Helmut Schmidt⚓
Helmut Schmidt (1918-2015), chancelier de 1974 à 1982
Helmut Schmidt, chancelier de l'amitié franco-allemande
Article publié Par Nathalie Versieux, correspondante à Berlin de Libération, le 10 novembre 2015 à 15:22
Helmut Schmidt, alors ministre de la Défense, en novembre 1970 à Munich Photo AFP
Figure marquante des années 70, il est décédé mardi à l'âge de 96 ans.
L'ancien chancelier allemand social-démocrate Helmut Schmidt est décédé à Hambourg à l'âge de 96 ans. Il était devenu au fil des années une sorte de vieux sage de la politique allemande, malgré un bilan d'autant plus modeste lors de son passage au pouvoir (1974-1982) qu'il a été chancelier au cours d'une période noire de l'histoire du pays, marquée par la première crise du pétrole, la guerre froide et le terrorisme de la Fraction Armée Rouge (RAF).
En Allemagne, tout le monde connaissait cette silhouette fragile, surmontée d'une abondante chevelure blanche, regard pétillant derrière un nuage de fumée : Helmut Schmidt n'a jamais respecté la moindre législation antitabac, enfumant les plateaux de télévision ou les soirées de premières au théâtre, lorsqu'il grillait cigarette sur cigarette au premier rang, au côté de son épouse Hannelore dite «Loki», dont il a partagé la vie pendant 68 ans.
Helmut Schmidt en septembre 2010 à Berlin. (AFP)
Une jeunesse sous le nazisme
Helmut Schmidt est né en décembre 1918 à Hambourg. Son père, Gustav, est l'enfant illégitime d'un banquier juif allemand et d'une serveuse. L'enfant sera adopté par la famille Schmidt, tous deux enseignants.
Comme tous les Allemands de sa génération, le jeune Helmut rejoint en 1937 les organisations de jeunesse hitlériennes, puis est enrôlé, et se bat sur le front est. Son attitude sous le nazisme est contestée. Plusieurs documents nazis, cités par la journaliste Sabine Pamperrien, font état d'un zèle particulier du jeune soldat, salué pour «son attitude nazie parfaite» ou pour «savoir faire partager ses idées nationales-socialistes».
Petit-fils d'un Juif, il n'a pas obtenu le poste qu'il briguait chez les parachutistes. Fait prisonnier par les Britanniques en 1944, il n'a jamais nié avoir été influencé par les chemises brunes. Mais il a toujours affirmé avoir aussi été dans l'opposition. Libéré en août 1945, il entame des études d'économie et de sciences politiques à Hambourg, où il entame une carrière de politicien régional.
Son essor débute en 1962, pendant les crues historiques qui dévastent le nord de l'Allemagne. Helmut Schmidt a 43 ans. Chef de la police à Hambourg, il prend la direction des opérations, ordonnant à l'armée de prêter main forte aux secouristes, ce que son mandat ne lui permet pas. La «légende» Schmidt naît à cette époque. Pragmatique, il est un homme d'action, pas un théoricien. En 1974, lorsque le chancelier social-démocrate Willy Brandt est acculé à la démission, pour une sombre histoire d'espionnage dans son entourage, Helmut Schmidt, qui a été ministre de la Défense puis des Finances, fait figure d'homme providentiel.
«Ne pas laisser la sécurité l'emporter sur la liberté»
C'est l'époque de la première crise pétrolière. L'économie allemande s'effondre. Le système politique aussi, confronté au terrorisme de la RAF. Face aux enlèvements et aux attentats, Helmut Schmidt refuse l'abandon de certaines règles démocratiques au nom de la lutte antiterroriste. «L'épreuve consiste à ne pas laisser la sécurité l'emporter sur la liberté. Nous nous élevons contre une vague d'intolérance que certains veulent propager dans le pays», déclare-t-il. Le patron des patrons allemands, Hans Martin Schleyer, sera tué par la Fraction armée rouge en octobre 1977.
Helmut Schmidt avec Valéry Giscard d'Estaing en 1977.
A l'international, son action est surtout marquée par son étroit partenariat avec Valéry Giscard d'Estaing, élu président trois jours après l'arrivée de Schmidt au pouvoir. A partir de là s'enchaînent d'importantes étapes de la politique communautaire. Contraint de quitter le pouvoir en 1982, Helmut Schmidt reste député jusqu'en 1987, avant de se retirer de la politique active. Devenu co-éditeur de l'hebdomadaire Die Zeit en 1983, il continue de commenter régulièrement la vie politique allemande. Cette position de sphinx politique explique largement sa popularité. Longtemps, Helmut Schmidt a été l'homme politique préféré des Allemands, devant Angela Merkel.
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Mort d'Helmut Schmidt, ex-chancelier et artisan de l'amitié franco-allemande
Article publié par Daniel Vernet dans le Monde le 1er octobre 2014 - Mis à jour le 11 novembre 2015.
L'ancien dirigeant social-démocrate de la République fédérale d'Allemagne est mort le 10 novembre à l'âge de 96 ans.
L'ancien chancelier allemand Helmut Schmidt, est mort le 10 novembre à l'âge de 96 ans, ont annoncé des médias allemands, en citant un de ses médecins et son entourage. Son état de santé s'était nettement dégradé au cours du week-end.
La première fois que les Américains avaient vu à la télévision Helmut Schmidt renifler une poudre brune qu'il venait de déposer soigneusement sur le dos de sa main, ils avaient cru que le chancelier de la République fédérale d'Allemagne était un junkie. En fait, ce fumeur impénitent essayait, sur les conseils de son cardiologue, de substituer le tabac à priser à la cigarette. En vain. Jamais il n'a pu se séparer de ses cigarettes mentholées, qu'il consommait à la chaîne, quitte à braver l'interdiction de fumer dans les lieux publics. C'est d'ailleurs en partageant une première cigarette qu'il fit, au collège, en 1932, la connaissance d'Hannelore « Loki » Glaser, avec qui il restera marié pendant près de sept décennies, jusqu'à la mort de celle-ci en octobre 2010.
De la dépendance au tabac, il avait fait un genre littéraire. Pendant plusieurs années, pour l'hebdomadaire Die Zeit, dont il était devenu un des éditeurs après avoir quitté le pouvoir, il répondit aux questions du rédacteur en chef Giovanni di Lorenzo, de quarante ans son cadet, « le temps d'une cigarette ». « De merveilleux petits entretiens, frivoles, subversifs, très divertissants et souvent d'une grande pertinence politique et historique », a jugé la Süddeutsche Zeitung, lors de la parution du recueil de ces dialogues, un livre arrivé immédiatement en tête des ventes.
L'ex-chancelier lors d'une cérémonie organisée pour ses 95 ans en 2014 à Hambourg FABIAN BIMMER / REUTERS
Ami avec Valéry Giscard d'Estaing
Son passage à la chancellerie avait été relativement bref, huit ans contre quatorze pour Adenauer, ou seize pour Helmut Kohl ; son nom n'était lié à aucune réalisation spectaculaire, comme l'Ostpolitik, la politique de normalisation avec les pays communistes, pour Willy Brandt, ou la réunification de l'Allemagne, pour Helmut Kohl. Pourtant, il était devenu le « vieux sage » de la République, dont les avis étaient toujours attendus avec intérêt, que ce soit sur la montée de la Chine, les interventions extérieures de la Bundeswehr qu'il désapprouvait – que sont allés chercher les Occidentaux en Afghanistan, se plaisait-il à répéter, un pays auquel ils ne comprennent rien ? –, ou la monnaie européenne qu'il avait anticipée sous la forme du système monétaire européen avec son ami Valéry Giscard d'Estaing.
Tout apparemment séparait l'aristocrate sorti de Polytechnique et de l'ENA et le social-démocrate issu d'une famille modeste qui, ministre, continuait d'habiter une sorte de HLM dans le centre de Bonn. Mais chacun était fasciné par l'intelligence de l'autre. C'est à Giscard d'Estaing qu'Helmut Schmidt fera la confidence de ses origines juives, par son grand-père paternel, avant que la famille ne soit « aryanisée » pour échapper aux persécutions.
La collaboration entre les deux hommes, commencée au début des années 1970 quand ils étaient tous les deux les grands argentiers de leur pays, s'est poursuivie au sommet à partir du printemps 1974 alors que l'un accédait à la présidence de la République française, tandis que l'autre devenait chancelier fédéral. Après de Gaulle et Adenauer, avant Mitterrand et Kohl, Giscard d'Estaing et Schmidt ont formé ce qu'on a coutume d'appeler un de ces « couples franco-allemands » indispensables à l'Europe. Helmut Schmidt était convaincu que l'Allemagne pouvait avoir des idées mais qu'à cause de son histoire tragique, elle devait laisser la France les présenter.
En 1979, Helmut Schmidt avec le président français Valéry Giscard d'Estaing à Bonn. AP
Une jeunesse marquée par la guerre
Il était né le 23 décembre 1918 à Hambourg. Après le baccalauréat, il se destine à une carrière d'architecte, mais la guerre en décide autrement. Engagé dans la défense anti-aérienne, il finira lieutenant, sans avoir jamais appartenu au parti nazi. Après la défaite, il est brièvement interné dans un camp britannique où il croise la route d'un socialiste chrétien qui le convertit à la social-démocratie. Il choisit les études d'économie. Son diplôme en poche, il travaille dans l'administration de la ville-Etat de Hambourg sous les ordres de Karl Schiller. Une décennie plus tard, il lui succédera comme ministre fédéral des finances.
Il se lance dans la politique. Elu au parlement local, il devient en 1961 membre du Sénat (gouvernement) du Land de Hambourg, responsable des affaires intérieures. A ce titre, il organise la lutte contre les grandes inondations de 1962. Son sens de l'initiative et du commandement lui vaut une grande popularité qui dépasse les limites de la ville. Il y gagne un surnom : « der Macher », celui qui agit, par opposition à l'idéologue ou au rêveur. « Celui qui a des visions doit aller chez le docteur », avait-il coutume de dire.
Un nouveau surnom apparaît : « Schmidt-Schnauze », « Schmidt-la-grande-gueule », à cause d'un art oratoire dont ses adversaires font les frais
Lors de la première grande coalition entre les Partis chrétien-démocrate (CDU) et social-démocrate (SPD), il est chargé de maintenir la discipline en tant que président du groupe parlementaire SPD au Bundestag. Un nouveau surnom apparaît : « Schmidt-Schnauze », « Schmidt-la-grande-gueule », à cause d'un art oratoire dont ses adversaires font les frais. A l'arrivée au pouvoir de la coalition social-libérale (SPD-FDP), il est nommé ministre de la défense. Il devient vite un expert des affaires militaires et de l'équilibre de la terreur. Dix ans plus tard, il sera à l'origine du déploiement des euromissiles américains pour faire face aux SS20 que les Soviétiques ont pointés sur l'Europe occidentale.
Victime de la crise des euromissiles
En 2009. Daniel Roland / AP
Après la reconduction triomphale du gouvernement SPD-FDP en 1972, il est ministre des finances. Participe-t-il à la conjuration ourdie par le vieil Herbert Wehner, le Père Joseph de la social-démocratie allemande, qui ne supporte plus les états d'âme, les hésitations politiques et les conquêtes féminines du chancelier Willy Brandt ? Toujours est-il qu'à la démission de ce dernier en mai 1974, l'accession d'Helmut Schmidt à la chancellerie apparaît naturelle. Il affronte deux crises et un défi : la flambée des prix du pétrole, les manifestations pacifistes contre les euromissiles et la vague terroriste de la Fraction armée rouge.
Il maîtrise la première en écornant quelque peu l'orthodoxie allemande – « mieux vaut 5 % d'inflation que 5 % de chômage », disait-il en référence aux deux épouvantails de la démocratie allemande d'après-guerre. Les prises d'otages et les assassinats de personnalités par la bande à Baader lui posent des cas de conscience, mais il choisit la fermeté. En revanche, il ne résistera pas aux divisions de son parti dans la crise des euromissiles. En 1982, les libéraux abandonnent l'alliance avec le SPD et se tournent vers les chrétiens-démocrates d'Helmut Kohl. Helmut Schmidt est amer d'être remplacé par ce gros provincial qu'il méprise alors, au point d'avoir toujours refusé de débattre publiquement avec lui. Les années passant, les relations entre les deux hommes se sont apaisées.
Avec l'âge aussi, Schmidt-la-grande-gueule avait perdu de son arrogance. La surdité l'empêchait de s'adonner à la musique qui avait toujours été son refuge contre les vicissitudes de la vie politique. Mais quand sa signature apparaissait à la « une » de Die Zeit, les ventes augmentaient ipso facto. Et quand il participait aux conférences de rédaction de l'hebdomadaire, les jeunes journalistes se pressaient pour profiter de ses analyses qui n'avaient rien perdu de leur acuité.
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Éditorial. Les leçons d'Helmut Schmidt (1918-2015)
Article publié par Hélène Miard-Delacroix Dans Allemagne d'aujourd'hui 2015/4 (N° 214), pages 3 à 5 [1]
1Il est certains hasards qui apparaissent à l'esprit comme des concomitances troublantes. Ils ont au moins le mérite d'aider à penser. Ainsi en va-t-il de la disparition d'Helmut Schmidt, à l'âge de 96 ans le 10 novembre 2015, trois petits jours avant les attentats terroristes qui ont ensanglanté Paris et conduit le gouvernement français à décréter l'état d'urgence. Dans la seconde partie des années 1970, Helmut Schmidt, alors chancelier fédéral, avait été confronté au défi du terrorisme d'extrême gauche qui avait déclaré la guerre au « système capitaliste impérialiste » exécré. La guérilla urbaine, les attentats, les enlèvements et assassinats de personnalités incarnant cet objet de détestation avaient placé la jeune démocratie allemande face au dilemme de devoir limiter des libertés pour défendre l'ordre libéral démocratique. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » : la célèbre formule d'Antoine de Saint-Just utilisée pour justifier la Terreur à la fin du XVIIIe siècle connut alors une actualité improbable dans la République de Bonn. Les modifications du Code pénal avec en particulier la « loi antiterroriste » du 18 août 1976 [2] Il s'agit de l'ajout du § 129a au Code pénal allemand (StGB). valurent à Helmut Schmidt d'être autant approuvé par les tenants de l'ordre, notamment dans l'opposition conservatrice, que critiqué jusque dans son propre parti par les opposants à tout état d'exception, au nom de la défense de la liberté. Ces débats intérieurs à l'Allemagne fédérale ont été révélateurs de la culture politique du pays trente ans après le nazisme. Fallait-il approuver le recours à des moyens exceptionnels pour gérer des situations de crise ? C'est déjà ainsi qu'Helmut Schmidt s'était fait un nom lors des inondations catastrophiques de Hambourg, en 1962. L'issue heureuse de son intervention comme ministre régional de l'Intérieur avait fait passer le fait qu'en l'absence de son ministre-président il se soit arrogé le pouvoir de réquisitionner l'armée. Le 13 octobre 1977, le détournement d'un appareil de la Lufthansa vers Mogadiscio par des terroristes palestiniens réclamant la libération des prisonniers de la Fraction armée rouge Baader, Ensslin et Raspe plaça Schmidt devant la décision sans doute la plus difficile de sa longue vie. En ordonnant l'assaut de l'unité d'élite GSG-9 au péril de la vie des otages, il choisit ce que dictait l'éthique de la responsabilité selon Max Weber. C'est ce qu'il confia alors aux membres de la cellule de crise : chancelier, il devait incarner la fermeté face aux terroristes qui faisaient un hold up sur la violence légitime de l'État, mais en cas d'échec il assumerait les conséquences en démissionnant.
2 Le chancelier de la crise. C'est longtemps l'image qui resta de ses années au pouvoir, avant que le long automne de sa vie transforme ce patriarche au verbe sec et au penchant invétéré pour le tabac en véritable sage de la République. Au moment où les hommages unanimes le présentent comme « l'homme du siècle », on perd de vue que quand il a été mis en minorité par le Bundestag le 1er octobre 1982, son bilan intérieur n'était pas très bon, sa politique économique jugée hasardeuse et son image ternie au SPD par son engagement en faveur du déploiement des euromissiles en Allemagne fédérale. Et quand, moins de dix ans plus tard, son successeur Helmut Kohl mena à bien la réunification, on crut vraiment que Schmidt était définitivement éclipsé par les deux figures appelées à rester dans l'Histoire, le chancelier de l'Ostpolitik Willy Brandt et celui de l'unité Helmut Kohl. Or, avec le recul et la sagesse qui en découle souvent, l'action de Schmidt a été réévaluée. Toutes choses égales par ailleurs, le début du XXIe siècle est frappé par une grande actualité des défis qui marquèrent son époque : crise économique mondiale, terrorisme, menaces diverses, prolifération nucléaire.
3 Le parcours d'Helmut Schmidt raconte aussi beaucoup de l'Allemagne du XXe siècle. Né en 1918 à Hambourg dans une famille de la petite classe moyenne cultivée, il reçoit de ses parents instituteurs une éducation marquée autant par la rigueur que par le goût des arts. C'est du fait de la mise au pas des associations et donc de son club de rameurs qu'il se retrouve membre des Jeunesses hitlériennes. Souvent, plus tard, il dira ne pas être né au bon moment : trop tard pour avoir pu comme Willy Brandt se forger une conscience politique avant l'arrivée des nazis et trop tôt pour échapper à trois années de service militaire juste avant que l'Allemagne se précipite dans la guerre et lui impose de porter l'uniforme pendant huit ans. Il évoquera la schizophrénie de combattre avec discipline le jour et espérer la nuit que le régime criminel s'écroule vite. Libéré de captivité où il a découvert la social-démocratie, ses études d'économie le font rencontrer le professeur Karl Schiller, futur ministre fédéral SPD de l'Économie entre 1966 et 1972 auquel d'ailleurs lui-même succédera comme « superministre » de l'Économie et des Finances. Député au Bundestag en 1953 puis ministre de l'Intérieur à Hambourg en 1962, Schmidt porte les valeurs du virage réformiste de Godesberg. Réélu au Bundestag en 1965, il devient expert pour les questions de défense, un domaine avec lequel le SPD entretient une relation complexe. Pendant la Grande coalition il dirige le groupe parlementaire social-démocrate avec le pragmatisme indispensable pour coopérer avec son homologue Rainer Barzel du groupe CDU/CSU. D'ailleurs beaucoup de chrétiens-démocrates répètent que ce talentueux Schmidt n'a pas choisi le bon parti. Ce n'est pas juste si l'on considère ses convictions ; mais il n'est pas faux que Schmidt a maintes fois irrité les camarades du SPD, en particulier la gauche du parti et les Jusos. Avec ses formules acérées restées célèbres il fustigea les idéologues « qui s'occupent de la crise de leur propre cerveau au lieu de voir les conditions économiques auxquelles on est confronté ». D'ailleurs « quand on a des visions il faut aller d'urgence chez le médecin ».
4 Sa préférence pour le réalisme et la lucidité a fondé son pragmatisme et lui a valu son surnom de « Macher ». Celui qui prend les problèmes à bras-le-corps et s'attache à les résoudre. Ils ne manqueront pas dans ses postes de ministre fédéral de la Défense (1969-1972), de l'Économie et des Finances (juillet-novembre 1972) puis des seules Finances (novembre 1972-1974). La République fédérale subit les effets du premier choc pétrolier lorsqu'il succède à Brandt démissionnaire et est élu chancelier le 16 mai 1974. Il faut coordonner les politiques économiques des Européens pour éviter un sauve-qui-peut national dans une récession généralisée. Élaborer des dispositifs communautaires pour protéger les monnaies de l'instabilité propice à la dépression. Profiter de l'entente inattendue avec Valéry Giscard d'Estaing pour pousser à la création du Système monétaire européen (SME). Maintenir le contact avec l'Union soviétique et l'Europe de l'Est malgré le regain de tension internationale. Et combattre les ennemis de l'intérieur selon le précepte qu'il faut prendre le mal à la racine (Wehret den Anfängen). Si cette approche s'applique aux terroristes, Schmidt a été beaucoup plus réticent quant aux mesures de lutte contre l'extrémisme non violent prises sous Brandt et qui ont été dénoncées comme « interdictions professionnelles ». Au nom même de la défense des libertés qui fonde l'Allemagne démocratique et constitue une responsabilité collective. La tâche du politique est, selon ses mots au congrès du SPD de Hambourg le 24 novembre 1978, de trouver les moyens adéquats et ne pas utiliser « des canons pour tirer sur des moineaux » [3] Helmut Schmidt Archiv, AdSD, FES Bonn, 1/HSAA009421.
5 Helmut Schmidt a été le premier et jusqu'alors le seul chancelier fédéral à devoir se retirer à l'issue d'un vote de défiance constructif du Bundestag, en octobre 1982, suite à la défection du partenaire libéral de la coalition gouvernementale qui tenait depuis treize ans. Au SPD même il était contesté. Lors du congrès des 18 et 19 novembre 1983, seuls une douzaine de délégués sur 400 votèrent pour l'application de la double-décision de l'OTAN dont il avait été l'initiateur quatre ans plus tôt. Un vrai désaveu du parti - même si Schmidt eut la satisfaction de voir le déploiement des euromissiles approuvé par la nouvelle majorité chrétienne-libérale du Bundestag. Il ne quitta pas le parti mais resta en retrait. Il ne se représenta plus aux législatives après 1987. Il se concentra sur son nouveau métier d'ancien chancelier et surtout de directeur de l'hebdomadaire libéral Die Zeit qu'il a exercé pendant près de trente ans sans jamais être vraiment à la retraite. Un elder statesman qui écrit plus d'un livre par an et qui commente ce qu'est devenu le monde. Notamment les crises qu'il avait prédites. Le temps avançant, il est devenu le patriarche le plus consulté et le fumeur le plus pardonné [4] On pourra relire l'article d'Hélène Miard-Delacroix publié dans.... L'homme du siècle, vraiment ? Un grand monsieur sans aucun doute, convaincu que l'Allemagne ne cesserait jamais de devoir assumer la responsabilité issue du passé mais aussi qu'elle devait oser regarder le vaste monde [5] Interview Helmut Schmidt « Je ne comprends rien à la France..., qu'elle ne pouvait en aucun cas jouer une autre carte que l'alliance avec la France mais aussi que les Allemands devaient être fiers de ce qu'ils avaient réalisé après l'époque de la barbarie brune, que la République fédérale avait la meilleure constitution qui fût mais qu'il fallait s'appliquer à toujours penser ensemble démocratie, liberté, droit et justice. Car c'est, pour les sociaux-démocrates, « une marque de fabrique, une caractéristique des valeurs fondamentales qui nous tiennent ensemble » [6] Cité in : Die Zeit, 23. 9. 1977. Le tenir ensemble, dans les nouvelles épreuves que réserve sans cesse le présent, c'est une des nombreuses leçons à retenir d'Helmut Schmidt.
Notes
[1] Rédigé le 22 novembre 2015.
[2] Il s'agit de l'ajout du § 129a au Code pénal allemand (StGB).
[3] Helmut Schmidt Archiv, AdSD, FES Bonn, 1/HSAA009421
[4] On pourra relire l'article d'Hélène Miard-Delacroix publié dans Allemagne d'aujourd'hui à l'occasion des 90 ans d'Helmut Schmidt, « Helmut Schmidt, le retour en grâce du premier ‘chancelier de la crise' », Allemagne d'aujourd'hui, n° 188, 2009, p. 26-29.
[5] Interview Helmut Schmidt « Je ne comprends rien à la France même si j'ai compris Giscard », Au Fait, n° 1, mai 2013, p. 58-77.
[6] Cité in : Die Zeit, 23. 9. 1977
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2016 https://doi.org/10.3917/all.214.0003
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