouveau premier ministre en Thuringe avec les voix des démocrates-chrétiens (CDU) et de l'extrême droite réunies (AfD).
Face à la fureur des sociaux-démocrates (SPD) qui menaçaient de quitter la coalition, la chancelière a répondu à leurs exigences samedi en limogeant Christian Hirte, secrétaire d'Etat en charge des Länder d'ex-RDA qui avaient salué cette élection. Alors que la présidente de la CDU Annegret Kramp-Karrenbauer avait essuyé mercredi soir le refus des représentants de son parti en Thuringe, Angela Merkel a aussi soutenu l'organisation d'un nouveau scrutin régional.
« Pour des raisons de légitimité politique, indépendamment de l'élection d'un nouveau premier ministre, des élections anticipées sont nécessaires en Thuringe »
« Nous excluons la formation de gouvernements ou de majorités politiques avec les voix de l'AfD, cela reste la position des partis qui composent la coalition et ce à tous les niveaux », indique un communiqué commun publié à l'issue de la réunion de crise qui a réuni à Berlin les cadres du parti démocrate-chrétien, de son parti frère bavarois CSU et du SPD.
« Pour des raisons de légitimité politique, indépendamment de l'élection d'un nouveau premier ministre, des élections anticipées sont nécessaires en Thuringe », précise le communiqué.
Des élections inévitables...
Sous la pression de son parti, Thomas Kemmerich, le nouveau premier ministre libéral qui avait été élu mercredi, avait dès samedi matin annoncé sa démission « avec effet immédiat », ouvrant la voie à ce processus. Issu de l'extrême gauche (die Linke), son prédécesseur Bodow Ramelow avait fait savoir dès jeudi qu'il se tenait prêt à reprendre le flambeau.
Mais son parti et celui des Verts et du SPD ont prévenu qu'ils ne renouvelleraient l'expérience du vote de mercredi que s'ils obtenaient la garantie d'obtenir la majorité absolue pour Bodo Ramelow, ce qui s'entend, compte tenu du poids de l'AfD, avec le soutien express de la droite traditionnelle. Dans le cas contraire, de nouvelles élections régionales s'imposeraient. Prise au piège de son refus de principe de soutenir les partis extrêmes quels qu'ils soient, la CDU s'est donc résignée à l'option d'un nouveau scrutin.
...mais très risquées pour la CDU
Selon un sondage de l'institut Forsa, les conséquences pourraient être catastrophiques pour les démocrates-chrétiens. Ils perdraient ainsi près de 10 points à 12 % tandis que le FDP tomberait sous la barre des 5 % exigés pour siéger au parlement régional. Le plus grand gagnant serait die Linke qui grimperait de six points à 37 % et pourrait former une majorité avec le SPD (+0,8 point à 9 %) et les Verts (+1,8 point à 7 %), avec lesquels il ne peut pour l'heure qu'organiser un gouvernement minoritaire.
AKK, la dauphine chancelante
La dauphine d'Angela Merkel chargée d'une mission quasi impossible
Cette perspective explique sans doute le refus de la CDU locale d'organiser des élections. Mais en résistant à la volonté d'Annegret Kramp-Karrenbauer, celle-ci a relancé les conjectures sur la légitimité de la présidente de la CDU pour succéder à Angela Merkel. Dans un paysage politique de plus en plus polarisé, la présidente des démocrates-chrétiens est accusée par son aile droite de pencher trop à gauche, tandis que son aile sociale exige d'exclure les membres les plus à droite du parti, rassemblés au sein de la Werte Union et tentés par des alliances avec l'AfD.
Son rival, Friedrich Merz, vient opportunément d'annoncer son intention de démissionner de son poste au sein du conseil de surveillance du groupe d'investissement Blackrock à la fin du mois de mars. Sa priorité : participer au renouveau de la CDU...
Ninon Renaud (Correspondante à Berlin)
...
En Allemagne, l'extrême droite divise les chrétiens-démocrates
Angela Merkel préserve son gouvernement après le scandale provoqué par une alliance entre les élus chrétiens-démocrates et l'extrême droite en Thuringe. Les chrétiens-démocrates allemands restent divisés sur la question de la coopération avec le parti extrémiste Alternative pour l'Allemagne (AfD).
Article publié par François d'Alançon dans La Croix, le 09/02/2020 Lecture en 2 min.
Angela Merkel a éteint l'incendie mais les chrétiens-démocrates allemands ne sortent pas indemne de l'affaire. À peine rentrée d'un voyage en Afrique du sud et en Angola, la chancelière allemande a fait le ménage. Le scandale provoqué par une alliance en Thuringe, entre des élus de son parti, l'Union démocrate chrétienne (CDU), et l'extrême droite, menaçait de faire tomber son gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates.
Angela Merkel a limogé, samedi 8 février, un cadre de son propre parti, le secrétaire d'État à l'Économie et commissaire du gouvernement aux territoires de l'Est de l'Allemagne, Christian Hirte. Ce dernier s'était ostensiblement félicité, mercredi 5 février, de l'élection de Thomas Kemmerich, un élu du petit parti libéral FDP, à la tête du Land de Thuringe, grâce aux voix coalisées des élus CDU et de ceux du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). La chancelière a également obtenu la démission immédiate de Thomas Kemmerich. La veille, le chef de file des parlementaires CDU en Thuringe, Mike Möhring, a également annoncé qu'il quitterait ses fonctions au mois de mai.
Ces décisions répondent aux demandes des sociaux-démocrates (SPD) qui exigeaient une clarification pour pouvoir rester au gouvernement. Au cours d'une réunion, les plus hauts responsables du gouvernement fédéral, - représentants la CDU, la CSU bavaroise et le SPD -, se sont mis d'accord sur une courte déclaration réclamant la démission de Thomas Kemmerich, des nouvelles élections en Thuringe et leur opposition à toute coopération avec l'AfD.
Un revers pour la présidente de la CDU
Le « séisme politique » de Thuringe a donc été circonscrit mais la crise pourrait laisser des traces au sein de la CDU. L'alliance surprise avec l'extrême droite, contre les consignes données par la direction nationale du parti, a brisé un tabou politique majeur : le refus de toute coopération avec l'extrême droite par les partis traditionnels.
L'affaire a ranimé le souvenir des années 1930 et de l'arrivée au pouvoir du parti nazi, grâce à des alliances avec la droite conservatrice. L'autorité de la chancelière et, plus encore, de la présidente de la CDU, la ministre de la défense Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), en sort durablement affectée. Les chrétiens-démocrates allemands se divisent, avec une aile droite tentée par la coopération avec l'AfD.
Refus de nouvelles élections régionales
En dépit de cinq heures de tractations à Erfurt, capitale de la Thuringe, AKK n'a pas réussi à ramener complètement ses troupes dans le rang. Les élus locaux de la CDU refusent, pour le moment, d'accepter de nouvelles élections régionales, de peur de perdre des sièges en cas de nouveau scrutin. Certains d'entre eux seraient prêts à s'abstenir lors d'un nouveau vote du parlement régional pour faire élire, à la tête du gouvernement régional, Bodo Ramelow, le ministre-président sortant, membre du parti de gauche Die Linke. Les plus conservateurs s'opposent, eux, à une telle coopération avec le parti héritier du Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED), l'ex parti unique de la RDA.
Friedrich Merz, grand rival d'Annegret Kramp-Karrenbauer, pourrait profiter de cette situation pour préparer son retour. Partisan d'un coup de barre à droite, il vient de quitter son poste auprès du gestionnaire controversé d'actifs américain Blackrock afin « d'aider son parti à se renouveler » et envisage de se présenter aux législatives de 2021.
...
Extrême droite: ce jour où un tabou est tombé en Allemagne, et une brèche s'est ouverte en Europe
Article publié par Denis Jeambar dans Challenges le 10.02.2020 à 11h17
La partie qui vient de se jouer dans le land de Thuringe en Allemagne le montre: l'extrême droite s'implante de plus en plus outre-Rhin. Comme dans toute l'Europe où la démocratie est de plus en plus fragilisée.
Les grands tournants de l'Histoire commencent souvent par des événements dont on ne mesure pas à l'instant où ils surviennent qu'ils sont de terribles transgressions pouvant ouvrir des pages noires. Ainsi, ce mercredi 5 février 2020 pourrait bien devenir l'une des dates les plus détestables de l'Europe depuis 1945. Certes, l'élection du libéral-démocrate (FDP) Thomas Kemmerich à la tête de l'exécutif du Land de Thuringe, une région de l'ancienne Allemagne de l'Est, a suscité quelques commentaires de presse, mais aucune réaction n'est venue des dirigeants européens ou de Bruxelles devant une alliance inédite dans les urnes entre, d'une part, les libéraux (FDP) et les chrétiens démocrates (CDU) d'Angela Merkel et, d'autre part, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), formation d'extrême droite dont la fédération thuringeoise est la plus radicale. "Jamais dans l'histoire de la République fédérale, a pourtant écrit l'hebdomadaire Der Spiegel, il n'y a eu un tel coup d'Etat des conservateurs, des libéraux et des extrémistes de droite."
Pris à contre-pied par ce vote sans précédent, l'état-major de la CDU a, certes, reproché aussitôt à ses élus thuringeois d'avoir mêlé leurs voix à celles de "nazis", parlé de "journée noire", obtenu en 24 heures la démission de Kemmerich et demandé un nouveau scrutin. Annegret Kramp-Karrenbauer, la dauphine de Merkel elle-même, a annoncé ce lundi 10 février renoncer à lui succéder et vouloir abandonner la présidence du parti conservateur, tirant les leçons de la crise politique ouverte en Thuringe.
Néanmoins un tabou est bel et bien tombé en Allemagne avec ce vote du 5 février. Cet événement en rappelle un autre vieux de 97 ans dont nul n'imagina les conséquences dramatiques pour l'Europe: le putsch de Munich tenté le 8 novembre 1923 par Adolph Hitler avec la complicité notamment d'Erich Ludendorff, général en chef des armées allemandes de 1916 à 1918. L'ancien Generalquartiermeister s'éloignera dès 1926 du parti nazi sans pouvoir empêcher son accession au pouvoir en 1933 qu'il commentera alors dans une lettre adressée au maréchal-président du Reich Paul von Hindenburg, devenu marionnette d'Hitler: "Je vous prédis solennellement que cet homme exécrable entraînera notre nation vers des abîmes de déshonneur [...] Les générations futures vous maudiront dans votre tombe pour ce que vous avez fait."
Une effraction politique insignifiante, en apparence
Cette malédiction est en passe d'être oubliée par une partie des électeurs allemands: l'AfD, héritière plus ou moins revendiquée du parti national socialiste, n'est-elle pas devenue au mois de septembre 2017 la troisième formation politique allemande avec 12,64% des suffrages et 93 députés au Bundestag! En 2019, l'AfD a remporté des succès électoraux, progressant de manière spectaculaire en Saxe (27,49% des voix juste derrière la CDU, 32,11%), au Brandebourg (23,51% des suffrages, derrière le SPD, 26,18%, mais devant la CDU, 15,57%) et en Thuringe (23,40% derrière l'extrême gauche Die Linke, 31,01%, mais devant la CDU, 21,75%, le SPD, 8,21% , et le FDP, 5%).
L'épisode du 5 février dernier marque une nouvelle étape dans le développement de l'AfD: pour la première fois, le cordon sanitaire dressé par les partis traditionnels allemands face à l'extrême-droite a cédé pendant quelques heures. Certes, la réaction de la chancelière Merkel a été rapide mais les failles sont là. Le FDP en sort très affaibli, une grosse hémorragie le frappe mais force est de constater, selon un sondage publié le 6 février, que seulement un quart des électeurs qui lui restent fidèles refusent tout rapprochement avec l'AfD. Inquiétante porosité qui confirme la progression de l'extrême droite et fait redouter d'autres collaborations entre elle et des formations démocratiques.
L'Europe minée par l'essor de l'extrême droite
Sornettes, pensent sans doute certains, mais le passé montre que les grands drames commencent toujours par une effraction apparemment insignifiante. Toute l'Europe, pourtant, est concernée par la percée de ces mouvements d'extrême droite. Même les plus prospères y sont confrontés. L'Allemagne, malgré un fort ralentissement de sa croissance, n'est pas plongée dans une crise économique. Pas plus que la Suède (18,79% pour les Démocrates de Suède aux législatives de 2019) le Danemark (12,90% pour le Parti du Peuple aux européennes en 2019), les Pays-Bas (14,64% pour le Parti pour la liberté aux européennes de 2019), la Belgique (12,05% pour le Bloc flamand aux européennes de 2019).
Les pays du sud de l'UE n'y échappent pas non plus: Vox a obtenu 15,9% lors des législatives espagnoles en 2019; l'échec récent de la Ligue de Salvini dans sa conquête de l'Emilie-Romagne ne doit pas occulter son score (43%), ou les 34,26% qu'elle a obtenus aux élections européennes du mois de mai dernier. Si le Parti de la liberté d'Autriche (FPO) a reculé de plus de 9 points aux élections législatives de septembre 2019 à 16,21%, il est étonnant de voir que les Verts autrichiens ont accepté d'entrer dans une coalition gouvernementale avec Sebastian Kurz, vainqueur de ce scrutin avec le Parti populaire autrichien, allié jusqu'alors avec le FPO. Enfin, et ce n'est pas le moins important, la France qui a vu le Rassemblement national lepéniste arriver en tête aux européennes de 2019 avec 23,31% des suffrages. Un succès que ne peuvent effacer les cris de victoire lancés alors un peu vite par la majorité présidentielle, deuxième seulement avec 22,41%. Ce triomphalisme aveugle de La République en Marche (LREM) l'a convaincu que les municipales de ce mois de mars la verrait voler de conquêtes en conquêtes. Ce sont en fait de cruelles désillusions qui se profilent, voire une Bérézina.
Emmanuel Macron pris au piège du populisme européen
Toutes ces consultations confirment la montée d'un populisme européen qui ne se résume plus au quatre pays (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) du groupe de Visegrad où la démocratie se conjugue de moins en moins avec l'Etat de droit sans que Bruxelles ne parvienne à les faire revenir dans les clous des grands principes de l'Union européenne. Emmanuel Macron les fustigea en vain au début de son mandat présidentiel. Depuis le Brexit, il a changé de ton pour reprendre la main dans l'Union. Ainsi, après avoir reçu amicalement le Premier ministre hongrois Viktor Orban à l'Elysée en octobre 2019, feignant d'ignorer la discrimination dont sont victimes les Roms en Hongrie et bien d'autres atteintes aux règles européennes dans ce pays, il s'est réconcilié, au cours de son voyage en Pologne les 3 et 4 février, avec les nationaux-conservateurs du Parti Droit et Justice (PiS) régnant à Varsovie alors même qu'ils piétinent aussi bien l'Etat de droit que bien des vérités historiques sur la Seconde guerre mondiale. A peine Emmanuel Macron reparti pour Paris, le gouvernement polonais promulguait une loi qui lui permet de sanctionner désormais les juges critiquant ses réformes sur la justice. Comme un camouflet! La realpolitk oblige à des concessions parfois dangereuses!
Voici Emmanuel Macron également piégé au Parlement européen par les événements de Thuringe. Renew, le groupe libéral qu'il y a créé en juin dernier, compte dans ses rangs cinq députés du FDP, une fréquentation marquée à présent du sinistre sceau thuringeois, preuve que 'L'alerte démocratique' que proclame l'essayiste Nicolas Baverez dans son dernier livre (éditions de l'Observatoire) devient une urgence. Pour autant, le chef de l'Etat ne s'en est pas publiquement inquiété. Etrange, car sa stratégie consiste à se présenter à nouveau en 2022 comme le seul rempart contre Marine Le Pen dans un match retour qu'il s'emploie à mettre en scène!
La démission d'Annegret Kramp-Karrenbauer
Allemagne : « AKK », dauphine désignée d'Angela Merkel, renonce à lui succéder
A un an et demi des législatives, la droite se retrouve sans chef de file et sans prétendant pour succéder à la chancelière, au pouvoir depuis 2005.
Article publié Par Thomas Wieder dans Le Monde du lundi 10 février 2020 à 10h51, mis à jour à 11h35. Temps de Lecture 4 min.
La chef de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, le 7 février à Berlin. ADAM BERRY / AFP
Elle était politiquement très affaiblie. Mais nul ne s'attendait qu'elle prenne maintenant une telle décision : Annegret Kramp-Karrenbauer ne sera pas candidate à la succession d'Angela Merkel à la chancellerie. Elle compte également quitter la présidence de l'Union chrétienne-démocrate (CDU). Sa décision a été annoncée à l'état-major de son parti, lundi 10 février, ont annoncé plusieurs médias allemands. On ne sait pas, en revanche, si elle compte conserver son poste de ministre de la défense.
L'événement constitue un séisme politique en Allemagne : à un an et demi des prochaines législatives, prévues à l'automne 2021, la droite conservatrice – toujours la première force politique du pays – se retrouve sans chef de file et sans prétendant pour succéder à Mme Merkel, qui gouverne le pays depuis 2005.
La décision de Mme Kramp-Karrenbauer a pour cause immédiate la crise qui a secoué la Thuringe, mercredi 5 février, quand le candidat du petit parti libéral FDP, Thomas Kemmerich, a été élu, à la surprise générale, avec les voix de la CDU et du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Une élection qualifiée de « coup de tonnerre » et de « tabou brisé » par tous les journaux allemands : jamais depuis la naissance de la République fédérale d'Allemagne, en 1949, le ministre-président d'un Land n'avait été élu avec les voix de l'extrême droite.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi La démission du dirigeant de la région allemande de Thuringe ne met pas fin à la tempête
Défiée par l'aile droite de la CDU
Pour Mme Kramp-Karrenbauer, la gestion de cet épisode a d'emblée viré au cauchemar. Le jour de la victoire de M. Kemmerich, elle a immédiatement réclamé la tenue de nouvelles élections en Thuringe. Pour cela, une majorité des deux tiers des élus régionaux de ce Land d'ex-Allemagne de l'Est était nécessaire, dont notamment ceux de la CDU. Or ceux-ci ont tenu tête à la présidente du parti, qui n'est pas parvenue à imposer son autorité malgré sa venue, jeudi soir, à Erfurt, pour une réunion de plus de cinq heures avec les élus conservateurs de Thuringe.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi En Allemagne, la « dauphine de Merkel » déconcerte et divise
Défiée par l'aile droite de la CDU, qui a ouvertement enfreint la règle de non-coopération avec l'AfD fixée au congrès de Hambourg, en décembre 2018, congrès au cours duquel « AKK » s'était fait élire à la tête du parti, Mme Kramp-Karrenbauer était aussi critiquée, en interne, par certaines figures de l'aile centriste. Celles-là même qui l'avaient pourtant portée au pouvoir lui reprochaient d'avoir insuffisamment anticipé l'épisode de mercredi, en Thuringe, en négligeant de cadrer les choses en amont, alors que, depuis les élections régionales du 27 octobre 2019, plusieurs élus régionaux de la CDU avaient laissé entendre qu'ils étaient prêts à tout pour éviter la réélection du ministre-président sortant, Bodo Ramelow, membre du parti de gauche Die Linke, quitte à coopérer avec l'AfD. (...)
...
La Thuringe dans le piège de l'extrême droite
Der Spiegel - Hambourg Publié le 10/02/2020 - 17:11 Traduit ar Courrier International
La crise a coûté la présidence de la CDU à Annegret Kramp-Karrenbauer, ici à Erfurt, le 7 février 2020. REUTERS/Wolfgang Rattay
Le séisme déclenché le 5 février par l'alliance des partis de centre droit (CDU et FDP) et des députés les plus radicaux de l'AfD pour prendre le pouvoir à Erfurt, est salutaire pour la démocratie. À condition qu'il s'impose dans la pratique politique.
Les démocraties meurent lentement. Elles ne se font pas faucher par un putsch alors qu'elles sont en pleine floraison, elles se fanent lentement jusqu'à être prêtes pour une prise de pouvoir autoritaire. Les démocrates auront auparavant contribué activement à leur propre chute.
Les évènements de Thuringe sont un signe de flétrissement, même si on semble avoir évité le pire. La CDU [Union chrétienne-démocrate] et le FDP [Parti libéral-démocrate] avaient accepté qu'un candidat de centre droit [Thomas Kemmerich, FDP] soit élu au poste de ministre-président avec les voix du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Seules des interventions venues de Berlin ont mis fin à cette folie [par la démission forcée de Kemmerich, le lendemain].
Objectif : la prise du pouvoir
Ce qu'il en reste, c'est que la CDU et le FDP se sont couverts de honte, et tout particulièrement leurs dirigeants qui, dans un premier temps, n'ont pas réagi avec force. Ce qu'il en reste, c'est le fait que certains politiciens de Thuringe se sont laissés tenter par des jeux d'alliance avec l'AfD. Ce qu'il en reste, c'est le triomphe de Björn Höcke, le chef de file [et président du groupe parlementaire] régional de l'AfD, qui a mis à nu les partis du centre. Ce qu'il en reste, ce sont les dégâts causés à la démocratie libérale. Et chacun de ces dommages contribue à faire chuter la démocratie. Pour empêcher cela, il faut considérer la Thuringe comme un signal d'alarme. Comme un tir de sommation.
Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, deux politologues de Harvard qui ont écrit La Mort des démocraties [Calmann-Lévy, 2018] ont intitulé le premier chapitre de leur ouvrage “Funestes alliances”. C'est ainsi que les choses commencent en général. Des figures de premier plan, représentants du système, s'allient avec les ennemis de ce même système, dans l'espoir de conserver leur pouvoir. C'est ce qui s'est produit sous la République de Weimar : Hitler ne serait pas parvenu au pouvoir sans y avoir été invité par les conservateurs. C'est également ce qui s'est produit [récemment] au Brésil, au Pérou ou au Venezuela, analysent Levitsky et Ziblatt.
La démocratie est encore vivante aux Etats-Unis, mais l'alliance entre Donald Trump et les Républicains l'a déjà entamée. Nombre de sénateurs espèrent pouvoir conserver leur pouvoir avec l'aide de Trump ; ils le suivent sans condition, même quand il affirme manifestement à tort ne pas avoir abusé de ses fonctions.
Die Linke n'est plus un danger pour la démocratie
Les dimensions sont nettement moindres en Thuringe, mais le principe est le même. Il y a longtemps que la classe politique, en particulier dans les rangs de la CDU, caresse l'idée d'utiliser l'AfD pour parvenir au pouvoir. Lors du vote au Parlement régional d'Erfurt [le 5 février], le FDP et la CDU ont conclu une alliance tacite avec les hommes de Höcke. C'eût été assurément fatal [s'ils n'avaient pas fait marche arrière sous la pression de Berlin et de leurs instances dirigeantes respectives].
Le centre droit commet souvent l'erreur de croire que son adversaire le plus important, voire unique, se situe à l'extrême gauche. Beaucoup le croient au sein de la CDU et du FDP. Pour empêcher Bodo Ramelow [le ministre-président sortant, à la tête d'une coalition Die Linke, SPD et écologistes] de continuer à gouverner le Land, les députés de Thuringe ont fait cause commune avec Höcke [qui plus est chef de file du “Flügel”, l'aile la plus radicale de l'AfD].
En vérité, les partis de centre droit devraient se soucier autant de l'extrême droite que de l'extrême gauche, surtout en Allemagne, où le passé nazi a généré un tabou. Die Linke [gauche radicale, issue du parti communiste de RDA], en revanche, ne constitue plus un danger pour la démocratie libérale, et Bodo Ramelow [le ministre-président sortant qui a mené une politique de type social-démocrate] tout particulièrement. Björn Höcke, au contraire, viole le tabou.
Il revient à la CDU et à l'aile conservatrice du FDP de protéger la démocratie contre ce genre de personnage et de définir ce qu'est un conservatisme respectable. A s'engager dans une alliance avec les partis d'extrême droite, on les rend fréquentables, on leur confère du sérieux, on atteste leur prétention à se compter parmi les démocrates.
En vérité, ils sont infâmes, comme on l'a vu une fois de plus en Thuringe. Höcke a torpillé le sens de tout scrutin en imposant à son groupe parlementaire de ne pas voter pour son propre candidat [au profit du libéral Kemmerich].
Un seul mot d'ordre : aucun rapprochement avec l'AfD
La CDU et le FDP se sont empressés de tomber dans le piège et en subissent désormais les conséquences. Car l'Histoire nous enseigne une autre leçon : quand on donne dans les petits jeux d'alliance, les infâmes ont l'avantage. Face à la brutalité politique d'un Donald Trump, la plupart des sénateurs républicains paraissent pour le moins naïfs.
Quand les conservateurs de la République de Weimar pensaient encore pouvoir utiliser Hitler à leur fin, ce sont eux qui étaient utilisés, ils vivaient sans le savoir la dernière phase avant la chute. Certes, tout analogie est délicate, mais il ne peut pas nuire de penser qu'on se trouve dans la phase initiale. Plus encore : la prudence l'exige.
Les représentants de la CDU et du FDP devraient en être convaincus et agir en conséquence. Lors des prochaines campagnes électorales et des scrutins à venir, ils devraient être guidés par un seul mot d'ordre : aucun rapprochement avec l'AfD.
► https://www.courrierinternational.com/article/allemagne-la-thuringe-dans-le-piege-de-lextreme-droite
...
Allemagne: crise à la CDU, le pouvoir d'Angela Merkel dans la tourmente
La démission de la dauphine de la chancelière, après l'offensive de l'extrême droite en Thuringe, jette le pays dans l'incertitude.
Article publié par Pierre Avril dans le Figaro le lundi 10 février 2020.
La dirigeante de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, et Angela Merkel, lundi, au siège du parti à Berlin. HANNIBAL HANSCHKE/REUTERS
Correspondant à Berlin
Le couple au féminin de la politique allemande est aujourd'hui dans la tourmente. Annegret Kramp-Karrenbauer, dite «AKK», la dauphine, a officiellement abandonné ses prétentions à succéder un jour à sa marraine, Angela Merkel, qui avait pourtant soigneusement préparé sa succession. AKK abandonnera, d'ici à la fin de l'année, selon ses vœux, la présidence du parti, le temps de renouveler sa plateforme politique et de désigner un chef qui sera en même temps candidat à la chancellerie. «Je regrette cette décision», a commenté lundi la chancelière, dont les jours sont eux-mêmes comptés, du moins par ses nombreux adversaires.
À lire aussi : ► Allemagne: la crise politique en Thuringe met à l'épreuve l'unité de la CDU
Vêtue d'un tailleur bleu sur la scène du palais des congrès de Leipzig, AKK savourait, il n'y a pourtant pas si longtemps, le 22 novembre dernier, sa mainmise sur la CDU. La présidente envoyait des baisers virtuels à ses troupes, qui applaudissaient sa prestation. Debout, la salle est acquise. Ses opposants battaient en retraite. Assise à la tribune à deux pas, Angela Merkel affichait un sourire satisfait, plein de retenue comme il sied à la chancelière, peu familière des effusions. C'était il y a moins de trois mois, une éternité.
C'est une élection en Thuringe mercredi dernier qui, en faisant ressurgir les fantômes de l'histoire allemande, a fait voler le tandem en éclats et précipité la crise politique: une alliance forcée entre des députés de la CDU, appartenant à la droite modérée, et ceux de l'AfD, le parti d'extrême droite, afin de faire élire un pâle élu libéral. Ce dernier, Thomas Kemmerich, a finalement démissionné, mais l'onde de choc n'en finit pas de se propager. Incapable de faire respecter par ses troupes la politique du cordon sanitaire vis-à-vis de l'extrême droite, AKK a dû jeter l'éponge.
À lire aussi : ► En Thuringe, l'AfD a su jouer des divisions entre chrétiens-démocrates
Bien que retirée des affaires courantes de la CDU, Angela Merkel a dû replonger dans l'arène politicienne pour faire cesser le scandale, pallier les défaillances de sa propre dauphine, et s'exposer aux tirs venant de ses propres rangs. «Il existe de grosses forces centrifuges à l'intérieur de notre société et de notre parti», a justifié la présidente de la CDU en visant implicitement l'Union des valeurs. Ce courant au sein de la CDU, favorable à des alliances avec l'extrême droite, est «éloigné des valeurs fondamentales» de la démocratie chrétienne allemande, a-t-elle ajouté.
Le chef de ce courant a, au contraire, salué le départ d'AKK, «digne d'éloges» selon lui, et appelé la CDU, dans la foulée, «à corriger durablement la ligne de gauche empruntée depuis un an par l'ancienne présidente Merkel». Le SPD, partenaire de coalition de la CDU, qui lui-même enchaîne les déconvenues électorales et cherche refuge dans son aile gauche, craint, en revanche, un virage inverse de son allié gouvernemental.
Prise en sandwich, c'est la chancelière elle-même, à la tête d'une coalition ébranlée, qui devient le maillon faible de la politique allemande. Jörg Meuthen, vice-président de l'AfD, par qui le scandale est arrivé et dont l'objectif politique de long terme consiste à fracturer la CDU, annonce déjà la couleur: «AKK la première, ensuite Merkel». «Le parti est complètement déboussolé et la responsabilité en revient à la chancelière», précise ce porte-parole du parti d'extrême droite, qui apparaît comme le grand vainqueur de la crise. Il est désormais reproché à la chef du gouvernement d'avoir parié sur le mauvais cheval au moment d'organiser sa succession, il y a plus d'un an.
Chaque jour, on se demande pourquoi Merkel ne se montre pas plus entreprenante alors qu'elle est en fin de mandat et pourrait se permettre des libertés. Un parlementaire écologiste
Depuis sa nomination à la présidence du parti, en décembre 2018, l'ancienne ministre présidente de la Sarre - un poste dont on moquait le manque d'envergure - a enchaîné les gaffes, heurtant la frange libérale de la société en moquant les transgenres, ou appelant à censurer les propos d'un youtubeur. Mettant un point d'honneur à lâcher les rênes du parti et soucieuse d'éviter un procès en népotisme, Angela Merkel n'a rattrapé aucun de ses faux pas. À une exception près: elle a nommé AKK ministre de la Défense en juillet 2019, manière de rehausser sa stature internationale.
Cette dernière y a gagné des galons diplomatiques et l'estime de l'armée, seul portefeuille qu'elle conservera à l'avenir. La chute d'AKK agit comme le symptôme d'un pays qui semblait, ces derniers mois, gagné par la léthargie. «Chaque jour, on se demande pourquoi Merkel ne se montre pas plus entreprenante alors qu'elle est en fin de mandat et pourrait se permettre des libertés», critiquait récemment un parlementaire écologiste, jugeant trop timides les mesures du gouvernement en matière d'environnement et d'agriculture. «Il existe un risque de laisser tous les agriculteurs à l'AfD», ajoutait cette même source.
«Un pays de ronfleurs»
«L'Allemagne est devenue un pays de ronfleurs et nous devons nous réveiller», s'alarmait, pour sa part, le président du patronat allemand, Dieter Kempf. Le chef de l'Industrie allemande dénonçait alors le retard pris par le pays en matière d'investissements publics.
Claire Demesmay, chercheuse au Conseil allemand des relations extérieures, rendait déjà en partie responsable l'AFD de cet immobilisme. «La progression électorale de l'Alternative pour l'Allemagne joue un rôle traumatisant pour le gouvernement et l'influence du parti se fait sentir sur toutes les questions internationales, dans la mesure où il est parvenu à imposer le thème de l'immigration», ajoutait cette analyste.
Le successeur d'Annegret Kramp-Karrenbauer aura la lourde tâche de «clarifier» la ligne du parti, comme le lui réclame le SPD, mais sans entrer en conflit avec Angela Merkel, qui refuse tout dialogue avec l'AfD. L'adversaire le plus farouche d'AKK et de la chancelière, Friedrich Merz, qui se fait fort d'aller chercher les électeurs de l'AfD sur leur terrain, paraît le plus pressé à s'engager dans la course, mais son profil divise. Derrière, le nom d'Armin Laschet, un baron de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est très souvent cité, de même que celui du ministre de la Santé, Jens Spahn, et surtout celui du Bavarois de la CSU, Markus Söder, tenant d'une ligne dure à l'encontre de l'extrême droite. Quel que soit celui qui héritera du parti, ce sera mission impossible, estime l'influent hebdomadaire Der Spiegel, pour qui Angela Merkel n'a d'autre choix que de démissionner et de déclencher des élections législatives anticipées. Et tout ceci, à six mois de la présidence allemande de l'Union européenne...
La rédaction vous conseille ► Allemagne: en pleine crise politique nationale, la dauphine désignée d'Angela Merkel renonce à lui succéder
...
En Allemagne, le départ d'Annegret Kramp-Karrenbauer révèle l'ampleur de la crise politique
Article publié par Johanna Luyssen dans Libération, lundi 10 février 2020 446 mots.
Avec le retrait annoncé d'«AKK», la CDU se retrouve dans l'une des plus graves crises de son histoire et doit clarifier son positionnement avec l'AfD. La fin du règne d'Angela Merkel s'annonce encore plus compliqué qu'attendu.
C'est une décision inattendue, qui devrait rendre la fin du règne d'Angela Merkel plus pénible encore : la cheffe de la CDU Annegret Kramp-Karrenbauer a annoncé lundi qu'elle ne briguerait pas la chancellerie en 2021 et renonce à la présidence du parti. Sa succession doit se mettre en place d'ici à l'été prochain, selon des modalités à définir - de préférence avant que l'Allemagne ne prenne la présidence de l'Union européenne, en juillet.
Cette démission surprise d'«AKK» est la conséquence de la crise politique en Thuringe, où, mercredi dernier, des élus locaux de la CDU, afin de se débarrasser du candidat Die Linke, ont voté avec l'AfD pour le candidat libéral à la direction du Land. Une ligne rouge a été franchie ce jour-là et depuis, l'Allemagne est engluée dans une crise dont AKK est la première victime.
«une relation trouble de certaines parties de la CDU avec l'AfD et Die Linke». Si les conservateurs semblent au contraire très clairs avec Die Linke, rejetant toute politique de gauche, leur positionnement face à l'AfD mérite d'être éclairci. Une partie de la CDU prône un rapprochement avec le parti d'extrême droite, comme le bruyant club de la «Werte Union». Mais il y a aussi cet élu de Saxe-Anhalt, où se tiendront des élections en 2021. Lars-Jörn Zimmer, vice-président de la CDU dans ce Land d'ex-RDA, affirme qu'il ne peut pas ignorer «25% des électeurs», et que les dirigeants de la CDU-CSU «feraient bien de descendre de leur tour d'ivoire à Berlin et à Munich afin de voir comme les choses se passent vraiment».
«Antisocialisme poussiéreux»
Comme le résume Stefan Reinecke, du quotidien Die Tageszeitung, «il y a les démissions qui délient des noeuds, et celles qui révèlent une crise plus profonde. Le retrait de Kramp-Karrenbauer appartient à la deuxième catégorie». La CDU vit donc une crise d'identité, «tiraillée entre un antisocialisme poussiéreux auquel elle s'accroche comme un naufragé et une relation trouble avec l'AfD, dont certains membres de la CDU, surtout à l'Est, se sentent proches».
Elue à la tête du parti en décembre 2018, l'ancienne dirigeante de la Sarre s'est rapidement révélée impopulaire. Contestée depuis des mois, elle n'est guère appréciée par l'opinion publique - plus raide que Merkel sur les questions de société, AKK a versé à l'occasion dans l'homophobie ou la transphobie, s'attirant également l'hostilité des youtubeurs dans une ridicule polémique au moment des élections européennes.
...
Décryptage. Les conservateurs sombrent dans la crise politique en Allemagne
Émission d'Anne Cantener sur RFI le : 11/02/2020 - Audio 19:30 ►
Annegret Kramp-Karrenbauer à côté de la chancelière allemande Angela Merkel après avoir été élue chef du parti lors du congrès du parti de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) à Hambourg, le 7 décembre 2018. REUTERS/Fabian Bimmer
Il aura fallu quelques jours seulement pour déstabiliser complètement le parti au pouvoir en Allemagne. La CDU d'Angela Merkel n'a plus de chef depuis hier : Annegret Kramp Karrenbauer, sa dauphine désignée, a démissionné. Elle ne sera pas non plus candidate pour le poste de chancelière.
Elle paie le prix de la crise qui secoue le parti depuis la semaine dernière. Depuis qu'un président régional, dans le Land de Thuringe, a été élu grâce aux voix des conservateurs et du parti d'extrême-droite AfD.
Cette alliance a brisé un tabou en Allemagne : ne jamais faire alliance avec l'extrême-droite pour gouverner. Dans son meeting de fin de campagne, le leader de l'AfD en Thuringe avait déclaré à son public : « nous allons changer le pays » et il n'avait peut-être pas tort. Alors bien sûr, cet épisode n'est pas la seule raison qui a poussé la présidente de la CDU à quitter son poste, mais il s'agit d'un véritable choc politique en Allemagne. Quelles seront les conséquences pour les conservateurs et pour la chancelière Angela Merkel ?
Notre invité : Jens Althoff, docteur en Sciences politiques, directeur du bureau Paris de laFondation Heinrich Böll.
...
Allemagne : l'après-Merkel chamboulé par l'extrême droite
Vidéo de l'émission C dans l'air du mardi 11.02.20 à 17h45 sur France 5. Disponible jusqu'au 18.02.20, durée 1:04:02
Émission présentée par Axel de Tarlé
L'Allemagne s'est enfoncée hier un peu plus dans une crise politique majeure avec le retrait de la dauphine d'Angela Merkel, et beaucoup désormais s'interrogent : à quoi ressemblera l'après-Merkel ? La chancelière allemande elle-même pourra-t-elle aller au terme de son mandat ? L'un des proches d'Angela Merkel, le ministre de l'Economie Peter Altmaier, a évoqué une "situation extrêmement grave" pour le parti conservateur allemand, l'Union chrétienne-démocrate (CDU). "Il en va de notre avenir", a-t-il dit, tandis que la dirigeante des écologistes a parlé d'une "situation dramatique" pour le pays.
En cause ? La décision historique prise la semaine dernière par la droite (CDU) et les libéraux (FDP) de s'allier avec l'extrême-droite (AfD) arrivée en deuxième position avec sa frange la plus radicale, celle qui remet en cause la repentance pour les crimes du IIIème Reich, plutôt que de laisser une alliance des gauches et des Verts diriger la région de Thuringe. Une première depuis l'après-guerre, qui plus est dans un territoire hautement symbolique. C'est en effet dans cette même région d'ex-Allemagne de l'Est que pour la première fois le Parti national-socialiste de Hitler était entré dans un gouvernement régional, en 1930. Trois ans plus tard, il était chancelier.
Pris à contre-pied par ce vote sans précédent, l'état-major de la CDU a, certes, reproché aussitôt à ses élus thuringeois d'avoir mêlé leurs voix à celles de "nazis" de l'AfD, parlé de "journée noire", obtenu en 24 heures la démission de Thomas Kemmerich à la tête de l'exécutif du Land de Thuringe et demandé un nouveau scrutin, les secousses de ce séisme politique ébranlent tout le paysage politique allemand et au-delà. Tirant les leçons de cette crise politique, Annegret Kramp-Karrenbauer, la dauphine de Merkel, a annoncé lundi renoncer à lui succéder et vouloir abandonner la présidence du parti conservateur dans quelques mois, le temps de trouver un successeur, qui sera en même temps candidat à la chancellerie.
Mais un tabou est tombé en Allemagne avec ce vote du 5 février. Et aujourd'hui, le CDU et le FDP apparaissent affaiblis, de plus en plus tiraillés entre adversaires et partisans d'une coopération avec l'extrême-droite. Ainsi selon un sondage publié le 6 février, seulement un quart des électeurs du FDP refuseraient tout rapprochement avec l'AfD, parti devenu au mois de septembre 2017 la troisième formation politique allemande avec 12,64 % des suffrages et 93 députés au Bundestag.
Elections après élections, les résultats confirment la poussée des mouvements d'extrême droite et des partis nationalistes en Europe. Hier, le Parti nationaliste Sinn Fein, jusqu'alors marginalisé pour ses liens historiques avec l'IRA, a créé la surprise en réalisant une percée historique lors des législatives en Irlande, bousculant les deux partis centristes qui se partagent habituellement le pouvoir.
Partisan d'une réunification de l'Irlande, le succès de ce parti constitue-t-il la première réplique du Brexit ? Comment analyser la crise politique qui secoue l'Allemagne ? Qui succédera à Angela Merkel ? Quel avenir pour le couple franco-allemand ? Pourquoi le discours d'Emmanuel Macron sur la dissuasion nucléaire embarrasse-t-il l'Allemagne et plus largement les Vingt-Sept ?
Invités :
• François Clémenceau, rédacteur en chef au Journal du dimanche, en charge de l'actualité internationale
• Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, et de l'ILERI, l'institut libre d'étude des relations internationales. Son dernier ouvrage s'intitule "La grande bascule : le 21ème siècle européen" publié aux éditions Ecoles de guerre
• Hélène Miard-Delacroix, professeure d'histoire et de civilisation de l'Allemagne contemporaine à Sorbonne Université
• Sylvie Kauffman, éditorialiste, chroniqueuse internationale au journal Le Monde
...
Annegret Kramp-Karrenbauer renonce à la chancellerie allemande
Vu d'Allemagne, Deutsche Welle, mardi 11 février 2020
Les journaux allemands s'intéressent beaucoup ce mardi (11.02.2020) à Annegret Kramp-Karrenbauer. La présidente de la CDU (parti d'Angela Merkel), a décidé de ne pas briguer la chancellerie.
Deutschland CDU-Chefin fordert von SPD und Grünen neuen Kandidaten in Erfurt (AFP/A. Berry)
Le cataclysme politique en Thuringe, où la CDU et l'extrême droite ont pour la première fois voté ensemble pour porter à la présidence de la région un candidat libéral, a constitué le coup de grâce pour la dauphine d'Angela Merkel.
Selon la Tageszeitung, Annegret Kramp-Karrenbauer n'a pas seulement échoué à cause de la débâcle d'Erfurt. "Elle était la candidate préférée d'Angela Merkel - et cela s'est avéré être une situation de double contrainte presqu'impossible à gérer", juge le quotidien de Berlin.
AKK devait poursuivre la voie libérale de Merkel mais aussi incarner autre chose, quelque chose de plus conservateur. Une exigence beaucoup trop complexe pour elle, estime la Taz.
Kanzlerin Merkel und AKK Mimik (picture-alliance/dpa/K. Nietfeld)
Le choix d'AKK comme nouvelle présidente de la CDU se voulait comme une volonté de continuité de la politique centriste d'Angela Merkel
Un échec partagé
Mais ce sont les membres de l'AfD qui doivent être en train de rire aux éclats, lance de son côté la Süddeutsche Zeitung.
"Le parti d'extrême droite a réussi par une manœuvre cynique au sein du parlement du Land de Thuringe à provoquer beaucoup de chaos et de troubles au sein du plus grand parti."
Toutefois, précise le journal de Munich, AKK n'est pas la seule responsable de son échec : "C'est l'échec de toute la CDU car pendant des décennies, les chrétiens-démocrates ont esquivé la question de savoir qui ils voulaient être dans un monde en mutation rapide."
La Frankfurter Allgemeine Zeitung rappelle qu'il n'a pas été facile pour AKK d'être à la tête de la CDU.
"Sa courte victoire sur Friedrich Merz il y a plus d'un an, l'empêchait déjà d'agir en position de force", indique la FAZ. En plus de cela, l'héritage de l'ère Merkel était trop lourd à porter.
Sur son site internet, die Welt note qu'elle « elle était une présidente faible et, de ce fait, son retrait est peut-être arrivé juste à temps pour les prochaines élections fédérales prévues fin 2021 ».
...
[Revue de presse] Allemagne : en démissionnant, la présidente de la CDU provoque une onde de choc politique
Revue de presse du site touteleurope du 11.02.2020
Qui succèdera à Angela Merkel ? Son parti chrétien-démocrate (CDU) est privé de chef depuis l'annonce, lundi, de la démission de sa présidente Annegret Kramp-Karrenbauer. La première formation d'Allemagne fait face à des divisions idéologiques, qui traduisent une crise politique plus large.
...
Crise politique en Allemagne : et maintenant, que va-t-il se passer?
Article publié dans le Journal du Dimanche le 13 février 2020.
Par Jérôme Vaillant, Professeur émérite de civilisation allemande, Université de Lille
L'Allemagne traverse une crise politique majeure après la démission de la présidence de la CDU d'Annegret Kramp-Karrenbauer, successeure désignée d'Angela Merkel. Que va-t-il maintenant se passer?
Annegret Kramp-Karrenbauer ("AKK") vient de faire une annonce qui a résonné comme un coup de tonnerre : elle renonce à succéder à Angela Merkel à la chancellerie et remettra la présidence du Parti chrétien-démocrate (CDU), qu'elle occupe depuis seulement novembre 2018, à la disposition de son parti dès qu'un candidat au poste de chancelier aura été trouvé pour conduire la prochaine campagne électorale, officiellement prévue à l'automne 2021. AKK reste cependant ministre fédérale de la Défense. Cette décision est aussi complexe et ambivalente que toutes celles qu'AKK a prises ces derniers mois, sans jamais trouver la ligne politique claire qui lui aurait permis de rassembler son parti autour d'elle.
Lire aussi - En Allemagne, les libéraux ont signé leur perte en pactisant avec l'extrême droite
Il y a dans l'événement quelque chose qui rappelle le "dégagisme" qu'a connu la France au moment des primaires des Républicains en 2016 – à ceci près qu'en France ce sont les électeurs participant à ces primaires qui ont fait "dégager" des candidats dont ils ne voulaient plus tandis qu'en Allemagne ce sont les personnalités politiques qui "dégagent" d'elles-mêmes. En effet, la renonciation d'Annegret Kramp-Karrenbauer rappelle celle, pas si ancienne, d'Andrea Nahles, présidente du SPD d'avril 2018 à juin 2019, qui avait elle-même succédé à Martin Schulz, élu à la tête du SPD en janvier 2017.
Officiellement, Andrea Nahles quittait la présidence de son parti à la suite du mauvais score réalisé par le SPD aux élections européennes ; en réalité, elle est partie parce qu'elle était en butte à des critiques internes croissantes et, surtout, ne parvenait pas à donner un nouvel élan à des sociaux-démocrates profondément divisés quant à l'opportunité de poursuivre la grande coalition formée début 2018 avec la CDU.
Dans le cas d'Annegret Kramp-Karrenbauer, il y a, de la même façon, le déclencheur et les raisons plus profondes d'un échec politique qui, inévitablement, fragilise la chancelière Merkel.
Le déclencheur : l'élection du ministre-président de Thuringe
Le 5 février avait lieu, au parlement régional d'Erfurt en Thuringe, l'élection du ministre-président, le chef du gouvernement régional. Bodo Ramelow, ministre-président sortant, avait gagné les élections régionales du 27 octobre 2019, son parti Die Linke (La Gauche) obtenant 31% des voix contre 23,4% au parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) et 21,7% à la CDU ; mais son gouvernement avait perdu sa majorité, le SPD n'obtenant que 8,2% des voix et les Verts stagnant à 5,2%. En l'absence d'autre option, Bodo Ramelow souhaitait continuer à gouverner avec la même coalition réunissant autour de Die Linke le SPD et les Verts, à la tête d'un gouvernement minoritaire. Son objectif : être élu à la majorité relative au troisième tour de scrutin. L'entreprise comportait une inconnue puisque les partis d'opposition réunissaient ensemble 48 sièges sur 90 contre seulement 42 acquis à la coalition sortante.
Au bout du compte, le 5 février dernier, c'est le candidat du FDP, Thomas Kemmerich, qui a été élu par 45 voix contre 44 à Bodo Ramelow. Cette issue n'était pas la plus vraisemblable ; elle ne pouvait pourtant pas être exclue. Thomas Kemmerich, dont le parti n'était entré au parlement d'Erfurt que d'extrême justesse, a été élu ministre-président avec les voix combinées de la CDU et de l'AfD, qui avaient donné la priorité au renversement du candidat de la gauche – même si ces deux formations n'étaient pas en mesure, à elles deux, de former un gouvernement.
Première fois en Allemagne qu'un ministre-président était élu avec les voix de l'extrême droite
L'AfD de Björn Höcke – son leader régional particulièrement marqué à l'extrême droite raciste et nationaliste – avait habilement manœuvré pour faire voler en éclats le consensus existant jusqu'alors entre les partis traditionnels : ceux-ci acceptaient de se coaliser entre eux, mais excluaient de le faire avec les partis extrémistes tels que l'AfD (et, pour certains d'entre eux, la gauche).
C'était la première fois en Allemagne qu'un ministre-président était élu avec les voix de l'extrême droite. Le scandale était complet, les protestations des partis politiques autres que l'AfD, ainsi que des médias et de la plus large partie de l'opinion publique, furent à l'avenant.
24 heures après son élection, Thomas Kemmerich annonçait sa démission, tout en restant en fonctions par intérim jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée pour élire un nouveau ministre-président.
Large autonomie des fédérations régionales de la CDU
C'est un peu aujourd'hui la foire aux propositions les plus insolites, mais ce qui importe pour notre propos, c'est qu'Annegret Kramp-Karrenbauer ne soit pas parvenue à convaincre la CDU de Thuringe d'accepter la tenue d'élections anticipées pour sortir de la crise, alors même que son leader régional, Mike Mohring, annonce qu'à la demande de son groupe parlementaire, mécontent de ses allées et venues entre l'AfD et la gauche, il en abandonnera la direction en mai prochain. À noter que les fédérations régionales des partis disposent d'une large autonomie et que la centrale berlinoise ne peut rien imposer contre leur volonté. La CDU de Thuringe ne pouvait rien attendre de bon d'élections anticipées qu'elle risquait de perdre et se refusait à en accepter le principe malgré la proposition faite par Thomas Kemmerich. Un premier sondage d'opinion a confirmé que la coalition sortante les gagnerait et que la CDU s'effondrerait tandis que l'AfD ne progresserait pas.
Quoi qu'il en soit, le reproche a été fait à AKK de manquer une fois de plus d'autorité et d'avoir trop louvoyé sur la conduite à recommander aux députés chrétiens-démocrates de Thuringe lors de l'élection du ministre-président. Son analyse de la situation dans ce Land a été bureaucratique plus que politique : elle s'est pour l'essentiel contentée de rappeler la règle adoptée sur l'incompatibilité entre CDU et la gauche ainsi qu'avec l'AfD, sans chercher à mieux comprendre les subtilités de la situation thuringeoise, par exemple en s'abstenant de voter contre Ramelow.
Une crise de confiance plus profonde
La crise en Thuringe pose la question de la relation des chrétiens-démocrates à l'extrême droite et donc de son repositionnement politique – souhaité ou redouté. Elle pose également la question de la fiabilité du Parti libéral, qui n'a pas su déjouer le piège tendu par l'AfD, Thomas Kemmerich acceptant son élection et même les félicitations de l'AfD.
Angela Merkel a en son temps choisi "AKK" comme dauphine dans l'espoir de préserver sa ligne de centre/centre-gauche contre celle, jugée plus conservatrice, de son adversaire Friedrich Merz. La nouvelle patronne de la CDU n'a pas su recoller les morceaux. Il est vrai que l'aile conservatrice de son parti ne lui a pas facilité la tâche et qu'elle a perdu une bonne partie de sa crédibilité en accumulant les gaffes, immédiatement exploitées sur les réseaux sociaux.
Chef de l'opposition chrétienne-démocrate au Bundestag évincé par Angela Merkel en 2002, Friedrich Merz s'était reconverti dans le privé. Lors du congrès fédéral de la CDU à Hambourg les 7 et 8 décembre 2018, Annegret Kramp-Karrenbauer ne l'avait emporté qu'au second tour face à lui, avec 51,75% des voix des délégués contre 48,25%, le rapport de forces étant au premier tour de 450 voix contre 392 à Friedrich Merz et 157 au troisième candidat Jens Spahn, aujourd'hui ministre fédéral de la Santé.
La recherche d'un nouveau candidat chrétien-démocrate à la chancellerie tourne de ce fait inévitablement autour de Friedrich Merz et Jens Spahn, mais aussi de l'actuel ministre-président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, Armin Laschet, qui dirige dans son Land une coalition avec le FDP et peut surtout compter sur la plus importante fédération chrétienne-démocrate régionale d'Allemagne. Daniel Günther, ministre-président du Schleswig-Holstein, à la tête d'un gouvernement de coalition avec les Verts et le FDP, est également cité parmi les prétendants, mais n'a pas la faveur des pronostics. L'actuel ministre-président de la Bavière et président de la CSU, Markus Söder, a pour sa part rejeté la proposition d'être candidat à la chancellerie.
Friedrich Merz cultive aujourd'hui une prudente réserve tout en affirmant qu'il souhaite s'engager davantage au service de son parti. Depuis 2019, il est vice-président du Conseil économique de la CDU, ce qui en fait un porte-parole écouté des milieux d'affaires allemands. Président depuis 2016 du conseil de surveillance de la branche allemande de Black Rock, le plus important gestionnaire de patrimoine au monde, il vient d'abandonner cette fonction pour avoir les coudées plus franches sur la scène politique. Il semble qu'on s'achemine vers un duel Merz/Laschet, Jens Spahn (39 ans) étant jugé encore un peu jeune. Selon de premiers sondages, l'opinion publique allemande tablerait à 40% sur la victoire de Friedrich Merz. Celle-ci représenterait un désaveu pour Angela Merkel. Il reste que l'accession à la tête de la CDU de Merz ou de Laschet ne révolutionnera pas foncièrement la CDU ; elle infléchirait seulement son orientation dans un sens plus conservateur (si Merz l'emporte) ou plus centriste (si c'est Laschet).
Quel sort pour Angela Merkel?
De nombreux observateurs allemands et étrangers s'inquiètent de l'impact que cette crise peut avoir sur la stabilité de la grande coalition en place à Berlin. Le SPD, par la voix d'Olaf Scholz, ministre des Finances et vice-chancelier, table sur son maintien et réduit la question à une affaire interne à la CDU – tout comme la CDU-CSU l'a fait quand le SPD a connu la même situation de crise après la démission de ses fonctions de présidente par Andrea Nahles en juin 2019.
Lors des primaires sociales-démocrates consécutives au départ d'Andrea Nahles, Saskia Askens et Norbert Walter-Borjans, qui se partagent la présidence du SPD depuis décembre dernier, s'étaient montrés hostiles à la poursuite de la grande coalition. Ils ont depuis fait changer leur fusil d'épaule et se gardent, du moins pour l'instant, de trop se découvrir.
Il semble pourtant peu probable que l'élection à la tête de la CDU d'un nouveau président, qui sera en même temps son candidat à la chancellerie lors des élections fédérales à venir, n'ait pas d'influence sur l'avenir de cette grande coalition si mal aimée. Tout simplement parce qu'on peut difficilement envisager que cette personne, auréolée de l'influence que lui donnera cette double fonction, conduite par la nécessité d'affirmer sa différence et d'apparaître comme une alternative crédible – ce que Annegret Kramp-Karrenbauer n'est manifestement pas parvenue à faire – n'entre pas tôt ou tard en conflit avec la chancelière. Vu son tempérament et sa personnalité, il est fort possible qu'Angela Merkel se retire alors avant qu'il ne soit trop tard, provoquant alors sans doute la tenue d'élections fédérales anticipées...
...
Élection à la majorité relative de Bodo Ramelow , ministre-président du Land de Thuringe, mercredi 4 mars 2020
Allemagne : Bodo Ramelow, candidat de Die Linke, l'emporte sur l'extrême droite en Thuringe
Bodo Ramelow était opposé à Bjorn Höcke, le chef de file de la frange la plus radicale de l'AfD, « L'Aile », surveillée par les services de renseignements.
Article publié par Le Monde avec AFP, mercredi 4 mars à 21h51
Le président sortant, M. Ramelow, 64 ans, a été élu avec une majorité relative de 42 voix sur 92 par le Parlement de Thuringe. JENS SCHLUETER / AFP
Au terme d'un mois de paralysie, Bodo Ramelow, le candidat de Die Linke, a été élu mercredi 4 mars à la tête de la région de Thuringe en Allemagne, face à un candidat d'extrême droite et sans l'aide des conservateurs d'Angela Merkel.
Cette élection met un terme, provisoire, à une crise politique qui a pris une ampleur nationale et déstabilisé le mouvement de la chancelière, tiraillé entre la tentation d'un soutien à l'extrême droite et la gauche radicale.
Président sortant, M. Ramelow, 64 ans, a été élu avec une majorité relative de 42 voix sur 92 par le Parlement de cette région enclavée de l'ex-Allemagne de l'Est, grâce notamment au soutien des sociaux-démocrates du SPD et des écologistes. Les conservateurs de l'Union démocrate-chrétienne (CDU) et les libéraux du FDP se sont, eux, abstenus. Le visage fermé, après plusieurs semaines de blocage et de tractations en coulisse, Bodo Ramelow a prêté serment dans la foulée de la proclamation de sa victoire.
Opposé lors des deux premiers tours à Bjorn Höcke, le chef de file de la frange la plus radicale de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), « L'Aile », surveillée par les services de renseignements, il a finalement été élu à la majorité relative au troisième tour, après le retrait de son adversaire.
En février, l'élection surprise du candidat du petit parti libéral FDP, grâce aux voix de la CDU et de l'extrême droite de l'AfD, avait provoqué un séisme en Allemagne et au sein du parti de la chancelière, brisant un tabou datant de l'après-guerre.
Lire aussi « Tremblement de terre politique » en Allemagne, où un président de région est élu avec les voix de l'extrême droite
Face au tollé, le dirigeant libéral avait dû renoncer vingt-quatre heures après à ses fonctions, plongeant les institutions dans la paralysie. Cette crise politique a eu des répercussions jusqu'à la tête de la CDU, la dauphine d'Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer, renonçant à présider le parti et à viser la chancellerie en 2021, faute d'autorité sur ses troupes en Thuringe.
Jusqu'au bout une malédiction a semblé s'acharner sur cette région. Le nouveau coronavirus a en effet menacé dans les dernières heures la tenue du scrutin. Un élu CDU, potentiellement exposé au Covid-19, a dû subir un dépistage, qui s'est révélé mardi soir négatif. Dans le cas contraire, l'élection aurait été reportée sine die.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi La démission du dirigeant de la région allemande de Thuringe ne met pas fin à la tempête
Le refus de la CDU de voter pour l'extrême gauche
Le parti d'Angela Merkel, qui élira le 25 avril un nouveau président et probable candidat à la chancellerie l'an prochain, avait jusqu'ici toujours exclu de voter pour des candidats de l'extrême gauche, du fait notamment de leurs liens présumés avec l'ancien régime est-allemand.
Friedrich Merz et Armin Laschet, deux candidats à la succession de Mme Kramp-Karrenbauer, partagent un même refus de voter pour l'extrême gauche, y compris face à un candidat d'extrême droite. Pour les aider à résoudre ce dilemme, M. Ramelow leur a demandé, mercredi matin, « de s'abstenir de voter » pour lui, soulignant qu'il était prêt à attendre le troisième tour de l'élection, où le candidat peut être élu au plus grand nombre de voix.
...