Helmut Kohl⚓
Helmut Kohl (1930-2017), chancelier de 1982 à 1998
Helmut Kohl, le chancelier bâtisseur Il a réunifié l'Allemagne et fait avancer l'Europe
Article publié par Vincent de FELIGONDE dans Les Echos, lundi 28 septembre 1998 2197 mots.
BILAN D'UN POIDS LOURD En quatre mandats et seize années de gouvernement, le chancelier Kohl s'est assuré une place de marque dans les livres d'histoire. Même s'il a manqué, dimanche, une cinquième investiture. Sa longévité politique, qui surpasse celle de Konrad Adenauer, est un record depuis la création de la République fédérale. La réunification allemande, qu'il géra de main de maître, et ses efforts pour consolider le couple franco-allemand et la construction européenne en font l'un des personnages clefs de cette fin de siècle.
Ce soir-là, le " géant noir ", le plus ancien dirigeant élu d'Europe et l'un des plus grands politiques de cette fin de siècle, fait grise mine. Calé dans son siège, dans la tribune du stade Gerland, à Lyon, le chancelier allemand, qui peine déjà à " s'occuper des souris " - les sociaux-démocrates - qui empoisonnent la course à sa réélection, assiste, impuissant, à la déroute de la Mannschaft, étrillée par la Croatie en quarts de finale de la Coupe du monde de football. Helmut Kohl ne s'était pas rendu dans le Rhône sans arrière-pensées politiques. Supporter à ses heures (au point de se tenir informé, durant les sommets internationaux, des résultats de Kaiserslautern, l'équipe phare de son Palatinat), il connaît la résonance d'un sport devenu, à l'image du mark, un symbole fédérateur de l'identité nationale. Mais l'arme s'est retournée contre lui. Au point que les analystes ont annoncé ce jour-là, le 4 juillet dernier, le " crépuscule du chancelier " . Le politique Helmut Kohl et le joueur Lothar Matthäus, le plus sélectionné de l'équipe allemande, cloués au même pilori par la presse allemande : " Quelques chefs dominants ont occupé pendant des décennies les meilleures places sans laisser une seule chance à la concurrence... "
Il aura fallu seize années pour déloger un chancelier que beaucoup avaient d'abord jugé lourdaud, provincial et sans envergure, avant de le croire indéboulonnable. Le colosse avait souvent mordu la poussière. Ses rivaux s'y étaient usés les griffes. Lui s'était à chaque fois relevé. " Mes adversaires, a-t-il souvent ironisé, gagnent toujours dans les sondages et moi aux élections. " Nommé à la tête du gouvernement allemand en 1982, il a, avant de perdre sa majorité parlementaire dimanche, remporté les élections générales à quatre reprises, en 1983, 1987, 1990 et 1994. Il a certes bénéficié, pour cela, d'une dose non négligeable de ce que les Allemands appellent " la bonne fortune ". Sans la réunification, son règne se serait sans doute achevé plus tôt.
" Ça, c'est un vrai politique "
Mais Helmut Kohl, incarnation de la classe moyenne allemande, provinciale, chrétienne et conservatrice, sut forcer son destin et apprivoiser la chance. Ce n'est pas un tribun. Les affaires courantes ont une fâcheuse tendance à l'ennuyer. Il commet parfois des bévues dignes d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, lorsqu'il compare, au tout début de la perestroïka, les talents de Mikhaïl Gorbatchev à ceux de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande de Hitler, ou répond aux chômeurs que " l'Allemagne n'est pas un parc de loisirs ". Pourtant, il n'est jamais aussi dangereux que lorsqu'il est menacé. C'est un animal politique, un lutteur, pragmatique, instinctif, plein de bon sens, doté d'une énergie et d'une ténacité sans faille. " Le dernier grand ", selon un diplomate européen. Quand d'autres font de la politique, lui la sent. " Il renifle bien ", résumait l'hebdomadaire " Die Zeit " en octobre 1990. " Ça, c'est un vrai politique " , se serait un jour exclamé Jacques Chirac lors d'un sommet européen, devant la prestation du chancelier.
Pourquoi, alors, n'a-t-il pas su s'arrêter ? Parce que ce colosse d'un mètre quatre-vingt-treize et de quelque 130 kilos - son poids étant, de son propre aveu, un " secret d'Etat " - est un boulimique du pouvoir. Sûr de lui jusqu'à la présomption, il déteste reculer devant l'obstacle. " Il pense qu'il a le souffle le plus puissant et le plus long " , a écrit le professeur de civilisation allemande Joseph Rovan, qui connaît le chancelier depuis un quart de siècle (1). " Prenez un joueur. Il ne joue pas pour l'argent. S'il gagne, il remet tout en jeu. Il joue pour jouer. Il en va de même en politique. C'est le pouvoir pour le plaisir de l'exercice du pouvoir. " Cette théorie développée par François Mitterrand, un maître en la matière, colle parfaitement à Helmut Kohl. C'est un professionnel de la politique, qui a grimpé une à une, patiemment, les marches du pouvoir, éliminant sans états d'âme tous ceux qui pouvaient lui faire de l'ombre, et construisant au passage un formidable réseau d'amitiés et de dépendances mutuelles. Un roc, pétri de politicaillerie locale, qui a toujours vécu pour et par sa famille politique, le Parti chrétien-démocrate.
Enfant, le " géant noir " (2) n'est encore que " la Perche ". Mais il en a déjà l'envergure et trouve très vite sa voie. " Fermez donc la gueule de ce bouledogue ! ", se serait un jour écrié un leader local de la CDU à Ludwigshafen, tandis que le jeune Helmut prenait la parole lors d'un meeting, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il n'a pas dix-sept ans quand il rejoint les rangs du Parti chrétien-démocrate, en 1947. Doté d'un doctorat d'histoire contemporaine - il paie ses études en travaillant comme ouvrier fraiseur chez BASF -, il entre, à vingt-cinq ans seulement, au comité directeur de la CDU de son Land, la Rhénanie-Palatinat. Quatre ans plus tard, il est élu député à la Diète de Mayence. Puis devient, en 1969, le plus jeune chef de gouvernement du Land de Rhénanie-Palatinat, avant d'accéder à la présidence de la CDU, en 1973. Kohl avance à coups de massue. Sa progression est fulgurante. Il a alors quarante-trois ans et n'est plus, du moins en théorie, qu'à un dépouillement de voix de la chancellerie...
Seize années de règne
La dernière marche fut pourtant la plus difficile à grimper. Bruno Heck, ministre et secrétaire général de la CDU à la fin des années 60, avait un jour prédit à Helmut Kohl : " Tu finiras par devenir chancelier, mais il te faut davantage de rides. " Il ne s'était pas trompé. Doté d'un slogan de campagne sans éclat - " Nous bâtissons le progrès sur la stabilité " -, le leader chrétien-démocrate est battu d'extrême justesse, en 1976, par le social-démocrate Helmut Schmidt et ses alliés libéraux. Quatre ans plus tard, il est même contraint de s'effacer devant le " taureau de Bavière ", Franz Josef Strauss, qui réclame et obtient que la CSU porte les couleurs des unions chrétiennes-démocrates. Kohl ronge son frein. Comme Ludwig Erhard, le père de l'économie sociale de marché et du miracle économique allemand, à qui il se réfère souvent, il est animé d'un " optimisme indestructible " . Le moment venu, en 1982, à la faveur d'un retournement d'alliance du petit parti libéral FDP, il ne lâchera pas sa proie.
1989 : " la roue de l'Histoire tourne "
Ses seize années de règne en ont fait le chancelier le plus titré de l'histoire de la jeune République fédérale et l'un des plus grands politiques de cette fin de siècle. Certes, il n'est pas parvenu à battre le record de longévité politique du " chancelier de fer ", Otto von Bismark, ni même celui de l'ancien numéro un est-allemand, Erich Honecker, resté respectivement - mais sans passer par les urnes - dix-neuf et dix-huit ans à la tête de leur pays. Mais il peut s'enorgueillir d'avoir dépassé son mentor, l'ancien chancelier chrétien-démocrate Konrad Adenauer. La performance pourrait à elle seule le faire entrer dans les livres d'histoire. Cela n'aurait pas suffi à satisfaire son appétit. Helmut Kohl a beau être un homme simple, qui retourne dès qu'il le peut dans sa maison d'Oggersheim, une banlieue aisée de Ludwigshafen, adore l'estomac de truie farci et affirme n'avoir l'esprit taraudé, la nuit, que par l'envie d'aller " piller le réfrigérateur " , l'histoire, il la voulait avec un grand " H ". Et il l'a eue. A la faveur de la réunification des deux Allemagnes.
" Même en politique , avait coutume de dire Konrad Adenauer, il n'est jamais trop tard. " Helmut Kohl ne saurait contredire la formule de son père spirituel. En septembre 1989, le chancelier semble en perdition. Au plus bas dans les sondages, soupçonné de ne pouvoir conduire une troisième fois son camp à la victoire, il doit même étouffer une tentative de putsch au sein de la CDU. Ses heures paraissent comptées. Politiquement, il est déjà donné pour mort. Mais le mur de Berlin vole en éclats, le 9 novembre 1989. Cet événement majeur, Helmut Kohl ne pensait assurément pas le voir de son vivant, mais il l'avait toujours jugé inévitable, parce que " personne ne peut empêcher les fleuves de couler vers la mer " . Le jour même, le chancelier allemand abrège sa visite d'Etat à Varsovie pour voir, selon ses propres termes, " la roue de l'Histoire tourner ". Il tournera avec.
L'homme que le magazine " Time " classait en 1973 parmi les " leaders politiques qui peuvent changer le siècle " ne met que 330 jours pour rattraper son destin. Le 3 octobre 1990, il est au faîte de sa gloire et, acclamé par la foule, il célèbre à Berlin, face au Reichstag, l'acte de naissance d'une nouvelle Allemagne de 80 millions d'habitants, par absorption de la RDA par la RFA. Un plus un égale un. L'identité et les engagements de l'Allemagne sont indemnes. La guerre froide s'achève.
L'affaire est menée tambour battant, grâce à des dispositions de la Loi fondamentale permettant à d'autres Länder d'accéder à la République fédérale : premières élections libres à l'Est, négociations 2 + 4 (les deux Allemagnes et les puissances garantes du statut quadripartite de 1945), union monétaire, union politique..., Helmut Kohl prend les choses en main, au risque de précipiter les événements, de bousculer les Allemands de l'Est et de brusquer les Occidentaux. C'est lui qui propose, parce que " des chances se dessinent pour surmonter la division de l'Europe et de notre patrie ", un " nouveau pas collectif " aux autorités est-allemandes, dans un " plan en 10 points " rédigé avec son ministre des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher . C'est lui qui arrache au numéro un soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, l'adhésion de l'Allemagne réunifiée à l'Otan. C'est encore lui qui impose, contre l'avis de la Bundesbank, le fameux " un contre un ". Le mark est-allemand est remplacé par le deutsche Mark, sur la base de un contre un, pour les salaires, pour les retraites comme pour les loyers.
Rendre au pays sa capitale historique
" Kohl a donné aux Allemands de l'Est l'illusion qu'ils allaient avoir les salaires de l'Ouest, alors que leurs produits étaient à peine vendables, fustige un historien. Tout ce qu'ils ont eu, ce sont des indemnités de chômage... " Kohl n'apprécie guère l'économie. Sa décision est un coup politique, et l'un des plus osés de l'histoire de la République fédérale. Il s'agit d'arrêter le flux des départs vers l'Ouest et de donner, conformément à la conviction libérale du chancelier, à la population est-allemande une parcelle du " miracle économique " de la République fédérale. C'est " le passé comme avenir ", martèle alors des spots télévisés, sous le portrait rassurant de Ludwig Erhard.
La réunification a coûté cher à l'Allemagne. Très cher. Plus de 1.000 milliards de marks. Et le chantier est loin d'être achevé. Les " paysages fleuris " imprudemment promis par un chancelier qui sous-estima l'ampleur de la tâche ne sont encore qu'à l'état de friches : plus de 17 % de la population active sont à la recherche d'un emploi dans les Länder de l'Est et le niveau de vie y reste inférieur à celui de l'Ouest. Wessis et Ossis se regardent encore souvent en chiens de faïence. Le Mur est aussi dans les têtes... Mais quel chemin parcouru, sans crise majeure, en l'espace d'une décennie !
" On ne juge pas un homme d'Etat sur le détail " , lâchent les proches du chancelier. " Nous nous aventurions en terre inconnue... " , a expliqué le chancelier dans un ouvrage sur l'unité allemande (3) : " Sur l'essentiel, je ne me suis pas trompé : si l'on traverse les nouveaux Länder en ouvrant grands les yeux et que l'on compare leur apparence actuelle à celle de 1990, on ne peut pas nier que nous avons bien avancé dans la reconstruction de l'Est. " Bismarck fut, en son temps, le premier réunificateur de l'Allemagne ; Adenauer restaura la légitimité de la RFA sur les cendres du régime nazi ; Kohl lui a rendu son visage et sa capitale historique, Berlin, dans une Europe unie.
Le chancelier chrétien-démocrate aurait-il pu rêver plus bel hommage que celui de Daniel Cohn-Bendit ? " Nous n'allons pas bien ensemble. Ni lui ni moi n'aurions envie de déjeuner ensemble. Pourtant , a un jour écrit l'ancien leader de Mai 68, député des Verts , Kohl restera pour moi l'homme qui aura su prendre position. Lui et moi, nous sommes, pour des raisons différentes, des Européens par passion. Cela restera toujours à mes yeux son mérite historique, d'avoir inséré solidement dans l'intégration européenne la réunification allemande... "
Car l'unité européenne et celle de l'Allemagne ne sont à ses yeux que " les deux faces d'une même médaille ". Sans la première, la seconde n'aurait " jamais pu voir le jour " . Attaché à l'ancrage du pays à l'Ouest, Helmut Kohl est un fervent partisan de la construction européenne, de l'amitié franco-allemande et de l'élargissement à l'Est, perçus comme une opportunité historique pour instaurer une paix " juste et durable " sur le Vieux Continent. " L'avenir de la nation allemande s'appelle l'Europe " , martèle celui qui, en 1947, alla avec de jeunes Français arracher quelques poteaux-frontières avant d'arroser l'événement à grandes rasades de vin : " Nous étions convaincus que c'était ça, l'Europe ! "
Helmut Kohl a eu, c'est vrai, la " grâce d'être né tard " - trop tard pour s'engager. Mais il n'en connaît pas moins l' " amère expérience " des conflits. Le Palatinat, où il est né le 3 avril 1930, est une région frontalière de la France " qui eut à souffrir de la furie de la guerre pendant des siècles, pratiquement à chaque génération " . Son oncle Walter est mort au front en 1914. Son frère aîné, prénommé lui aussi Walter, est tombé durant la Seconde Guerre mondiale. Lui-même dut prêter serment, à quinze ans, dans le stade de Berchtesgaden, devant le Führer, des Jeunesses hitlériennes, avant d'errer, pour retrouver ses parents, dans un pays dévasté par les bombes. Quant à sa femme, Hannelore, originaire d'Allemagne orientale, elle n'eut d'autre choix que de tout abandonner pour fuir, avec sa mère, l'avance des troupes soviétiques.
" Il s'est sacrifié sur l'autel de l'euro "
Lorsque les Kohl choisirent de prénommer leur deuxième fils Walter, la grand-mère ne manque pas de s'inquiéter : " N'est-ce pas tenter le sort ? " Le futur chancelier lui aurait alors promis de faire " le nécessaire " pour rompre avec cette malédiction. Il tiendra parole.
Patriote sans être nationaliste, Helmut Kohl cherche à réconcilier les Allemands avec leur passé. Il reconnaît la responsabilité de l'Allemagne dans l'Holocauste et scelle la réconciliation avec la France en se recueillant avec François Mitterrand, main dans la main, devant le monument aux morts de Verdun. L'image est forte. Le symbole aussi. Car ce sont ces deux hommes, devenus complices alors que tout semblait devoir les opposer, qui relancent une construction européenne embourbée par la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. Avec le président français et le président de la Commission européenne, Jacques Delors, il forge la " maison Europe ", celle du marché unique puis celle du traité de Maastricht, confortant au passage l'influence de l'Allemagne dans l'Union.
Kohl rêve des " Etats-Unis d'Europe ". Il se fait artisan de la monnaie unique, qu'il parvient à imposer à une population allemande viscéralement attachée au mark. Un titre de gloire dont il a payé le prix en termes de voix. " Helmut Kohl s'est sacrifié sur l'autel de l'euro " , affirme un haut fonctionnaire français, proche des dossiers européens. " Pour la plupart des hommes politiques, dont Schröder, l'Europe est affaire de raison. Chez Kohl, le coeur l'emporte ", explique un diplomate allemand. Et de poursuivre : " Peut-être un autre chancelier aurait-il été capable d'accompagner l'unification des deux Allemagnes. Mais pas l'euro. C'est lui qui, seul, a tenu le projet à bout de bras, en continuant sa voie, imperturbable, sans prendre au sérieux les protestations et les menaces. "
L'" armoire en chêne " (l'un des nombreux surnoms dont on l'a affublé) déteste céder sous la pression. " Il s'assoit sur les problèmes et fait le dos rond ", explique un député chrétien-démocrate. Mais cette tactique ne lui a pas toujours été favorable. Incapable d'imposer la " réforme fiscale du siècle " qu'il appelait de ses vœux pour relancer la croissance et l'emploi, le chancelier a écorné, en Allemagne, l'image de bâtisseur qu'il s'était forgée dans l'Union. Une expression s'est imposée les deux dernières années de son gouvernement : " Reformstau ", le " bouchon des réformes "
" Un ogre sympathique "
" Il y a un remède merveilleux contre l'outrecuidance que nous a enseignée le pape Jean XXIII " , a coutume d'affirmer le chancelier sortant. " Lorsqu'il se regardait dans un miroir, il avait l'habitude de se rappeler à l'ordre : Giovanni, ne te prends pas autant au sérieux ! " Helmut Kohl a beau avoir été le personnage le plus puissant d'Europe et tutoyer les grands de ce monde, il n'a jamais cédé - affirment ses amis - à la tentation de se faire arrogant. " Il est resté le même ", assurent-ils. Un homme simple qui se serait bien vu paysan, passe toujours ses vacances dans le même village d'Autriche et se plaît à faire - selon un habitué des sommets européens - des " plaisanteries de garçon de bain " . " Un ogre sympathique " , résume Hubert Védrine, le ministre français des Affaires étrangères, saluant un " homme d'Etat européen ".
Helmut Kohl n'a écrit qu'un seul livre, mitonné avec sa femme, sur les recettes culinaires de son pays, et on sait déjà que ce féru d'histoire n'écrira pas ses Mémoires. Comme il l'a affirmé, il y a quelques années, dans une interview au " Figaro ", le premier chancelier de la République fédérale battu par les urnes va " s'asseoir sur un banc ". " Pour regarder comment les autres s'en tirent... "
Note(s) :
(1) " L'Europe est notre destin ". Discours de Helmut Kohl, présentés et traduits par Joseph Rovan (Editions de Fallois, 1990). (2) Dans " Helmut Kohl " (Editions Fayard, 1996), Jean-Paul Picaper et Karl Hugo Pruys expliquent que ce surnom, référence à la couleur de la CDU, " parti clérical ", fait aussi allusion " au Géant blanc, un produit de lessive de l'époque qui lave plus blanc que blanc ". (3) " Je voulais l'unité de l'Allemagne ", par Helmut Kohl, présenté par Kai Diekmann et Ralf Georg Reuth (Editions de Fallois, 1997).
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Helmut Kohl est mort
Article publié par Klaus Dahmann et Sandrine Blanchard dans Deustsche Welle le 16 juin 2017.
L'ancien chancelier allemand Helmut Kohl est décédé, à l'âge de 87 ans. Avec lui, c'est une grande figure de la politique allemande d'après-guerre qui s'est éteinte.
Sa santé était chancelante depuis plusieurs années. Helmut Kohl a été chancelier de 1982 à 1998. Membre de la CDU, le parti chrétien-démocrate auquel appartient également Angela Merkel, Helmut Kohl a marqué toute une génération d'Allemands.
Le coup de dés de 1982
Le 1er octobre 1982, Helmut Kohl vit un moment de triomphe.
A la faveur d'une motion de censure dirigée contre le chef du gouvernement précédent Helmut Schmidt, celui qui est alors chef de l'opposition conservatrice est désigné chancelier par les députés ouest-allemands.
Il organise alors des élections législatives anticipées que son parti remporte et se maintient à la tête du gouvernement. Mais ses premières années au pouvoir ne suscitent pas d'engouement démesuré. Beaucoup lui reprochent de ne pas régler les problèmes intérieurs. Helmut Kohl répond aux critiques par de nombreux remaniements.
Des propos malencontreux
Sa visite, en compagnie du président américain Ronald Reagan, d'un cimetière où cohabitent des soldats allemands, américains, et des membres de la Waffen-SS lui attirent aussi de l'antipathie. Comme sa comparaison malheureuse du numéro 1 de l'Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, avec le chef de la propagande nazie, Joseph Goebbels. Et pourtant, ce sont justement les politiques de Perestroïka et la Glasnost initiées par Gorbatchev qui profiteront durablement à Helmut Kohl et donneront un coup de pouce à sa carrière. En octobre 1989, c'est la chute du Mur de Berlin.
En 1989/1990, le chancelier est adulé en Allemagne de l'Est
"Le chancelier de la Réunification"
Helmut Kohl est surpris, comme les autres, par les événements qui se précipitent et scellent la fin de la guerre froide. Le chancelier ouest-allemand est en déplacement en Pologne lorsque des Allemands venus de l'Est déferlent par milliers à l'ouest. Mais Helmut Kohl parvient à reprendre rapidement l'initiative et lance le fameux « plan en dix points » qui vise à réunifier au plus vite les deux Allemagne : la RFA à l'ouest et la RDA à l'est. Mais l'Allemagne réunifiée fait peur et Helmut Kohl doit rassurer ses voisins européens. Il déclare :
« Nous, les Allemands, avons tiré les leçons de l'histoire. Nous sommes un peuple pacifique, un peuple qui aime la paix. Pour nous, notre patrie, la liberté et l'esprit de bon voisinage vont ensemble, pour toujours. »
Quels paysages florissants?
Les années 1989/1990 marquent le zénith de la carrière politique d'Helmut Kohl. En ex-Allemagne de l'est, il est accueilli comme une star. Et c'est à ses compatriotes de l'ex-RDA qu'il promet ce qui restera dans les mémoires :
« Lorsque les mesures juridiques nécessaires seront prises, nous ne ferons pas venir ici des centaines, mais bien des milliers de grands entrepreneurs de République fédérale prêts à investir et, ensemble, avec vous, nous ferons rapidement éclore un pays florissant. »
Ces « paysages florissants » ont marqué les esprits, mais sont restés lettre morte. De nombreux Allemands de l'est ont perdu leur emploi au moment de la disparition de la RDA et n'ont jamais retrouvé de perspective économique ou sociale dans l'Allemagne réunifiée. Beaucoup ont de ce fait tenté leur chance à l'ouest. Il n'empêche que Helmut Kohl reste dans les livres d'histoire comme le « chancelier de la réunification ».
Et l'Allemagne abandonna le D-Mark...
Autre grand moment de la carrière de Helmut Kohl : il a convaincu les Allemands de renoncer à leur monnaie, le Deutsch-Mark, au profit de l'euro, la monnaie européenne commune. Son argument de poids est le suivant :
« L'euro sera une monnaie forte et stable, je n'ai aucun doute là-dessus. »
Helmut Kohl se commue alors en « grand Européen ». Avec le président François Mitterrand, il œuvre en réconciliateur des deux pays qui se sont fait la guerre, et promeut l'intégration politique et économique de la Communauté européenne.
Mais au fil des ans, le système Kohl commence à lasser.
La lassitude et le scandale
A mesure que le chancelier prend de l'embonpoint, ses concitoyens voient de plus en plus en lui un homme de pouvoir. C'est alors qu'un scandale éclate au sein de son parti, le scandale « des caisses noires de la CDU », qui éclabousse un grand nombre de responsables politiques.
En 1998, c'est le SPD social-démocrate qui remporte les législatives, Helmut Kohl doit partir, au bout de 16 ans à la chancellerie, un record. Mais il répète qu'il n'a rien à voir avec les malversations de la CDU :
« Je n'ai jamais rien eu à voir avec les comptes noirs. Je n'ai jamais été informé non plus des développements ultérieurs. Je le réaffirme: je n'ai jamais rien su. »
C'est Helmut Kohl qui a mis le pied à l'étrier à Angela Merkel
Cette affaire écorne toutefois l'image de Helmut Kohl. Son parti lui retire son statut de membre d'honneur de la CDU et le contraint de renoncer à son mandat de député. La plainte en justice contre Helmut Kohl est finalement retirée, moyennant un arrangement financier de plusieurs millions d'euros.
Retour en grâce
Son retrait de la vie politique et le décès de son épouse Hannelore, en 2001, lui permettent de redevenir populaire. Il conseille d'ailleurs un temps Angela Merkel, considérée comme sa dauphine politique.
Helmut Kohl reste finalement comme le patriarche symbole de cette génération qui a connu la guerre dans son enfance, sans être directement impliquée, cette génération d'Allemands qui ont réussi à tourner la page de ce pan sombre de l'histoire du pays pour repositionner l'Allemagne au cœur de l'Europe.
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Helmut Kohl, ancien chancelier allemand, est mort
Chef du gouvernement allemand pendant seize ans, de 1982 à 1998, Helmut Kohl est mort vendredi à l'âge de 87 ans.
Article publié par Daniel Vernet dans Le Monde le 16 juin 2017 à 17h31 - Mis à jour le 17 juin 2017 à 06h43. Temps de Lecture 8 min. 2012 mots.
L'ancien chancelier allemand Helmut Kohl, en septembre 1990. MARK-OLIVIER MULTHAUP / AFP
Comme Bismarck en 1871, il avait été surnommé « le chancelier de l'unité », après la réunification allemande de 1990. Helmut Kohl, qui se référait volontiers au « chancelier de fer », moins à cause de leur action en faveur de l'unification de l'Allemagne qu'à cause de sa longévité au pouvoir, est mort vendredi 16 juin à l'âge de 87 ans.
Il s'est éteint « dans sa maison de Ludwigshafen », dans le sud-ouest du pays, a indiqué le quotidien Bild, dont la direction était très proche de cette grande figure de l'histoire de l'Allemagne contemporaine.
Chef du gouvernement pendant seize ans, de 1982 à 1998, Helmut Kohl aura fait aussi bien que son lointain prédécesseur et mieux que Konrad Adenauer, le premier chancelier de la République fédérale d'Allemagne (RFA) après la seconde guerre mondiale, son modèle en politique. Pourtant, bien peu d'observateurs parient sur une telle durée quand ce provincial, que sa famille politique juge mal dégrossi, arrive à la chancellerie à Bonn, le 1er octobre 1982, à la faveur d'un renversement d'alliance perpétré par le petit parti libéral (FDP).
Non que Helmut Kohl soit un novice en politique. Au contraire. Il est entré au Parti chrétien démocrate (CDU) dès 1946, à l'âge de 16 ans – il est né le 3 avril 1930. Après une thèse de doctorat en histoire et sciences politiques sur « Le renouveau des partis en Rhénanie-Palatinat après 1945 », il a brièvement travaillé à l'Association de l'industrie chimique de Ludwigshafen.
Surtout, il a gravi peu à peu tous les échelons de l'appareil de la CDU, depuis la direction provisoire en Rhénanie-Palatinat jusqu'à la direction de la CDU fédérale dont il devient vice-président en 1969, puis président en 1973. Cependant, la classe politique comme les journalistes se rient de son accent, de ses déclarations souvent empreintes des mêmes clichés, de sa silhouette – 130 kg, 1,93 m –, une aubaine pour les humoristes.
Sarcasmes et attaques
Au sein même de sa famille politique, il est en proie aux sarcasmes et aux attaques de Franz-Josef Strauss, le chef de la CSU, branche bavaroise de la démocratie chrétienne. Alors que Kohl est le candidat de son parti à la chancellerie, Strauss menace de concurrencer la CDU dans l'ensemble de la RFA et de mettre fin à la formation d'un groupe parlementaire unique CDU-CSU au Bundestag.
Un compromis sera finalement trouvé entre les deux hommes : Strauss renonce à ses projets et Helmut Kohl accepte de lui céder la place comme candidat à la chancellerie en 1980. Celui qu'on surnommait « le taureau de Bavière » essuiera un cuisant échec face à Helmut Schmidt.
Lire (en édition abonnés) : Le jour où Angela Merkel s'est émancipée de l'ancien chancelier allemand Helmut Kohl
Son expérience gouvernementale, Helmut Kohl l'a acquise à Mayence, en tant que ministre-président de Rhénanie-Palatinat de 1969 à 1976. Il quitte ce poste après avoir été, pour la première fois, tête de liste de la démocratie chrétienne aux élections fédérales. Avec 48,6 % des voix, la CDU-CSU frôle la majorité absolue, mais la coalition libérale-socialiste menée par le chancelier Helmut Schmidt et le ministre des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher est reconduite.
Franz-Josef Strauss lance, cinglant : « Kohl ne sera jamais chancelier. » Et d'ajouter : « Il en est totalement incapable. Il lui manque le caractère, l'esprit, et les capacités politiques. » Il n'empêche, Helmut Kohl devient président du groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag et, de facto, chef de l'opposition.
Le revirement du Parti libéral
Il conserve son poste après la défaite de 1980 et se trouve donc bien placé pour gravir la dernière marche du pouvoir quand la coalition libérale-socialiste éclate en octobre 1982. Depuis quelque temps, déjà, les relations sont tendues entre Helmut Schmidt et ses alliés libéraux. Un des dirigeants du FDP, le comte Otto von Lambsdorff, rédige un texte « stratégique » dans lequel il demande une déréglementation du marché du travail.
C'est inacceptable pour le chancelier, par ailleurs en butte aux critiques de la gauche social-démocrate à cause de son soutien à la position américaine dans la crise dite des euromissiles – le déploiement de missiles de croisières et de fusées Pershing-II en réponse à l'installation de SS-20 soviétiques pointés sur l'Europe occidentale. Le 17 septembre 1982, la coalition libérale-socialiste a vécu. Le 1er octobre, les députés chrétiens-démocrates et libéraux votent une motion de défiance constructive contre Helmut Schmidt.
Helmut Kohl entre à la chancellerie. Hans-Dietrich Genscher reste ministre des affaires étrangères. Le nouveau chancelier veut provoquer des élections anticipées afin d'être légitimé par les urnes. Le 6 mars 1983, la CDU-CSU enregistre le deuxième meilleur score de son histoire, avec 48,8 % des suffrages, tandis que le FDP paie son revirement en perdant un tiers de ses électeurs (7 %).
Avec François Mitterrand à Douaumont
Ce premier mandat est marqué par des controverses. En visite à Jérusalem en 1984, Helmut Kohl parle de la « grâce de la naissance tardive », allusion aux générations allemandes nées après la guerre qui ne portent pas de responsabilité dans la Shoah, un thème très sensible non seulement en Israël mais aussi en Allemagne. Lui-même a été enrôlé à l'âge de 15 ans dans les auxiliaires de la Luftwaffe mais n'a jamais appartenu à une unité combattante.
La mort au front de son frère aîné a contribué à faire de lui un européen convaincu. En 1985, en compagnie du président américain Ronald Reagan, il dépose une gerbe au cimetière de Bitburg, en Rhénanie-Palatinat, où sont enterrés des membres de la Waffen-SS. Le geste provoque une polémique en Allemagne et aux Etats-Unis.
En même temps, ces premières années de pouvoir sont l'occasion d'un resserrement des liens avec la France et en particulier avec François Mitterrand. Dans un discours prononcé devant le Bundestag en janvier 1983, à l'occasion du 20e anniversaire du traité de l'Elysée, le président français apporte son soutien à la position de Helmut Kohl sur les euromissiles, contre ses « camarades » du SPD. « Les missiles sont à l'Est et les pacifistes à l'Ouest », déclare François Mitterrand en octobre 1983, lors d'un voyage officiel en Belgique.
L'année suivante, à l'ossuaire de Douaumont, près de Verdun (Meuse), devant un cercueil recouvert des drapeaux français et allemand, François Mitterrand saisit la main de Helmut Kohl. La photo est restée gravée dans les mémoires.
La chute du mur de Berlin
L'année 1989 n'avait pas bien commencé pour Helmut Kohl. Au congrès de la CDU à Brême, il échappe de justesse à une tentative de « putsch » fomenté par des caciques qui lui reprochent de mener le parti à la défaite. La divine surprise de la chute du Mur va lui donner une deuxième jeunesse. Kohl a intitulé l'un de ses livres de souvenirs Je voulais l'unité de l'Allemagne.
Toutefois, quand les Allemands de l'Est commencent à manifester contre le régime communiste et à « voter avec leurs pieds » en essayant par tous les moyens de fuir « le premier Etat des ouvriers et paysans sur le sol allemand », le chancelier, comme la grande majorité de ses compatriotes de l'Ouest, est très prudent. Il craint qu'une déstabilisation de l'ensemble du bloc de l'Est n'entraîne un arrêt des réformes en Union soviétique (URSS) et la chute de Mikhaïl Gorbatchev, avec lequel il a fini par nouer des relations cordiales après l'avoir maladroitement comparé à... Goebbels.
L'ouverture du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, le surprend alors qu'il est en visite officielle en Pologne. Il interrompt son voyage, rentre précipitamment à Berlin, se montre au balcon de la mairie de Schöneberg avec tout ce que la RFA compte d'hommes politiques importants, et reprend le chemin de Varsovie.
Le 28 novembre, sans en avoir parlé à personne, même pas à son partenaire de la coalition gouvernementale, Hans-Dietrich Genscher, il présente au Bundestag un « programme en dix points pour le dépassement de la division de l'Allemagne et de l'Europe ». Ce programme est encore très modéré. Il prévoit un processus long dont l'aboutissement serait une confédération entre les deux Etats allemands.
Mise en route de l'Union économique et monétaire
Mais François Mitterrand est ulcéré que son « ami Helmut », qui était quelques jours plus tôt à Paris, ne lui en ait pas touché mot. Toutefois, en décembre 1989, au Conseil européen de Strasbourg présidé par François Mitterrand, Helmut Kohl obtient le soutien des Douze à l'autodétermination du peuple allemand.
A partir de la fin de l'année, les événements s'accélèrent. La décomposition de la RDA est de plus en plus manifeste. La réunification remplace peu à peu l'exigence de démocratisation du régime est-allemand dans les revendications des manifestants. En garantissant une aide financière à la perestroïka, Helmut Kohl s'est assuré que Mikhaïl Gorbatchev ne s'opposerait pas à l'unité allemande.
Les élections de mars 1990 – les premières élections libres à l'Est depuis 1933 – donnent une majorité à la CDU, qui a fait campagne en faveur de la réunification.
L'union économique, monétaire et sociale des deux Allemagnes entre dans les faits le 1er juillet. Helmut Kohl impose un taux de change de un contre un entre le mark est-allemand et le deutschemark et promet des « paysages florissants » aux Allemands de l'Est.
Les derniers obstacles sont levés quand l'URSS accepte que l'Allemagne reste membre de l'OTAN et que l'accord 4 + 2 (les quatre puissances victorieuses du Reich et les deux Etats allemands) écarte les derniers obstacles à sa pleine souveraineté.
Les élections du 3 octobre 1990 entérinent le succès de la démocratie-chrétienne contre la social-démocratie menée par Oskar Lafontaine. Helmut Kohl peut être célébré comme le « chancelier de l'unité ».
En contrepartie, pour manifester son ancrage européen, il accepte la mise en route de l'Union économique et monétaire qui débouchera sur la création de l'euro, « contre les intérêts allemands », confiera-t-il quelques mois plus tard au secrétaire d'Etat américain James Baker.
Construire une Allemagne européenne, une obsession
Construire une Allemagne européenne et non pas une Europe allemande était une obsession chez ce chancelier qui n'avait pas oublié l'Histoire. Jusqu'au bout, Helmut Kohl défendra l'euro, fait à la main des Allemands et lancé le 1er janvier 1999. Mais sans aller jusqu'à l'union politique à peine esquissée à Maastricht. Avec la réunification et les revendications croissantes des Länder, l'Allemagne et Helmut Kohl avaient tourné la page du fédéralisme.
Après le triomphe personnel de la réunification, il reste encore huit ans au pouvoir. Des années de trop, diront ses amis comme ses adversaires, marquées par une stagnation de la vie politique, un ajournement permanent des réformes, le refus d'Helmut Kohl à mettre sur orbite son héritier naturel, Wolfgang Schäuble.
Car derrière ses airs bonhommes, le « géant du Palatinat » a construit un système impitoyable pour ses adversaires comme pour ses proches, destiné à perpétuer son règne. Après seize ans de coalition démocrate-chrétienne-libérale, l'usure du pouvoir fait le lit du gouvernement rouge-vert emmené par Gerhard Schröder et Joschka Fischer.
Helmut Kohl siège encore pendant une législature au Bundestag, où il sera resté au total vingt-six ans. En 2009, à l'occasion du 20e anniversaire de l'ouverture du Mur, il avait retrouvé à Berlin deux « complices » de l'époque, Mikhaïl Gorbatchev et George H. Bush. Il pouvait entrer dans les livres d'histoire.
Dates
3 avril 1930 Naissance à Ludwigshafen (Rhénanie- Palatinat).
1973 Président de la CDU.
1er octobre 1982 Devient chancelier après la mise en minorité au Bundestag d'Helmut Schmidt.
1983 Reçoit le soutien de François Mitterrand dans la crise des euromissiles.
28 novembre 1989 Présente au Bundestag son programme pour le « dépassement de la division de l'Allemagne » après la chute du Mur.
3 octobre 1990 Triomphe de la CDU aux élections législatives.
1998 Défaite de la CDU-CSU. Helmut Kohl quitte la chancellerie.
1999 Mis en cause dans un scandale de financement occulte de la CDU.
16 juin 2017 Mort à Ludwigshafen à l'âge de 87 ans.
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Helmut Kohl Le père de la réunification
Article publié par Patrick Saint-Paul, Le Figaro, samedi 17 juin 2017 1650 mots.
DISPARITION L'ancien chancelier, resté seize ans au pouvoir, est mort vendredi à l'âge de 87 ans. Ce colosse de la politique allemande, redoutable tacticien, a marqué l'Histoire en pilotant la réunification et en emmenant son pays vers l'euro.
Rien ne semblait pouvoir abattre le colosse de la politique allemande. D'abord raillé pour son provincialisme, Helmut Kohl était avant tout un fin tacticien, doué d'un solide appétit pour la politique et ses réseaux à l'ancienne. Sa rencontre avec l'Histoire, le 9 novembre 1989, a changé son destin et celui de l'Allemagne. Figure imposante, voire écrasante, le père de la réunification n'avait pas su préparer son départ. Depuis son attaque cérébrale en 2009, il n'était plus que l'ombre de lui-même. Il est décédé vendredi matin dans sa maison de Ludwigshafen, là où sa femme Hannelore s'était suicidée en 2001.
Né en 1930 à Ludwigshafen, en Rhénanie-Palatinat, Kohl se découvre dès l'enfance l'étoffe d'un leader en culottes courtes. Coiffé d'un réchaud à café et revêtu d'un drap de lit en guise de cape, le jeune Helmut se fait porter sur une chaise par ses camarades de classe entre les arbres fruitiers du jardin de ses parents. « Dans le jeu, c'était toujours lui le cardinal , raconte sa sœur Hildegard Getrey. Médiocre orateur, dépourvu de charisme, Helmut Kohl n'était pas un brillant intellectuel. Mais la légende veut qu'il soit né avec l'instinct du pouvoir.
À 15 ans, il dépasse ses camarades de classe d'une tête et s'impose comme leur leader, lançant des projets, servant de médiateur dans les disputes et défendant les plus faibles. Dès l'âge de 16 ans, il rejoint les chrétiens-démocrates, poussé par le père Fink, un curé de Ludwigshafen qui l'avait pris sous son aile lors des séminaires du dimanche où il enseignait les principes démocratiques aux jeunes prometteurs. Ce fut son unique mentor en politique. Kohl s'est construit seul, tissant patiemment ses réseaux. Sa méthode pour grimper les échelons consistait à enthousiasmer des jeunes militants et à les rallier autour de lui pour renverser les vieux barons de la politique locale. Avec une préférence pour les postes à responsabilité au sein du parti sur les fonctions électives : sa recette pour une ascension plus rapide.
Kohl installe sa maison familiale à Oggersheim, dans la banlieue de Ludwigshafen. Une fois désigné à une fonction de responsabilité, il accumule de l'expérience, apprend, construit ses réseaux en récompensant ses fidèles et ses informateurs. Son arme secrète est un petit carnet dans lequel il inscrit le nom de tous les notables locaux, y compris les plus modestes. Il y consigne les numéros de téléphone, les dates d'anniversaire et de mariage. Kohl n'oublie jamais un anniversaire. Ses nombreux appels téléphoniques sont un moyen d'entretenir la fidélité et de prendre la température de l'opinion. Il se crée de la sorte un formidable système d'alerte. Dès qu'il y a du grabuge, Kohl est le premier informé, déjouant ainsi les manoeuvres de ses adversaires.
En 1969, à 39 ans, il accède au sommet de la politique régionale allemande en se faisant élire ministre-président de la Rhénanie-Palatinat. En sept ans, il transforme son Land, l'un des moins performants, en une région dynamique. Ses réformes sont un modèle pour son parti, la CDU. Il n'empêche. Lorsqu'il est désigné à la tête de la CDU, en 1973, devenant ainsi le chef de l'opposition, les ténors chrétien-démocrates ont du mal à digérer la nouvelle. À Bonn, le village politique fédéral est encore sous le charme du charismatique chancelier social-démocrate (SPD) Willy Brandt. Repris en choeur par les médias, les élus du SPD moquent Kohl, « cet élu provincial » au « sourire satisfait » , à « l'accent risible » et aux « costumes mal taillés » .
Kohl n'en a cure. Il puise le réconfort auprès de ses proches et de ses collaborateurs, avec lesquels il aime prolonger ses longues journées politiques autour d'un plat roboratif de sa région. Sa spécialité préférée : l'estomac de porc farci, cuisiné par Hannelore. Du haut de son 1,90 mètre, Kohl a la voix qui porte. Donnant l'image d'un bon père de famille traditionaliste mais décontracté, il se fait photographier dans la rue avec ses deux fils, tenant son berger allemand en laisse et un sac de courses dans l'autre main. Seul Brandt le voit venir. « Ne sous-estimez pas Kohl », prévient-il dès 1976. Kohl développe sa proximité avec l'Allemand ordinaire en cultivant son naturel. Il pense comme lui, se nourrit comme lui, s'habille comme lui, parle comme lui. Au fil des années, son bon sens fera de Kohl une figure paternelle rassurante.
En politique, Helmut Kohl a de l'instinct et un sens tactique hors pair. En 1976, il perd face à Schmidt avec un score très honorable. Mais il doit dès lors encaisser les attaques de son flamboyant allié bavarois, et éternel rival, Franz-Josef Strauss. Le géant d'Oggersheim a le cuir épais. En 1980, sachant Schmidt imbattable, il laisse Strauss se présenter. Le Bavarois, qui brûle d'impatience, se carbonise et quitte Bonn pour toujours. En 1982, lorsque Schmidt est renversé par une motion de défiance, Kohl se fait enfin élire en promettant une révolution morale. Ses débuts sont chaotiques. Il ne parvient pas à se débarrasser de son image de patriarche provincial autoritaire. Il encaisse les coups tordus au sein de son propre camp et déjoue les tentatives de putsch. Kohl s'accroche. Ses voyages officiels lui permettent d'engranger de l'expérience et de souder des relations personnelles chaleureuses avec des chefs d'État étrangers, notamment François Mitterrand et George Bush Senior. Cependant, sept ans après son élection, personne n'oserait parier qu'il inscrira son nom dans l'Histoire. L'automne 1989 fera de lui un homme d'État.
Kohl est à Varsovie lorsque les premiers coups de pioche tombent sur le mur de Berlin le soir du 9 novembre. L'ouverture du mur est une surprise pour celui qui a poursuivi la politique de détente avec l'Est. Il se rend d'urgence à Berlin, où il est sifflé devant la mairie de Schöneberg le 10. Le soir même, Kohl est électrisé par le mouvement. Il prend les choses en main, appelle tous les chefs d'État. Avec eux il fait profil bas, ne jongle pas avec de grandes visions, freine les attentes. Il fait accepter en douceur à Margaret Thatcher, Mikhaïl Gorbatchev, George Bush et François Mitterrand que la roue de l'Histoire ne fera pas marche arrière. Mais il fonce en avant. Deux semaines après la chute du mur, Hannelore tape sur sa machine son programme en dix points. Personne n'est au courant, le 28 novembre, lorsqu'il dévoile sa feuille de route pour la réunification allemande devant le Bundestag.
La réunification allemande et l'unification européenne sont les deux faces d'une même pièce
Après avoir créé le choc, Kohl rassure. À Strasbourg, devant le Parlement, il dit que le gouvernement allemand veut voir le rêve européen se réaliser. « La réunification allemande et l'unification européenne sont les deux faces d'une même pièce » , lance-t-il. Pour son premier déplacement à Dresde, le 19 décembre, les Allemands de l'Est scandent « Réunification ! Réunification ! » , « Helmut ! Helmut ! » . Le prix sera l'abandon du deutschemark au profit de l'euro, un tour de force alors que les Allemands s'accrochaient à leur monnaie comme unique symbole de fierté nationale. Reste à convaincre Gorbatchev, avec lequel Kohl a eu des débuts difficiles. Il avait comparé le dernier patron de l'URSS à Goebbels, affirmant que la perestroïka n'était qu'une campagne de propagande destinée à endormir l'Occident. Les deux hommes se retrouvent en juillet dans la datcha de Gorbatchev, dans le Caucase. Revêtus de leurs gilets en tricot, ils deviennent amis en trinquant à la vodka. Ils parlent de Dieu et partagent le pain. La confiance est là. Helmut donne toutes les garanties à Mikhaïl. Et s'engage à le remercier pour « le cadeau de la réunification » à coups de centaines de millions de deutschemarks pour l'Union soviétique en faillite.
C'est un coup de maître. Même Schmidt s'incline. « Pour la stratégie politique de la réunification, il mérite un grand coup de chapeau » , reconnaît l'ancien rival, qui déplore toutefois une série d'erreurs pour l'unification économique. Notamment la parité du change entre les marks de l'Est et de l'Ouest, qui a précipité la faillite des entreprises de RDA. Kohl préserve l'Allemagne contre les démons du pangermanisme. Il promet des paysages florissants pour l'ex-RDA. Il tient seize ans au pouvoir, établissant un nouveau record. Au lieu de partir couronné de gloire, il ne résiste pas à la tentation de se présenter encore une fois aux législatives de 1998, barrant ainsi la route à son fidèle dauphin et éminence grise, Wolfgang Schäuble. Gerhard Schröder, qui incarne le renouveau, met fin à l'ère Kohl. C'est lui qui ouvrira la page de la nouvelle République allemande à Berlin.
Le scandale des caisses noires de la CDU fera tomber Kohl de son piédestal. Kohl avait bâti sa carrière sur sa réputation d'homme de parole. Un « homme d'honneur » aussi, comme il l'avait maladroitement dit après avoir perdu pied. C'est ainsi qu'il avait justifié de garder secrets les noms des généreux donateurs qui ont financé illégalement son parti et ses campagnes électorales. Il lui aura fallu attendre vingt ans pour être « réhabilité » . Il faudra encore des décennies à l'ex-RDA pour combler le retard sur les Länder de l'Ouest. Mais l'Allemagne fête déjà le « père de la réunification » et le « père de l'euro » .
À 79 ans, en 2011, au moment du vingtième anniversaire de l'unification allemande, Kohl possède encore toutes ses facultés intellectuelles, mais il est amoindri par son attaque cérébrale. Le colosse d'Oggersheim est déjà loin. Le patriarche trouve encore la force de prononcer quelques mots. « Nous, les Allemands, avons peu de raisons d'être fiers de notre histoire. Mais rien ne me rend aussi fier que la réunification allemande. » Kohl l'émotionnel ne peut s'empêcher d'écraser une larme. C'est sa dernière vraie apparition en public. Il vient de faire ses adieux.
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Helmut Kohl (1930-2017)
Article publié par Henri Ménudier dans Allemagne d'aujourd'hui 2017/3 (N° 221), pages 3 à 8.
Âgé de 87 ans, Helmut Kohl est mort le 16 juin 2017 dans sa maison d'Oggersheim, un quartier de Ludwigshafen, la ville de la chimie sur les bords du Rhin. De tous les chanceliers allemands depuis 1949 c'est lui qui reste le plus longtemps au pouvoir et qui préside son parti pendant le plus grand nombre d'années. Seul le chancelier Otto von Bismarck, le dépasse en longévité à la tête du gouvernement (19 contre 16 années). Marqués par la tristesse et le respect, les nombreux hommages allemands et étrangers soulignent l'importance qu'Helmut Kohl a accordé aux relations franco-allemandes et à l'unité européenne, un rôle décisif lui revenant à propos de l'unité allemande de 1989-1990. Après son retrait de la vie politique, ses mérites indiscutables sont gravement entachés par l'affaire des caisses noires de la CDU ; le suicide de sa première épouse, la dégradation dramatique de son propre état de santé et des querelles familiales déshonorantes pour les personnes impliquées ternissent les dernières années de sa vie.
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