Fécondité⚓
Évolution du taux de fécondité 1960-2016 : comparaison avec les autres grands pays européens
Avec le baby boom l'Allemagne connaît un pic de fécondité en 1964 avec 2,54 enfants par femme, un peu en dessous des autres pays européens : Espagne à 3,01 ; Royaume-Uni à 2,93 ; France à 2,89 en 1962-1963 ; Italie à 2,65.
Par la suite en Allemagne le taux de fécondité diminue fortement jusqu'en 1973 à 1,54 enfant par femme et touche un premier minimum à 1,29 en 1984 et 1,24 en 1994. Les quatre autres pays européens connaissent aussi une forte baisse du taux de fécondité, un peu plus décalé dans le temps. Le taux de fécondité en Italie passe en dessous de celui de l'Allemagne en 1986 et celui de l'Espagne en 1989. Par contre la France et le Royaume-Uni après la fin des années 1970 à des niveaux plus élevés, frisant pour la première le seul de renouvellement de 2 enfants de 2006 à 2014.
Les mesures prises en Allemagne contre la dénatalité permettent une petite remontée du taux de fécondité à 1,5 en 2016. ►Geburtenziffer 1972-2018.xlsx
Remontée de la fécondité
Allemagne : le taux élevé de natalité est préoccupant
Article publié par Quentin Soubranne dans Challenges, lundi 30 avril 2018
L'Allemagne a enregistré 792.000 naissances en 2016, un record depuis 1996. L'immigration permet de compenser le solde naturel négatif mais le taux de natalité n'a jamais été aussi élevé depuis 1982.
L'Allemagne a enregistré 792 000 naissances en 2016, un record depuis 1996. Le nombre de décès reste légèrement supérieur (911 000 en 2016) mais l'immigration permet de compenser ce solde naturel négatif. En outre, l'Allemagne n'avait pas connu un taux de fécondité aussi élevé – supérieur à 1,5 - depuis 1982. Celui-ci reste tout de même largement inférieur au taux de fécondité français (autour de 1,8) en légère diminution. Un rebond insuffisant et trop tardif pour compenser plus de trente ans de faible natalité ?
Éléments de réponse avec Anne Salles, maître de conférences en études germaniques à l'Université Paris IV-Sorbonne et chercheuse associée à l'Institut National des Etudes Démographiques (INED) et Gérard Cornilleau, directeur adjoint au département des études de l'OFCE.
Ce record de naissances arrive effectivement « un peu tard » selon Anne Salles. « Le trou de naissances que l'Allemagne a connu sur les quarante dernières années est irrécupérable, tout le monde le sait. Même avec un niveau de fécondité de deux enfants par femme, ils ne rattraperont pas le temps perdu, le vieillissement de la population allemande est absolument inéluctable » développe-t-elle. « Ils reviennent de très loin » confirme Gérard Cornilleau qui estime tout de même qu'il s'agit d'un « signal encourageant pour l'Allemagne ».
Le directeur adjoint au département des études de l'OFCE tient à distinguer le court terme du long terme. Il s'explique : « Si la natalité redémarre, c'est évidemment une bonne nouvelle pour retrouver un équilibre de générations à long terme mais pendant 20 ans les actifs vont devoir à la fois supporter les coûts des enfants (éducation) et le vieillissement de la population » du fait du renouvellement insuffisant de celle-ci pendant une longue période. À court terme, l'Allemagne risque donc de se retrouver avec « une population active relativement faible » qui va devoir supporter des coûts élevés, « ce n'est pas évident » concède-t-il. Anne Salles abonde en son sens : « Ces enfants-là, le temps qu'ils atteignent l'âge de travailler et qu'ils puissent contribuer (à l'économie allemande), il va falloir une génération ». Toutefois les deux experts s'accordent à dire que la seule solution de long-terme est de faire remonter le taux de natalité, « idéalement autour de deux » pour Gérard Cornilleau.
Le problème du financement des retraites
Le vieillissement de la population est en réalité problématique puisqu'il va de pair avec le financement des retraites. Et ce problème, selon Anne Salles, se pose dès à présent: « L'Allemagne a un taux de remplacement de 48%, ce qui est très bas. Lorsqu'un Allemand part à la retraite, il ne touche même pas la moitié de son salaire ». Résultat, il y a un vrai problème de pauvreté chez les retraités allemands, « particulièrement chez les femmes qui travaillent plus souvent à temps partiel ». L'experte estime que ce problème « va s'accentuer » dans les années à venir. « On peut effectivement se demander si ce taux de remplacement est soutenable à long terme » soutient également Gérard Cornilleau.
Est-ce que le vieillissement de la population allemande pourrait également se traduire, dans les années à venir, par un manque de main d'œuvre disponible ? Destatis, l'équivalent allemand de l'Insee, table sur une baisse de 14 millions du nombre d'actifs allemands d'ici 2060. Encore plus pessimiste, la fondation Bertelsmann mise, elle, sur une diminution de 16 millions. « Le gros de la baisse aura lieu dans une vingtaine d'années, précise Anne Salles. Actuellement, l'Allemagne compte 45 millions d'actifs, soit plus de la moitié de leur population (54%), c'est un niveau record ». À titre de comparaison, la France dénombre « seulement » 29 millions (43% de la population) d'actifs. « Autant dire que l'Allemagne possède une certaine marge » poursuit la chercheuse selon qui, « il n'y a pas de quoi s'inquiéter pour l'offre de main d'œuvre allemande dans les 15-20 prochaines années, sauf pour certains secteurs spécifiques (technologies de l'information, médecine) qui connaissent déjà des difficultés ».
Le son de cloche est relativement différent du côté de Gérard Cornilleau : « Compte tenu de leur appareil de production et du fait qu'ils sont très tournés vers l'export, ils ont déjà des difficultés de main d'œuvre. Il n'y a pas de pression démographique sur le marché du travail allemand, c'est même au contraire une dépression démographique (le nombre d'actifs diminue chaque année). D'ailleurs, l'expert de l'OFCE considère que le corollaire des difficultés de main d'œuvre rencontrées par les Allemands, c'est l'absence de chômeurs.
Des entreprises pas très "children-friendly"
Très clairement, selon Gérard Cornilleau, « la démographie reste le talon d'Achille » de l'Allemagne. Mais que peuvent bien faire Angela Merkel et son gouvernement pour lutter contre ce choc démographique à venir ? La variable d'ajustement de court terme, c'est la politique migratoire, « une soupape » comme la qualifie le chercheur de l'OFCE. Sauf qu'à plus long-terme, cette politique n'est sans doute pas viable. Deux raisons à cela, détaillées par Anne Salles. D'une part, « la crise des réfugiés n'est probablement pas amenée à se renouveler » et, quand bien même elle le serait, « beaucoup de personnalités politiques et de chercheurs pensent que le gouvernement ne se remettrait pas (d'une politique d'accueil de grande ampleur) ». Celui d'Angela Merkel ne devrait donc pas s'y risquer.
Une autre solution consiste à mettre en place des politiques familiales pro-natalité. « Des chercheurs ont fait le constat qu'il y a un lien entre les taux de natalité et les politiques de conciliation travail-famille » déclare Anne Salles. Autrement dit, il y a plus de naissances dans les pays où les femmes peuvent plus facilement concilier travail et enfant. « Lorsque ce n'est pas possible, une part minoritaire mais non négligeable de femmes privilégiera le travail plutôt que les enfants » précise-t-elle. « Des réformes (en ce sens) ont déjà été mises en place en 2005. La ministre de la famille était alors convaincue que la fécondité allait remonter très rapidement à 1.7 enfant par femme. Mais ce n'est pas aussi simple que ça » déplore Anne Salles. Si elle n'est pas accompagnée d'une prise de conscience du problème par les entreprises, une politique familiale ne peut pas être efficace. « Les entreprises françaises ont toujours été plus « children-friendly ». Pendant longtemps, les femmes allemandes ne pouvaient pas travailler et avoir des enfants, cela commence seulement à s'arranger » développe Gérard Cornilleau. Anne Salles prend pour preuve « l'offre de garde (qui) s'est beaucoup développée ces dernières années, notamment dans l'ouest de l'Allemagne ».
Malgré ces signaux encourageants, Anne Salles considère que « la politique migratoire et la politique pro-natalité ne devraient pas suffire à atténuer le choc démographique à venir. Les prévisions sont très claires sur ces questions-là. L'Allemagne va être confrontée à une baisse de la population, sauf changement radical du niveau de la fécondité, mais ça, les chercheurs ne tablent pas dessus ». Dernière solution envisagée par le directeur adjoint des recherches de l'OFCE : « prendre le sujet de la démographie en compte dans l'ensemble des débats sur l'Europe ». Il estime que « les pays ont des configurations démographiques suffisamment différentes pour que ça les conduise à mener des politiques économiques différentes. Les besoins des États ne sont pas du tout les mêmes selon que l'on est un pays avec une population vieillissante ou pas » justifie-t-il. De là à imaginer une grande collaboration européenne sur la question.