Angela Merkel⚓
Angela Merkel (1954-), chancelière depuis 2005
Mais qui est vraiment l'intraitable Angela Merkel?
Article publié par Sabine Syfuss-Arnaud dans Challenges le 11.05.2012 à 10h17.
PORTRAIT Désignée cinq fois "femme la plus puissante du monde", l'ex-petite fille de RDA reste indéchiffrable. Initiatrice du Merkozy, la mère la rigueur de l'Europe a intégré la nécessité d'un Merkhollande.
Il a fallu que François Hollande arrive en tête au premier tour de la présidentielle française et que le très orthodoxe Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), appelle aussi à la croissance, pour que, enfin, Angela Merkel abandonne la position sur laquelle elle campait.
Jusqu'au bout, elle a soutenu son allié et ami Nicolas Sarkozy, restant sourde aux appels du pied du candidat socialiste qui souhaitait être reçu à Berlin. Le revirement est intervenu fin avril. D'abord par la voix de l'un de ses lieutenants, le député chrétien-démocrate Andreas Schockenhoff, confiant que Berlin pourrait mettre de l'eau dans son vin. Le lendemain, elle affirmait: "Nous avons besoin de croissance, de croissance sous forme d'initiatives pérennes." Et le soir de la victoire de François Hollande, elle l'invitait officiellement à venir à Berlin discuter d'un nouveau pacte de croissance. Une sacrée avancée pour cette chancelière jusqu'alors adepte de la rigueur à tout prix, qui, pour négocier, aime à souffler le chaud et le froid comme en témoigne les propos tenus jeudi 10 mai devant les députés allemands : "Une croissance à crédit nous ramènerait au début de la crise. Nous ne le voulons pas, nous ne le ferons pas".
Réfléchie ou irrésolue?
Prudence, prudence. Cet épisode résume à merveille le mode de fonctionnement de celle qui a été désignée cinq fois "femme la plus puissante du monde" par le magazine américain Forbes. Ses proches la jugent réfléchie, méthodique, rationnelle. Ses détracteurs, irrésolue, versatile, opportuniste. Après sept années au pouvoir et deux mandats, elle demeure indéchiffrable. "Angela Merkel est un sphinx", ose son premier biographe, le politologue Gerd Langguth. Sympathisant de son parti, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), il l'a côtoyée pendant son ascension politique. "Très peu de gens la connaissent vraiment. Elle dit rarement ce qu'elle pense." Un membre de son premier gouvernement renchérit: "Elle est drôle, pleine d'humour, imite à la perfection ses homologues européens, mais reste secrète. Elle a passé ses trois premières décennies derrière le rideau de fer. Cela laisse des traces!" Sans compter qu'elle est entrée en politique à 36 ans, après une carrière de physicienne. Les deux dernières années ont été riches en rebondissements pour Angela Merkel, et pas seulement à cause de la folie des marchés financiers. Elle a tergiversé des mois durant avant de devenir la mère la rigueur de l'Europe. Ces revirements n'étonnent pas Margaret Heckel, une de ses biographes les plus pointues. La journaliste raconte une séance de piscine de la future chancelière, encore enfant: "Elle a longuement hésité à sauter dans l'eau Elle a fini par plonger, une fois le cours terminé."
Pour l'aide à Athènes aussi elle s'est engagée très tard. Ses atermoiements lui valent d'ailleurs toujours de vives critiques chez elle - à gauche - et à l'étranger. Lorsqu'on découvre, début 2010, que la république hellène est au bord du gouffre, des élections ont lieu dans la plus grande région d'Allemagne, la Rhénanie-du-Nord - Westphalie. Le parti d'Angela Merkel est en mauvaise posture et elle reste hyperprudente. Son fidèle ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, pourtant le plus européen de son gouvernement, commence par déclarer que les Allemands ne paieront pas pour les Grecs. Pour ses voisins, la chancelière est la Dame de fer, Madame Nein. Le tabloïd le plus lu en Allemagne, Bild, mène une campagne agressive et nationaliste. Merkel certifie que l'Europe ne mettra pas la main à la poche pour Athènes, puis change d'avis quatre jours après. Elle évoque ensuite "la possibilité de faillite ordonnée pour certains Etats", avant d'exclure toute banqueroute pour Athènes. Début 2011, elle rejette une augmentation du fonds de sauvetage européen, qu'elle avalise l'été suivant. Un ancien du cabinet de Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie, résume: "Elle a mégoté sur la taille du camion des pompiers, quand il aurait fallu actionner les lances d'incendie. On a perdu beaucoup de temps, et le problème grec a pris des proportions insensées!"
Populiste ou européenne?
Dans un pays qui s'est serré la ceinture pendant les dix dernières années et qui refuse de voir ses économies partir en fumée, Angela Merkel a du mal à trancher entre vox populi et intérêt du Vieux Continent, dont son pays est la première économie. A chaque avancée européenne, on tire sur elle à boulets rouges, y compris dans son propre camp. Le Parlement, la Cour constitutionnelle, la banque centrale la harcèlent. Pendant l'été 201 1, la bronca atteint son paroxysme. Les Allemands sont opposés à 76% à une assistance à la Grèce. Elle subit les foudres du chancelier Kohl qui, selon le Spiegel, s'exclame: "Elle me casse mon Europe." Un collectif de 200 PME - soutien traditionnel de la CDU - dénonce dans la presse "une politique néfaste". Alors qu'elle est en vacances, un grognard de son parti menace de convoquer un congrès extraordinaire. Point culminant: en août, Cicero, mensuel politique haut de gamme, publie un dossier de couverture intitulé "Das Merkel-Syndrom". Dans ce long réquisitoire contre "le fantôme de la chancellerie", le magazine fustige "la méthode Merkel, qui consiste à dédramatiser et dépolitiser les questions hautement dramatiques et politiques, comme le climat, le nucléaire, l'Afghanistan, les marchés financiers débridés ou la crise de l'euro". En une, un photomontage montre la conservatrice ballottée dans la mer et accrochée à une bouée noire. Cette couverture spectaculaire fait écho à l'analyse assassine de l'ambassadeur américain à Berlin, dévoilée peu avant par le site WikiLeaks. "Elle craint le risque et se montre rarement créative", disait le télégramme diplomatique, pour la publication duquel la secrétaire d'Etat Hillary Clinton a exprimé "des regrets" mais pas de démenti.
Raideur ou rigueur?
A l'automne 2011, enfin, Angela Merkel reprend la main. Fin septembre a lieu au Parlement un vote décisif sur l'Europe. Comme à chaque fois, elle dramatise le risque d'être mise en échec. En fait, les élus la soutiennent à plus de 80%, sociaux-démocrates et Verts inclus. A une condition toutefois: l'Europe doit se mettre à la diète. Flanquée de son faire-valoir - un Nicolas Sarkozy de plus en plus faible -, elle orchestre le tour de vis. En Italie, Silvio Berlusconi est poussé à la démission ; en Grèce, c'est Georges Papandréou qui s'en va. Le nouveau traité et sa règle d'or s'imposent. Elle mène ce qu'Arnaud Montebourg qualifiera de "politique à la Bismarck".
A Dublin et Athènes, l'Allemande est caricaturée, un fouet à la main et une croix gammée au bras. Sa raideur agace, y compris à la très discrète Banque centrale européenne. Un ancien du conseil des gouverneurs vilipende la " décision calamiteuse " du sommet de Deauville, qui lance l'alliance Berlin-Paris dite "Merkozy". "Les deux leaders ont ouvert la boîte de Pandore en annonçant que le secteur privé allait participer au sauvetage de la Grèce. Ils ont créé la défiance des marchés vis-à-vis de la zone euro à cause d'une chancelière qui avait besoin d'un bouc émissaire politique, les banques, pour son opinion publique."
Alarmés par l'image désastreuse de leur patronne à l'étranger, ses lieutenants tentent de corriger le tir. L'un d'eux pointe: "Avec la crise, elle a réalisé que l'Europe vivait un moment historique, que sa génération doit libérer le continent de ses dettes pour le faire entrer dans une ère nouvelle. Elle rappelle souvent qu'au temps d'Adenauer les Européens représentaient 14% de la population mondiale, contre 7% aujourd'hui. Pour elle, ils ne conserveront une voix forte que s'ils avancent unis."
Lorsque, début 2012, Paris perd son triple A, le nouveau traité européen a été signé et l'Allemande est en majesté. Elle est reçue à Pékin comme une impératrice. La bible libérale londonienne The Economist titre: "Merkel at the Top". Les leaders européens dénient à Berlin. C'est une femme décidée et très informée qui reçoit le président du Conseil italien, Mario Monti. Un proche de celui-ci n'en est toujours pas revenu: "Elle connaissait par coeur le calendrier de nos émissions d'obligations pour l'année à venir!"
Pugnace ou flegmatique?
Certes cruel sur l'indécision de la chancelière, l'ambassadeur américain cité par WikiLeaks observait cependant qu'"elle est tenace quand elle est en difficulté". Ou quand on touche à son intime conviction. Ainsi, la chancelière allemande a-t-elle été pugnace quand elle a reçu le dalaï-lama contre l'avis de Pékin, elle qui a été privée de liberté pendant sa jeunesse. Très décidée également quand elle a quitté Ulrich Merkel, son premier mari, dont elle a pourtant gardé le nom. Celui-ci a raconté au magazine Focus: "Un beau jour, elle a rassemblé ses affaires et a déménagé. Elle l'avait décidé seule et en a tiré les conséquences."
Décidée et flegmatique. Celle qui est aussi présidente des chrétiens-démocrates depuis plus d'une décennie assistait, fin février, le mercredi des Cendres, à un meeting de son parti en province. Un serveur maladroit laisse échapper cinq chopes de bière dans le cou de la chancelière. Elle sursaute à peine, passe une main dans sa nuque, repère les caméras et appareils photo, esquisse un sourire en direction du jeune homme déconfit et part faire son discours à la tribune.
Ce sang-froid et cette simplicité expliquent l'inoxydable popularité de la chancelière. Technophile branchée, accro aux SMS et très active sur les réseaux sociaux, elle peut encore se targuer d'un taux de personnes satisfaites de 65%. Et même lorsque ses poulains, un ministre accusé de plagiat ou un président de la République coupable de favoritisme, sont acculés à la démission, la disgrâce ne l'atteint pas. "Les Allemands la croient incapable d'abus, analyse un éditorialiste berlinois. Ils se reconnaissent dans son côté sans façons, un peu Madame Tout-le-Monde." Nos voisins apprécient également la discrétion du mari d' Angela Merkel, Joachim Sauer, un chimiste de renom. En 2005, il a suivi l'intronisation de son épouse à la télévision. Depuis, il fuit les médias. On ne le voit dans aucune réception officielle, si ce n'est une fois par an au Festival de Bayreuth: la presse le surnomme le Fantôme de l'Opéra. Pour ses opposants, Angela Merkel est la chancelière Teflon, celle sur qui tout glisse. "C'est une énorme travailleuse, y compris pour soigner son image!" raille le député social-démocrate Joachim Poss, qui enrage toujours qu'elle ait engrangé les succès de la grande coalition sur le dos de son parti.
Sarkozyste ou hollandiste?
De François Hollande, qu'elle n'a jamais rencontré, elle sait peu de choses, sinon qu'il a appelé, au dernier congrès social-démocrate en décembre à Berlin, à une large victoire de toute la gauche en Europe. Néanmoins, les tractations secrètes juste avant le second tour de la présidentielle française ont permis de lever une ambiguïté: les socialistes veulent de la croissance mais pas une relance keynésienne. La chancelière a poussé un grand ouf! Qu'elle réussisse ou non à impulser un Merkhollande, sur le modèle du Merkozy, la conservatrice l'a déjà annoncé: elle briguera un troisième mandat mi-2013. Et désormais, ses conseillers soulignent que les couples franco-allemands de bords différents, comme Kohl et Mitterrand, ont fait du bon travail. "Elle est normale elle aussi, s'amuse Michel Sapin, un proche de François Hollande. Ils vont très bien s'entendre!"
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Angela Merkel, une histoire allemande
Vidéo de France Télévision mise ne ligne le 24 septembre 2017, durée 1:09:44.
Les élections allemandes de septembre 2017 sont l'occasion de brosser le portrait de la chancelière Angela Merkel.
Candidate à un quatrième mandat de chancelière, forte d'une longévité record en Europe, Angela Merkel vise, dimanche 24 septembre, une nouvelle victoire aux élections législatives en Allemagne. A cette occasion, franceinfo propose de revoir, samedi 23 septembre, le documentaire réalisé par Virginie Linhart, Angela Merkel, une histoire allemande, que France 3 a diffusé jeudi 21 septembre.
Angela Mekel règne sur l'Allemagne depuis douze ans. Réélue trois fois, la chancelière est donnée gagnante dimanche. Celle qui a déjà vu défiler trois présidents américains, quatre français et trois Premiers ministres britanniques semble épargnée par l'usure du pouvoir et apparaît aujourd'hui, indispensable en Allemagne et incontournable sur la scène internationale.
Le film part sur les traces de cette fille de pasteur, élevée derrière le Rideau de fer et devenue docteur en chimie. Ce n'est qu'après la chute du mur de Berlin qu'Angela Merkel se lance en politique, et ne mettra que quinze années à accéder au sommet de l'Etat allemand. Par le biais d'images d'archives, de témoignages de ceux qui l'ont côtoyée dans sa jeunesse et de ses collaborateurs, ce documentaire revient sur le parcours hors du commun de celle que les Allemands surnomment "Mutti" (maman).
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TV : « Angela Merkel, une histoire allemande »
Notre choix du soir. A travers l'histoire de la chancelière, Virginie Linhart nous replonge dans l'ambiance de l'Allemagne de l'Est (sur France 3 à 23 h 15).
Article publié par Frédéric Lemaître dans Le Monde le 21 septembre 2017
Même ses adversaires n'y croient plus. Angela Merkel devrait remporter dimanche 24 septembre sa quatrième victoire aux élections législatives. Depuis des mois, la question n'est plus de savoir si elle va continuer de gouverner durant les quatre années qui viennent mais avec quel partenaire.
Comment cette physicienne venue d'un pays qui n'existe plus est-elle parvenue à s'imposer dans un monde politique dominé jusque-là par des hommes nés à l'Ouest, catholiques et souvent juristes ? A son tour, la documentariste Virginie Linhart tente de percer le mystère Merkel.
Le moins que l'on puisse dire est que la principale intéressée ne l'a pas aidée. Non seulement la chancelière accorde moins d'entretiens que le pape mais son entourage a compris la consigne.
Depuis que sa couturière a été remerciée pour avoir révélé qu'elle était... sa couturière, nul ne se hasarde plus à confier la moindre anecdote sur « la femme la plus puissante du monde ». Virginie Linhart doit donc, comme tout le monde, se contenter d'interroger quelques journalistes et quelques personnalités, certes intéressants, mais qui ne font pas partie du premier cercle, loin de là.
Du coup, la réalisatrice s'est rabattue sur un autre matériau : les images d'archives. L'un des aspects les plus intéressants de son documentaire est de nous replonger dans l'ambiance de l'Allemagne de l'Est et d'avoir retrouvé des photos ou des films illustrant les premiers pas en politique de cette jeune femme sous-estimée par tous.
Se rendre à Templin, la petite ville de RDA où elle a été élevée au milieu d'enfants handicapés, permet de mieux comprendre la simplicité dont Angela Merkel continue de faire preuve aujourd'hui.
Si le témoignage de Lothar de Maizière, éphémère chancelier de l'Allemagne de l'Est élu démocratiquement en 1990 et à ce titre chaperon d'Angela Merkel, est désormais bien connu, celui de sa professeure de russe l'est moins. Certes, à l'école, Angela était excellente en russe – comme en fait dans toutes les matières –, mais « il faut qu'elle fasse des efforts pour être avenante », se souvient cette vieille dame qui tend l'oreille quand elle entend son ancienne élève parler russe avec Poutine.
Angela Merkel, en campagne électorale, en 1990, sur l'île de Rügen.
Le deuxième intérêt de ce film, plein d'empathie pour Angela Merkel, est que ceux qui semblent le mieux la connaître et l'apprécier sont souvent des hommes de gauche, tels le cinéaste Volker Schlöndorff et Daniel Cohn-Bendit. Le premier, qui avait prédit que sa voisine d'immeuble devenue une amie serait un jour chancelière, se permet juste de constater que, « quand vous avez du succès, vous croyez être le seul à savoir bien faire », mais hésite à parler d'orgueil. Quant au second, il reconnaît apprécier la politique de Merkel dans deux domaines essentiels : la crise des réfugiés et la sortie du nucléaire.
Reste que le « mystère Merkel » n'est pas percé. Certaines clés fournies par le documentaire sont a priori contradictoires. Peut-on expliquer qu'Angela Merkel a adhéré à la CDU pour s'opposer à son père, un pasteur qui avait quelques sympathies pour le régime communiste, mais se référer à Luther pour tenter de comprendre sa générosité à l'égard des réfugiés ?
De même, alors que Bruno Le Maire, ministre français des finances, qualifie Angela Merkel de « femme libre », d'autres, au contraire, expliquent l'action de la chancelière par cette citation de Luther : « Me voici, je ne puis faire autrement. » Autant de contradictions qui confirment la complexité d'Angela Merkel que celle-ci semble prendre un malin plaisir à cultiver.
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Biographie : Angela Merkel, chancelière allemande
Site Toute l'Europe. Synthèse 25.09.2017
Angela Merkel est la chancelière allemande depuis 2005. Reconduite en 2009 et 2013, elle a de nouveau été réélue en septembre 2017, à l'occasion des élections législatives, à la tête de la chancellerie fédérale de son pays.
Fille d'un pasteur et d'une institutrice, Angela Dorothea Merkel naît le 17 juillet 1954 à Hambourg. Sa famille se rend ensuite dans le Brandebourg, en Allemagne de l'Est, où elle passe son enfance. Comme beaucoup d'habitants de la RDA, elle participe alors à des mouvements de jeunesse communistes.
En 1978, elle entreprend des études de physique à l'université de Leipzig. Elle obtient son doctorat en 1986, puis travaille jusqu'en 1990 à l'Institut de physique chimie de l'académie des sciences de RDA.
A partir des années 1990, elle connaît une rapide ascension politique. En 1990, elle entre dans la compétition électorale pour le bureau politique Demokratischer Aufbruch, mouvement d'opposition au communisme. Elle est nommée porte-parole du dernier gouvernement de RDA. Après la réunification de l'Allemagne, elle devient membre du Parti Démocrate Chrétien CDU et est élue au Bundestag. Sous la chancellerie d'Helmut Kohl, elle occupe successivement le poste de ministre fédéral des Femmes et de la Jeunesse (1991-1994) et celui de ministre de l'environnement (1994-1998).
En 1998, Angela Merkel est élue à la tête de la CDU et devient ainsi la première femme à diriger un parti chrétien-démocrate. Sept années plus tard, elle est nommée chancelière à la tête d'un gouvernement de coalition. Elle est reconduite à ce poste en 2009, puis en 2013 où elle dirige un nouveau gouvernement de coalition avec le parti social-démocrate SPD.
En 2013, elle est classée à la 2e place des personnes les plus puissantes du monde par le magazine Forbes, juste derrière Barack Obama. En Allemagne, elle bénéficie d'une cote de popularité particulièrement importante.
En 2014, elle est réélue sans surprise à la tête de la CDU pour la huitième fois consécutive. Le 6 décembre 2016, avec 89,5% des voix, elle est à nouveau choisie pour diriger le parti de l'Union chrétienne démocrate huit mois avant les élections législatives pour lesquelles elle briguera un quatrième mandat.
Réélue avec plus de 33% des suffrages pour un quatrième mandat à la tête de la chancellerie fédérale, Angela Merkel n'a pas été particulièrement déstabilisée par ses adversaires durant la campagne, préférant mettre en valeur son bilan économique et la stabilité qu'elle inspire dans un environnement géopolitique agité. Toutefois, ce résultat est particulièrement faible pour la CDU/CSU, associé notamment à la percée du parti d'extrême-droite AfD (Alternative für Deutschland) dans les suffrages. L'entrée au Bundestag de l'extrême droite ainsi que la décision des sociaux-démocrates de ne pas participer au gouvernement implique que la chancelière fraichement réélue va à présent devoir tenter de créer une coalition avec les Verts et les libéraux démocrates du FDP (Freie Demokratische Partei) pour obtenir la majorité, deux partis néanmoins antagonistes sur l'échiquier politique.
Sa vision de l'Europe
A peine arrivée au pouvoir en 2005, la chancelière allemande montre sa fidélité à la France et sa volonté d'entretenir la dynamique du moteur de la construction européenne. Dès le lendemain de son investiture, elle se rend à Paris pour rencontrer Jacques Chirac et le Premier ministre Dominique de Villepin. Pour elle, "cette visite n'a rien d'un rite, mais exprime la conviction profonde qu'une bonne relation franco-allemande, approfondie, amicale, est non seulement importante pour nos deux pays, mais aussi nécessaire et utile à l'Europe".
Néanmoins, Angela Merkel remet en cause la relation "classique" voire "mécanique" existante entre la France et l'Allemagne. L'axe franco-allemand ne doit pas, à ses yeux, être "exclusif" ou "dirigé contre les autres". Elle veut voir naître des relations plus étroites avec la Grande-Bretagne et désire également œuvrer pour le rapprochement de son pays avec l'Europe centrale et orientale. Elle remet par exemple en cause l'axe Paris-Berlin-Moscou.
Toutefois, la chancelière allemande est réputée pour sa discrétion, son pragmatisme et son approche "pas-à-pas", tant dans le domaine de la politique nationale que dans sa gestion de la crise économique et financière européenne, où elle occupe un poids primordial, du fait notamment de la bonne santé économique de son pays.
Parfois qualifiée par ses détracteurs de "Dame de fer" allemande (en référence à la Britannique Margaret Thatcher), voire de "nouvelle Bismarck" ou de "Reine de l'Europe", Angela Merkel a montré sa détermination à sortir de la crise par une "croissance des réformes structurelles", et non "une croissance par les déficits", et à obtenir d'importantes garanties économiques et budgétaires de la part de ses partenaires en échange de mesures communes pour lutter contre la crise.
D'autre part, la chancelière se positionne contre l'adhésion de la Turquie à l'UE et veut former un partenariat renforcé avec les États-Unis avec un rôle plus important pour l'OTAN.
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Angela Merkel à l'heure du bilan
À retrouver dans l'émission de France Culture Le Tour du monde des idées par Brice Couturier Le 12/02/2020.
Après quinze ans de règne, Angela Merkel demeure énigmatique. La simplicité de son apparence, la banalité de ses discours, les imprécisions de sa politique parfois ont contribué à faire de la chancelière allemande un écran vierge sur lequel les électeurs ont projeté leurs propres aspirations.
Il est peut-être un peu tôt pour annoncer la mise à la retraite d'Angela Merkel. Elle n'a que soixante-cinq ans dans un pays où la vie active se poursuit souvent au-delà de cet âge. Et les commentateurs qui ont annoncé son départ depuis qu'elle a été élue présidente de la CDU en 2000, puis chancelière fédérale en 2005, ont été régulièrement contredits par les faits. Merkel aime rappeler qu'elle en est à son troisième président américain, à son quatrième président français et à son cinquième Premier ministre britannique...
Mais le renoncement de son héritière désignée à la tête de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) va ébranler encore un peu plus l'autorité de la chancelière allemande. Merkel, qui l'avait convaincue de prendre la responsabilité du ministère de la Défense, la préparait ouvertement à prendre sa suite à la chancellerie. Cette transition en douceur n'aura pas lieu.
Un revers pour la mini-Merkel
Non seulement AKK a fait preuve de naïveté en tant que chef des armées, mais, la mini-Merkel, comme l'ont surnommée ses adversaires, a été incapable de s'imposer à un parti désormais déchiré entre une tendance centriste et une autre, plus conservatrice. Le coup fourré de Thuringe, où les responsables locaux de la CDU ont manifestement comploté avec ceux de l'AFD pour faire élire ministre-président un libéral du FDP a achevé de décrédibiliser la dauphine d'Angela Merkel.
Les centristes de la CDU, comme Armin Laschet, le ministre-président de Rhénanie du Nord-Westphalie, sont fidèles à la ligne Merkel : pas d'alliance électorale avec les partis extrémistes, ni avec l'AFD à droite, ni avec Die Linke, à gauche.
Mais l'aile droite du parti estime que Merkel, en dérivant vers la gauche, a abandonné l'électorat conservateur à l'AFD. Ses représentants, comme le ministre de la Santé Jens Spahn, ou l'ancien chef du groupe parlementaire CDU, Friedrich Merz, jugent que leur heure est venue. Ils sont bien décidés à rompre avec la ligne Merkel et à repositionner franchement le parti à droite.
Qu'est-ce que le merkelisme ?
Si l'on cherche une preuve du déclin d'Angela Merkel, on le trouvera dans le long article qui lui est consacré dans la revue intellectuelle britannique, Prospect. Philip Oltermann, son auteur, l'a tout simplement titré "Who was Angela Merkel ?" Qu'on puisse parler de la chancelière en exercice au passé en dit long. Merkel, écrit Oltermann, a longtemps incarné la résistance de l'ordre international libéral face à la montée des populismes et des hommes forts qui, comme Orban, se réclament d'une "démocratie illibérale". Obama a semblé lui transmettre le flambeau de la défense des valeurs libérales : multilatéralisme, règne de la loi, ouverture des frontières au commerce, à la circulation des idées et des personnes. Mais la résistance opposée par Merkel a ressemblé, de plus en plus, à de l'inertie. A l'étranger, on a pu prendre son absence de mouvement pour une preuve de fermeté. Mais en Allemagne même, on commence à se lasser de son immobilisme. On est tenté d'ajouter : en France aussi...Le plus étrange, écrit aussi Oltermann, c'est qu'après 15 ans de règne, Merkel demeure une énigme : "Qui est vraiment cette physicienne Ossie, luthérienne et élevée selon des principes socialistes ?" La simplicité de son apparence, la banalité de ses discours, les imprécisions de sa politique ont contribué à faire de la chancelière un écran vierge sur lequel les électeurs ont projeté leurs propres aspirations. Cela fonctionne moins bien, même si Angela Merkel demeure extrêmement populaire dans son pays.
Itinéraire d'une femme modeste
"Le merkelisme, écrit encore Oltermann, est un mélange bizarre de libéralisme et d'étatisme." Son côté libéral se méfie de tout ce qui serait perçu comme une contrainte, une intrusion dans vie quotidienne par ses compatriotes. Mais son côté étatiste est méticuleusement attentif aux ambitions et aux inquiétudes des Allemands. A la différence de certains de ses illustres prédécesseurs, comme Adenauer, Brandt, ou son mentor Kohl, elle n'a jamais prétendu savoir intuitivement "ce que les Allemands désirent réellement", afin de mieux le leur imposer. Cette physicienne de formation gouverne depuis le début aux sondages. Elle en commande en permanence. Afin de prendre le pouls de l'opinion?C'est sur la base de sondages qu'elle a pris les deux décisions capitales de sa carrière : l'abandon programmé de l'énergie nucléaire en 2011, l'accueil d'un million d'immigrés supplémentaires en 2015. Son problème, c'est que l'opinion varie. Ce qui était populaire un jour ne l'est pas nécessairement, lorsque se font sentir les effets des décisions..."Durant la plus grande partie de son règne, ses conceptions ont coïncidé avec celles d'un pays qui estime mériter des vacances à l'écart des drames de la grande histoire qui se sont déroulés au XXe siècle, au prix de tant de ruines sur son sol", écrit Philip Oltermann. Du coup, elle a accompagné les évolutions du pays qu'elle gouvernait, même quand ces évolutions contredisaient ses propres convictions – comme la légalisation du mariage homosexuel en 2017. En fait, une expression résume 15 années de politique à la tête de l'Allemagne : "she muddled through". Elle s'en est sortie, elle a fait de son mieux, elle s'est dépatouillée... Merkel ou l'itinéraire d'une femme modeste, placée, un peu par hasard, à la tête de la première puissance économique de l'Union européenne ?
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Angela Merkel, une "Dame Teflon" ?
À retrouver dans l'émission de France Culture Le Tour du monde des idées par Brice Couturier. Le 13/02/2020
Tentative pour esquisser un portrait d'Angela Merkel, élue présidente de la CDU il y a presque vingt ans et chancelière fédérale il y a presque quinze ans.
Dans le Dictionnaire amoureux de l'Allemagne, récemment paru chez Plon, j'ai voulu savoir ce que Michel Meyer - journaliste chevronné de France Télévision et de Radio France, réputé comme l'un des meilleurs connaisseurs de l'Allemagne contemporaine - il y a séjourné à plusieurs reprises comme correspondant, tant côté RFA que RDA - ce qui a toujours donné à sa manière d'en décrypter l'actualité un relief particulier - écrivait à propos d'Angela Merkel.
Une relative indifférence aux affronts
« Angela, finalement et plus que tout, aime l'harmonie », disait d'elle son pasteur luthérien de père, rapporte Michel Meyer. D'où sa manière d'éviter le conflit ouvert. Et une relative indifférence aux affronts. Ce n'est pas une "dame de fer", mais une "dame Teflon", écrit Meyer. Non seulement rien ne semble l'atteindre, mais "elle ne prend jamais franchement parti". Tout glisse sur elle.
Dans le même ordre d'idée, l'auteur lui reconnaît une qualité très particulière : sa capacité à pressentir chez ses interlocuteurs la fragilité psychologique, le besoin de contrebalancer, par le pouvoir, une secrète blessure. On devine combien cette faculté a pu la servir et la sert encore face à ses interlocuteurs français... Ce que tant d'étrangers prennent, chez nous, pour de l'arrogance, n'est-il pas dû à un phénomène classique de compensation ? Depuis 1870, face aux Allemands, n'avons-nous pas accumulé les défaites sur à peu près tous les plans, des champs de bataille aux marchés du commerce extérieur ?
Et les grandes intentions de Macron pour l'Europe – gouvernement économique de la zone euro, doté d'un budget d'investissement de la zone euro, harmonisation fiscale et j'en passe - se sont vues opposer une force d'inertie redoutablement efficace.
Un coeur qui bat secrètement pour l'écologie ?
Meyer explique la psychologie d'Angela Merkel par ses années de formation. La chancelière de l'Allemagne réunifiée et triomphante a vécu sa jeunesse dans l'autre Allemagne, l'Allemagne grise, pauvre, policière - parce que soviétisée. Dans un pays où tout dépendait de l'Etat-Parti, obtenir l'autorisation de poursuivre des études, obtenir un emploi, un logement, bref surnager, exigeait d'offrir l'apparence de la docilité. Merkel "sait d'expérience que l'on ne survit qu'en cachant son jeu." Et "elle ne se laisse jamais décontenancer. Une longue accoutumance au silence sur ses sentiments l'a blindée pour la vie" écrit encore Michel Meyer.
Le père d'Angela Merkel faisait partie de ces idéalistes qui avaient choisi l'installation en RDA par horreur de l'américanisation dans laquelle s'était engagée la RFA au sortir de la guerre. Il aurait rêvé d'une "troisième voie" entre capitalisme et communisme, pacifistes et écologistes. Angela elle-même serait "politiquement plus proche des Verts qu'elle ne l'avouera jamais", écrit Michel Meyer, qui n'a pas été étonné plus que ça par la brutale décision de la chancelière d'abandonner la filière nucléaire. "La pénurie d'électricité qui en résulte est comblée en brûlant du charbon polonais et du gaz russe dans des centrales thermiques, qui crachent du CO² à profusion."
Humboldt, ordolibéralisme et miracle économique allemand
On s'en veut de réduire un ouvrage de 800 pages, extrêmement denses, à un seul de ses articles. Mais c'est la loi du genre. Sachez que vous y trouverez aussi les frères Humboldt, par exemple. Wilhelm, le linguiste, dont la statue banche vous accueille devant l'université de Berlin – il l'a fondée. Et son cadet, Alexander, "le savant-aventurier le plus risque-tout de son temps ", dont les relations de voyages seront pillées par notre Jules Verne.
Mais c'est l'entrée consacrée à l'ordolibéralisme qui m'a le plus retenu. Michel Meyer y explique, en effet, en quoi la doctrine qui a permis le "miracle économique allemand" d'après-guerre, prenait l'exact contre-pied de l'économie administrée à la mode nazie.
Hjalmar Schacht, auquel une bande dessinée est consacrée en ce moment, Le banquier du Reich, était une espèce de keynésien allemand. La politique qu'il mena en tant que ministre de l'économie de l'Etat nazi entre 1934 et 1937 était mercantiliste, protectionniste et autarcique. La relance économique de l'Allemagne, à cette époque, s'apparentait, par bien des aspects, au New Deal, mené aux Etats-Unis à la même époque, par un président de gauche : Roosevelt : grands travaux publics, financés par la dette, mobilisation de la main-d'œuvre, mesures sociales généreuses. Les idéologues nazis, comme Gottfried Feder, entendait remettre "l'économie à sa place", et proclamaient "le primat du politique" et de la "volonté nationale" sous la férule d'un état planificateur et autoritaire. Au profit du réarmement de l'Allemagne, ce qui n'était nullement le cas aux Etats-Unis.
Les ordolibéraux d'après-guerre réagirent à ces folies en prônant quelques principes qui sont encore d'actualité en Allemagne : l'Etat doit assurer le bon fonctionnement des marchés. Il ne doit pas intervenir de manière discrétionnaire en fonction des lubies du gouvernement du moment, mais respecter des règles connues de tous. Cela permet aux acteurs économiques de faire leurs prévisions. La monnaie doit être solide, garantie contre l'inflation, et le budget viser à l'équilibre. Ce sont ces règles simples qui ont assuré le redressement, puis le succès économique de l'Allemagne.
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En Allemagne, la popularité exceptionnelle d'Angela Merkel, relancée par sa gestion de l'épidémie de Covid-19
Article publié par Thomas Wieder (Berlin, correspondant) dans Le Monde, jeudi 19 novembre 2020.
Cette fois, le Reichstag était bien gardé. Mercredi 18 novembre, les opposants aux restrictions imposées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 n'ont pas rejoué la scène du 29 août, quand quelques centaines d'entre eux tentèrent de prendre d'assaut le siège du Parlement allemand (Bundestag).
Mais leur colère était intacte, et Berlin a de nouveau été le théâtre, mercredi, de manifestations bruyantes contre une Angela Merkel accusée de vouloir instaurer une « dictature » en faisant voter une nouvelle mouture de la « loi de protection contre les infections », comparée par ses détracteurs à celle qui donna les pleins pouvoirs à Adolf Hitler, en mars 1933.
Ces images, pour autant, ne doivent pas tromper. Certes, le gouvernement allemand se heurte, depuis le début de l'épidémie, à une opposition résolue et protéiforme, où se mêlent militants d'extrême droite aux velléités factieuses, conspirationnistes enflammés, antivaccins convaincus et citoyens ordinaires sincèrement soucieux de défendre les libertés fondamentales. Mais cette opposition reste très circonscrite. Au total, moins de 10 000 manifestants étaient ainsi présents, mercredi, à Berlin. En juillet et en août, certains rassemblements « antimasque » avaient attiré deux à trois fois plus de monde dans la capitale allemande.
Pour Angela Merkel qui fêtera, dimanche 22 novembre, le quinzième anniversaire de son élection à la tête du gouvernement, ces chiffres sont plutôt rassurants. Conspuée par une petite minorité active, la chancelière jouit en effet de sondages dont rêveraient la plupart de ses homologues. Début novembre, sa cote de popularité atteignait ainsi 74 % d'opinions favorables dans le baromètre mensuel ARD-Deutschlandtrend, soit 21 points de plus qu'en mars, au début de l'épidémie de Covid-19. Jamais elle n'avait atteint un tel taux de satisfaction depuis avril 2015, à la veille de la crise de réfugiés.
« Communication sobre, concrète et désidéologisée »
A quoi tiennent ces sondages mirobolants ? Pour Thorsten Faas, professeur de sociologie politique à l'Université libre de Berlin, « la popularité d'Angela Merkel ne peut s'analyser indépendamment de celle de l'ensemble du pouvoir exécutif, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral ou des gouvernements des différents Länder, dont l'action est saluée par une large majorité des électeurs ».
Les sondages le confirment. Début novembre, la « grande coalition » au pouvoir à Berlin, alliance des conservateurs (CDU-CSU) et des sociaux-démocrates (SPD) laborieusement formée début 2018, était ainsi soutenue par 67 % des personnes interrogées, soit 32 points de plus qu'en mars, selon le baromètre ARD-Deutschlandtrend. Et ce qui est vrai pour la chancelière l'est aussi pour les autres poids lourds de son équipe, comme Jens Spahn (CDU), l'ambitieux ministre de la santé en qui certains voient déjà le prochain président de la CDU (65 % d'opinions favorables, + 14 points depuis mars), ou Olaf Scholz (SPD), le ministre des finances (63 %, + 17) qui a annoncé, en août, qu'il serait candidat à la chancellerie en 2021.
Au vu de ces chiffres, on oublierait presque que ce gouvernement, au début de l'année, paraissait au bord de l'éclatement, et que de nombreux observateurs imaginaient alors que Mme Merkel serait incapable d'achever son cinquième mandat, prévu à l'automne 2021. L'épidémie de Covid-19 a totalement changé la donne, sa « grande coalition » parvenant à profiter politiquement d'une situation sanitaire incomparablement moins dramatique, en Allemagne, qu'elle ne l'a été jusque-là dans la plupart des autres grands pays européens.
Ce bilan, toutefois, ne suffit pas à lui seul à expliquer le regain de popularité dont jouit la chancelière depuis le début de l'épidémie. « Dans le cas de Merkel, plusieurs facteurs s'entrecroisent , analyse Thorsten Faas. D'abord, la confiance qu'elle inspire, liée à la fois aux crises qu'elle a surmontées dans le passé et à sa formation de scientifique, qui donne l'impression qu'elle est particulièrement armée intellectuellement pour faire face à une crise comme celle d'aujourd'hui. Ensuite, sa communication sobre, concrète et désidéologisée, qui donne peu de prises aux oppositions politiques. Enfin, l'impression qu'ont les gens qu'elle agit de façon désintéressée dans la mesure où elle a promis de quitter le pouvoir dans un an et de ne plus être candidate à rien. »
Au quotidien, ces sondages mirobolants ne changent pourtant rien à la réalité institutionnelle du pays. Pour le dire autrement, la popularité dont jouit Mme Merkel auprès de l'opinion publique ne l'empêche pas de se heurter à des résistances qui rappellent que les pouvoirs du chancelier fédéral, en Allemagne, sont bien plus limités que ceux, par exemple, du président de la République en France.
Pas la seule comptable des décisions douloureuses
Cette semaine l'a encore montré : lundi, elle n'a ainsi pas réussi à imposer un durcissement de certaines restrictions, notamment concernant la généralisation du port du masque pour les élèves de toutes les classes, les Länder défendant jalousement leurs prérogatives en matière d'éducation face à l'Etat fédéral. « Je regrette que les choses aillent parfois trop lentement car plus on agit tôt, plus on peut desserrer l'étau rapidement » , a-t-elle d'ailleurs reconnu le lendemain, lors d'une rencontre organisée par la Süddeutsche Zeitung , ajoutant : « Voilà pourquoi je suis parfois impatiente, même si le fédéralisme est en soi une bonne chose. »
A la tête d'un Etat fédéral qui n'en fait pas la seule comptable des décisions douloureuses prises dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, celles-ci étant assumées par l'ensemble des gouvernements régionaux où siègent tous les formations politiques du pays à l'exception du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), Mme Merkel jouit aujourd'hui d'un horizon d'autant plus dégagé que l'épidémie a complètement relégué au second plan le débat sur sa propre succession.
D'abord prévu en avril, puis reporté une première fois à début décembre, le prochain congrès de la CDU ne devrait finalement avoir lieu que mi-janvier 2021. A ce stade, personne ne se hasarde à faire le moindre pronostic sur l'éventuel gagnant de la compétition, entre l'homme d'affaires et ancien député Friedrich Merz, le ministre-président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie Armin Laschet, et le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, Norbert Röttgen. Sans oublier le chef de la CDU bavaroise, Markus Söder, qui jure ne pas être intéressé par le poste de chancelier mais qui semble faire figure de favori pour le poste auprès de l'électorat conservateur.
Pour ces différents prétendants, la partie est d'autant plus compliquée que certains, comme M. Merz ou M. Söder, ont bâti une partie de leur capital politique en se posant comme des adversaires d'une Angela Merkel coupable à leurs yeux de dilapider l'héritage de la droite conservatrice en décidant d'accueillir un million de réfugiés en Allemagne ou de permettre l'adoption du mariage homosexuel.
Face à une chancelière à nouveau au faîte de sa popularité, ces anciens « frondeurs » ont compris que ce n'est plus en jouant la rupture qu'ils peuvent avoir des chances de lui succéder. Une façon, pour Mme Merkel, de continuer à peser sur le scénario de sa succession à moins d'un an de son départ annoncé.
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Merkel, 15 ans au pouvoir, sans une ride
Au faîte des sondages, sans vrais concurrents ni successeurs, la chancelière allemande semble inoxydable.
Article publié par Pierre Avril dans Le Figaro, lundi 23 novembre 2020.
En cette période de Covid-19, la scène se répète depuis plusieurs semaines, à Berlin. Inquiète de la persistance du virus, Angela Merkel convoque des présidents de régions récalcitrants, pour tenter de durcir les mesures de confinement. À deux reprises, ces réunions se soldent par des échecs et, au final, le statu quo prévaut. Au lendemain de ces sommets avortés, la chancelière se plaint publiquement de ne pas avoir été écoutée par les barons locaux et répète son message. « Nous devons réduire les contacts, réduire les contacts, réduire les contacts » , a-t-elle encore insisté mardi. Heureusement, l'épidémie reste sous contrôle. L'Allemagne figure comme l'un des meilleurs élèves de la classe européenne, et cela suffit au bonheur de la population.
Angela Merkel impose rarement ses propres décisions. Mais elle incarne, encore et toujours, la voix de la sagesse. Souvent photographiée, doigts et mains croisés devant sa taille, la première dame du pays reste placide. Son flegme, son expérience et son assurance, plaisent autant à ses administrés qu'à plusieurs chefs d'État européens. Quinze ans après son accession au pouvoir, le 22 novembre 2005, elle reste le phare politique de l'Allemagne, dont elle ne s'apprête à lâcher les rênes que l'an prochain. Désignée à treize reprises par le magazine Forbes comme la « femme la plus puissante du monde » , elle domine l'Europe. Élue au terme de scrutins à la légitimité incontestable, elle ne partage une telle longévité qu'avec les autocrates Vladimir Poutine (vingt ans dont cinq comme premier ministre) et le Biélorusse Alexandre Loukachenko (vingt-six ans).
Ce mois-ci, 86 % de ses concitoyens plébiscitaient son action - un record seulement égalé en juillet 2014. Son taux de popularité n'est jamais passé sous la barre des 50 %, selon les sondages de l'Institut Wahlforschung. Fidèle à sa discrétion, la chef du gouvernement fédéral n'a pas fêté le quinzième anniversaire de son élection, et la date n'a pas retenu l'attention des journaux du pays. « Ce week-end, elle va participer au sommet du G20 » , résumait, vendredi soir, son porte-parole Steffen Seibert. Le travail d'abord.
« Je n'ai jamais voté pour les conservateurs de la CDU mais la politique de Merkel est bonne. La manière dont elle gère la crise du coronavirus, le fait qu'elle ait abandonné l'énergie nucléaire ou qu'elle ait accueilli les immigrés me plaît. Elle réagit rationnellement et de manière humaine. C'est une femme plutôt carrée, qui ne se laisse pas attirer dans les intrigues » , se réjouit Gisela Meyer. L'exemple de cette retraitée berlinoise acquise aux sociaux-démocrates, qui a vécu les récents chaos de l'histoire allemande, illustre à merveille la popularité transpartisane de la chancelière. La fenêtre de son appartement, dans le quartier de Lichterfelde, donne sur un pan du mur de Berlin, dont elle a assisté - du côté ouest - à la démolition.
« Merkel, première femme de l'Est à devenir ministre fédérale puis chancelière, constitue un exemple pour beaucoup de gens de l'ex-RDA » , poursuit Gisela Meyer. Même son pire ennemi à la CDU, Friedrich Merz, qui ambitionne de lui succéder, reconnaît que les années Merkel « furent une bonne période pour l'Allemagne » . La chancelière s'est révélée une « bonne manager de crise » , souligne au Figaro ce responsable politique, représentant de l'aile libérale de la CDU. La chancelière plaît à droite et à gauche de l'échiquier.
« Parfois, je suis libérale, parfois conservatrice, parfois sociale-chrétienne. Et c'est ce qui fait la CDU » , expliquait l'intéressée, en 2010, dans le talk-show dominical vedette de la chaîne ARD. Privée, en début de carrière, du soutien des bastions rhénans de la démocratie chrétienne, la fille de pasteur protestant de l'Est, divorcée et sans enfants, a réussi à domestiquer la CDU. « Elle est aussi parvenue à cimenter, voire pétrifier la politique européenne autour de l'Allemagne » , critique Ulrike Guérot, chef du département de politique européenne à l'université autrichienne de Krems.
À rebours de la doctrine libérale de son propre camp, elle a fait baisser l'âge de la retraite de 67 ans à 63 ans, moyennant un seuil minimum de 45 ans de cotisations. Et elle a accepté l'introduction d'un salaire minimum. « Aucune personne ayant un coeur peut rejeter une telle idée » , justifia-t-elle devant le Bundestag. De même a-t-elle fait adopter en 2017 le mariage pour tous, puis s'est ralliée au principe de la parité hommes-femmes dans les instances dirigeantes de la CDU. Encore faut-il rappeler que ces décisions ont été prises sous la pression des sociaux-démocrates, avec qui elle a gouverné durant onze ans, au sein de trois grandes coalitions.
Sur la scène européenne, Angela Merkel a notamment imposé les conditions du contribuable allemand au sauvetage de la Grèce. En 2015, elle a pris de court ses alliés en ouvrant les portes de son pays aux réfugiés. Dictée encore une fois par les raisons du « coeur » , l'initiative de la chancelière a déstabilisé ses partenaires, notamment l'Italie, juge Ulrike Guérot. En interne, sa décision a conduit à remettre en selle le parti d'extrême droite AfD, tout en recueillant un large soutien dans une autre partie de l'opinion publique allemande.
Paris crédite Angela Merkel de s'être ralliée au projet d'un emprunt communautaire, afin de stimuler l'économie des Vingt-Sept frappée par la crise sanitaire. L'Élysée veut voir dans ce ralliement un tournant européen de la politique allemande. Enfin, la chancelière est à la manoeuvre pour tenter de boucler les négociations sur le Brexit, d'ici à la fin de l'année.
Sa recherche constante de « l'équilibre et du compromis » , parfois au détriment de « l'audace » , soulignent certains opposants, a durablement façonné la politique allemande et communautaire. « Cette politique par laquelle la CDU s'est installée au centre de l'échiquier lui a permis de remporter des succès électoraux, mais a eu un effet anesthésiant sur le pays. Et il n'est pas impossible que nous devrons payer plus tard cet excès de stabilité » , juge Benedikt Grodau, un haut fonctionnaire du ministère des Finances. Ce dernier en veut aussi pour preuve, la volte-face centriste opérée à gauche, par le SPD. En octobre 2019, les sociaux-démocrates élisaient à leur tête un couple de militants de l'aile radicale, au détriment du ministre des Finances, Olaf Scholz, jugé trop conservateur. En août 2020, faisant fi des résultats de leur primaire, le parti désignait à nouveau ce dernier comme leur candidat à la chancellerie.
À la CDU, le dilemme est identique. Grâce à Angela Merkel, le parti jouit d'une popularité inégalée, mais semble incapable de faire émerger un leader capable de lui succéder. L'ombre qu'elle projette sur la scène politique dissuade les prétendants de questionner son bilan. Comme si leur horizon devait se limiter « à faire du Merkel sans Merkel » , constatent les observateurs. « Nous ne serons pas élus en 2021 par gratitude envers ce que la chancelière a accompli en seize ans, mais seulement si nous offrons à nos électeurs une perspective fiable et leur transmettons la confiance pour la décennie à venir » , confie au Figaro Friedrich Merz.
Candidat le plus critique à l'égard de l'héritage Merkel, ce dernier bénéficie du soutien de la base insatisfaite mais discrète de la CDU, notamment des Jeunes du parti (Junge Union). À l'échelle nationale, cependant, il ne décolle pas dans les sondages. Dans la famille chrétienne-démocrate, le plus populaire se révèle être le président de la CSU, Markus Söder. Mais outre que ce dernier n'a pas fait acte de candidature, son origine bavaroise le dessert à Berlin. À l'heure actuelle, le favori de cette primaire reste le président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Armin Laschet, dont la candidature revendiquée ne suscite pourtant aucun enthousiasme.
Au lendemain de l'élection de Joe Biden, tous ont en commun de revendiquer un rôle accru pour l'Europe, en matière de défense. Une manière de se rapprocher des propositions d'Emmanuel Macron. Souvent évoqué par Angela Merkel, ce chantier peine à se concrétiser. Or, récemment, la ministre de la Défense et ex-dauphine malheureuse de la chancelière, Annegret Kramp-Karrenbauer, a tenté de l'enterrer. L'actuelle présidente en sursis de la CDU a rappelé que la sécurité de l'Europe resterait toujours dépendante des États-Unis. Les gardiens du Temple veillent.
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Angela Merkel dans la dernière ligne droite
Article publié par Stéphane Bussard dans Le Temps, mercredi 23 décembre 2020.
PARCOURS Après plus de quinze ans au pouvoir, on peine à imaginer l'Allemagne sans sa chancelière. En septembre 2021 pourtant, elle achèvera son quatrième mandat et tirera sa révérence. Fervente combattante de la démocratie libérale, elle est apparue comme une boussole morale pour l'Europe
Elle a côtoyé quatre présidents français en fonction, Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. Elle a négocié avec cinq premiers ministres britanniques, Blair, Brown, Cameron, May et Johnson. A partir du 20 janvier prochain, elle aura traité avec quatre présidents américains, Bush fils, Obama, Trump et Biden. Durant son règne, elle a même vu passer six présidents allemands. Quand la chancelière Angela Merkel quittera ses fonctions après quatre mandats et presque seize ans à la tête du pays au lendemain du 26 septembre 2021, une page d'histoire va se tourner pour l'Allemagne et pour l'Europe.
Flair et machiavélisme
Journaliste à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Philip Plickert a consacré un ouvrage collectif à la chancelière intitulé Merkel. Eine kritische Bilanz. Selon lui, « Angela Merkel est un caméléon du pouvoir. Elle est capable de changer de couleur (politique), de s'adapter à son environnement et à la nécessité du moment. » Rien ne destinait pourtant à un tel parcours politique cette Allemande née à Hambourg, ayant grandi dans la petite ville est-allemande de Templin et diplômée de physique de l'Université Karl-Marx de Leipzig.
Camarade d'école à Templin, au nord de Berlin, Elke Schulz a revu Kasi (surnom d'Angela née Kasner) à plusieurs reprises lors de réunions des anciens de la classe. Elle le confie: « Je m'attendais à ce qu'un jour j'entende de nouveau parler d'Angela, surtout dans le domaine de la science. Le fait qu'elle se soit lancée en politique m'a surprise. »
A ses débuts au sein de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Merkel a pu paraître ingénue. Mais elle a vite appris les rouages de la politique et à éliminer ses éventuels contradicteurs. C'est elle qui, au cœur du scandale des caisses noires de la CDU impliquant le chancelier de la « réunification », Helmut Kohl, demanda publiquement dans la presse la démission de celui qui l'avait lancée en politique. De façon paternaliste, celui-ci, aigri, dira dans ses Mémoires que sans lui Merkel n'aurait jamais
eu une telle carrière.
Couvrant la Chancellerie pour l'hebdomadaire Die Zeit, Tina Hildebrandt le relève: « Merkel a cette faculté héritée de son éducation en RDA de lire entre les lignes et de tenir des discours qui restent un peu opaques pour le commun des mortels, mais qui sont clairs pour ceux qui la connaissent. Il ne faut pas oublier qu'elle est extraordinairement analytique. »
Le grand talent de la chancelière, ajoute Mariam Lau, spécialiste de la CDU à Die Zeit, « c'est aussi cette capacité à se mettre à la place des autres. Peu de dirigeants occidentaux ont pu réellement discuter avec Vladimir Poutine autant que Merkel » . Bien qu'elle fût très ébranlée par l'annexion de la Crimée, elle continuera à parler au maître du Kremlin dont elle saisit bien le fonctionnement. Une quête incessante de dialogue qui rappelle le mantra d'un autre Allemand, Willy Brandt, architecte de l'Ostpolitik.
Parfois décrite comme la dirigeante la plus puissante du monde, la chancelière ne s'est pas particulièrement illustrée sur le front de la politique intérieure. Sous sa direction, le pays a connu une prospérité exemplaire. Mais elle a surtout récolté les fruits de la réforme du marché du travail menée par son prédécesseur, Gerhard Schröder, connue sous le nom de Hartz IV. « Elle a très peu fait pour moderniser le pays », précise Mariam Lau.
La sortie du nucléaire a également été un moment majeur du merkelisme. Pour Philip Plickert, la chancelière a agi sous la panique après l'accident nucléaire de Fukushima au Japon. Elle a ainsi précipité un tournant énergétique très onéreux que la sortie progressive du charbon d'ici à 2038 rend encore plus difficile. D'autres y ont vu une partie du génie politique de Merkel: saisir le moment d'une catastrophe internationale pour inscrire l'Allemagne dans une stratégie énergétique moderne axée sur le renouvelable. C'est tout le paradoxe Merkel: elle a rarement pris de grands risques sur la scène politique allemande. Et pourtant, cet apparent attentisme ne l'a pas vraiment pénalisée, les Allemands semblant se contenter d'avoir une chancelière œuvrant comme une boussole morale du pays. Rien à voir avec le chancelier Kohl, que tout le monde associe à la réunification des deux Allemagnes. Difficile, admet Tina Hildebrandt, de mentionner un événement qui restera gravé en lettres d'or dans le bilan de Merkel. A une exception près. « Son geste d'humanité » de 2015, quand elle laissera près d'un million de migrants syriens et afghans entrer en Allemagne, « restera dans les livres d'histoire » .
Cette humanité est un trait de caractère que beaucoup attribuent au cadre dans lequel Merkel a grandi, le complexe de Waldhof à Templin, qui comprenait notamment une institution pour handicapés. Mais aussi à l'éducation que la chancelière a reçue de ses parents. La mère de Merkel était très active au SPD. Le père était dénommé « der rote Kasner » (Kasner le rouge). Membre du SPD, Christian Hartphiel, gay, la quarantaine, a grandi dans cette ville. Il a connu les parents Kasner, qu'il admirait. Mais il avait quelques doutes sur l'orientation politique initiale de la chancelière, que beaucoup voyaient comme très « libérale » .
Il s'est néanmoins félicité que Merkel obtienne la citoyenneté d'honneur de sa ville: « J'ai moi-même accueilli des réfugiés afghans. Vous pouvez imaginer que j'ai vu d'un très bon oeil l'ouverture des frontières. » Angela Merkel avait alors prononcé la célèbre phrase: « Wir schaffen das » ( « Nous réussirons » ). Les faits lui donneront raison: près de 400 000 réfugiés arrivés en 2015 ont trouvé un emploi dans une Allemagne en quête de main-d'oeuvre.
En visite à la foire de Hanovre en avril 2016, le président américain, Barack Obama, admiratif, avait déclaré: Merkel est « du bon côté de l'histoire » .
Philip Plickert n'est pas aussi dithyrambique. Il estime que la Willkommenskultur de Merkel a eu un coût politique énorme. Elle a produit un appel d'air. Cet Alleingang, sans concertation avec les partenaires européens, fut « arrogant » . Il a contribué à la montée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) et à l'émergence d'une tendance très anti-immigration en Hongrie, Pologne ou République tchèque.
« Je n'exclus pas, dit-il, que le chaos créé par cette politique ait contribué au Brexit. » Par pragmatisme, Merkel a poussé à l'adoption d'un accord migratoire controversé conclu par l'UE avec la Turquie pour baisser la pression migratoire. En Allemagne, il fut bien accueilli. Mais la chancelière, explique Mariam Lau, « a commis une grave erreur. Elle a omis de prendre la mesure du problème de la Grèce, au front des vagues migratoires vers l'Europe » .
Transformation de la CDU
Si Angela Merkel n'a pas réformé l'Allemagne, elle a en revanche fortement modernisé la CDU, qui demeure un des rares partis chrétiens-démocrates européens (35% des intentions de vote) à ne pas s'être effondré dans un contexte de forte montée du populisme et de relativisme partisan. Sa recette: un flair politique, de l'opportunisme et une once de machiavélisme.
« Elle n'avait rien a priori pour séduire une CDU encore très conservatrice, explique Tina Hildebrandt: elle venait de la RDA, c'était une femme, protestante et divorcée. » C'était, pour reprendre le titre de l'ouvrage de la journaliste Marion Van Renterghem, un « ovni politique » . Mais elle a su profiter de la petite fenêtre d'opportunité qui s'est ouverte à elle. Sa tactique était une forme de macronisme avant la lettre: phagocyter l'opposition.
Philip Plickert ne ménage pourtant pas la chancelière: « Merkel a tellement copié les autres partis qu'elle a déplacé la CDU au centre gauche. Ce faisant, elle a réduit fortement l'influence du SPD. Mais elle a laissé un immense espace à droite qu'occupe le parti d'extrême droite AfD. » Selon Mariam Lau, Merkel est une « hégélienne à la manière d'un Obama » . Dans un monde où la rationalité se délite sous les coups de boutoir des Trump et autres Johnson, le côté très Aufklärung ( « les Lumières » ) de Merkel rassure non seulement en Allemagne, mais aussi au sein des démocraties libérales occidentales. Mais il ne réussit pas à convaincre automatiquement ceux que les sirènes populistes attirent.
Trois candidats s'affrontent déjà dans la perspective de l'élection à la présidence de la CDU en janvier et plus tard pour la succession de Merkel: Friedrich Merz, Armin Laschet et Norbert Röttgen. Tous trois sont catholiques, de la partie occidentale de l'Allemagne. Ils pourraient être plus volontaristes en matière de politique européenne. Mais il est peu probable, expliquent les experts, qu'ils fassent un virage à droite à 180 degrés.
Quand elle vivait en RDA où la socialisation était différente et les femmes plus impliquées dans le monde du travail, Merkel s'était peu interrogée sur la question de genre. Dans une Allemagne réunifiée, une fois au pouvoir, elle s'est cependant rendu compte que dans son parti le statut de femme pouvait être un obstacle.
Mais par ses quatre mandats à la tête de l'Allemagne, elle aura sans doute fait davantage pour le féminisme qu'elle ne l'imagine elle-même. Sur d'autres thèmes sociétaux, elle a été plus discrète. C'est le cas du mariage gay. « Au fond, elle n'y était pas très favorable, se souvient Christian Hartphiel. Mais à son crédit, c'est elle qui a poussé pour que le débat ait lieu au Bundestag. »
Héraut de la stabilité
Auteur d'Angela Merkel. Die Kanzlerin und ihre Welt, Stefan Kornelius, journaliste à la Süddeutsche Zeitung, relève que les quatre mandats de la chancelière s'inscrivent dans une période de fortes turbulences. Malgré la crise de l'euro, la crise migratoire et la pandémie de Covid-19, « Angela Merkel a réussi à maintenir le pays dans une stabilité politique, économique et diplomatique remarquable » . Marion Van Renterghem surenchérit: « On ne lui demandait pas de changer le pays, mais simplement d'y maintenir une stabilité prospère, un principe presque idolâtré par les Allemands.
Sans véritable idéologie, sans charisme, Merkel a néanmoins trouvé dans les crises un terrain de prédilection où s'exprime au mieux son sang-froid de scientifique. Il y a deux ans, on donnait peu cher de son avenir politique et elle dut lâcher la présidence de la CDU. Si depuis le début de la pandémie sa cote de popularité est de nouveau stratosphérique, c'est parce qu'elle explique avec méthodologie et pédagogie aux Allemands confrontés au Covid-19 le danger de la propagation exponentielle du virus. Et bien que les cas positifs aient, depuis, explosé en Allemagne, les citoyens semblent toujours lui faire confiance.
Le 9 décembre, devant le Bundestag, au bord des larmes, elle expliquait la nécessité de réimposer un confinement partiel: « Du fond du coeur, je suis navrée. Mais il est inacceptable que 590 personnes meurent chaque jour. » La scène a brisé l'image austère que peut parfois dégager la chancelière. Tina Hildebrandt, qui la suit lors de ses voyages, n'est pas surprise: « Elle peut être très enjouée. Elle a parfois des fous rires très communicatifs. »
Saluée comme un des derniers grands dirigeants européens, Angela Merkel « était plus Allemande qu'Européenne au cours de ses trois premiers mandats, se souvient Marion Van Renterghem. Après avoir abîmé son image d'Européenne pendant la crise grecque par une politique d'austérité à tous crins, elle a pris conscience de l'importance de l'UE. Si elle a longtemps résisté aux propositions de réforme du président français, Emmanuel Macron, elle a récemment surpris son monde en acceptant la mutualisation des dettes à l'échelle européenne pour faire face aux conséquences du Covid-19. Un tournant majeur.
« L'Europe, relève Tina Hildebrandt, c'est plus une question d'intellect que d'amour affectif. » Pendant son règne, l'influence de l'Allemagne en Europe n'a de fait pas cessé d'augmenter. « Que l'Europe accepte que l'Allemagne soit aussi influente, ajoute Stefan Kornelius, est une preuve de confiance. D'un point de vue historique et symbolique, c'est énorme. Le mérite en revient à Angela Merkel. »
Avec le recul de près de cinquante ans, Erika Benn, 80 ans, qui a enseigné le russe à « Kasi », n'est pas surprise par la stature qu'a prise Angela Merkel. « Elle était très ambitieuse. Ce n'était pas une étudiante comme les autres. Je me souviens bien d'elle. Elle, fille de pasteur protestant, avait déjà déjoué les grilles de lecture traditionnelles. Elle gagna, en 1969, les Olympiades de russe à l'échelle locale et nationale. » Mais en RDA, elle préféra se concentrer sur les sciences naturelles, moins politisées...
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L'apôtre de la santé globale
La chancelière allemande croit fermement en la nécessité d'assurer une couverture médicale universelle. Elle s'est fortement engagée pour renforcer l'OMS, surtout quand elle est frappée par des crises
Angela Merkel et la santé globale.
On l'a vu à travers la gestion du Covid-19 en Allemagne: ce couple est indissociable. La chancelière, scientifique de formation, connaît mieux que personne les enjeux sanitaires, mais aussi économique de la pandémie. Elle pousse depuis des années à une coopération internationale plus marquée. En 2015 déjà, elle était un des rares chefs de gouvernement à venir à Genève devant l'Assemblée mondiale de la santé pour exhorter les Etats membres à augmenter leurs contributions financières à l'OMS.Avec le Covid-19, on a pu constater les problèmes découlant d'une assise financière trop faible de l'agence onusienne. Son appel retentissant à Genève était prémonitoire: « La santé d'une personne est la santé des autres. L'efficacité du système sanitaire d'un pays a un impact sur celui d'autres pays ainsi que sur la sécurité et la stabilité du monde. » La même année, la chancelière interpellait le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, pour créer un groupe de travail sur les crises de santé globale. Présidente et cofondatrice du Global Health Centre à l'Institut de hautes études internationales et du développement, Ilona Kickbusch peut témoigner de l'engagement de Merkel. Elle a officié comme conseillère de l'ex-ministre de la Santé allemand Hermann Gröhe pour inscrire la santé pour la première fois à l'agenda du sommet du G7 et du G20 en 2017. « C'était le voeu de la chancelière, qui maîtrise parfaitement le domaine sanitaire. La santé globale, pour elle, c'est le multilatéralisme, un élément fondamental de la politique étrangère de l'Allemagne, qui ne peut agir seule dans le monde. C'est un soft power important pour Berlin. Et pour l'Allemagne, c'est une manière de mettre en avant ses points forts, notamment la science. Une couverture médicale universelle est un objectif qui lui est cher. » Le premier G20 de la santé, qui s'est tenu à Berlin, n'avait pas pour but de créer un nouveau forum, au risque d'affaiblir l'OMS. C'était au contraire dans le but de la renforcer. Le soutien de Merkel à l'agence onusienne en 2015 était d'ailleurs très opportun. L'OMS sortait d'une de ses pires crises sanitaires, l'épidémie d'Ebola en Afrique, qui a tué plus de 11 000 personnes.
La leçon d'Ebola
En 2020, Angela Merkel a une nouvelle fois affirmé son fort soutien à l'organisation à un moment crucial: en juin, l'administration de Trump claquait la porte de l'OMS. Sur le plan européen, le fait que Merkel a assumé cette année la présidence tournante de l'UE a joué un rôle important. Avec Ursula von der Leyen, une amie, doctoresse et présidente de la Commission européenne, elle a poussé l'UE à s'engager fortement pour la santé globale. Avec la France de Macron, elle s'est faite aussi l'apôtre de réformes nécessaires pour renforcer l'OMS. ST. BU.
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« Elle ne voulait pas jouer les premières de la classe »
Ex-camarade de classe à Templin, Harmut Hohensee, cardiologue à la retraite de Dresde, se rappelle comme si c'était hier cette étudiante intelligente, mais qui aimait aussi participer aux fêtes de son école.
Harmut Hohensee est aujourd'hui à la retraite. Ancien médecin dans un hôpital militaire, ex-cardiologue indépendant, il vit à Dresde. Il a étudié avec Angela Merkel à Templin. Il se souvient bien de cette étudiante « qui ne faisait pas beaucoup de bruit dans la classe, qui était très appliquée et qui excellait dans les sciences naturelles » . Mais, dit-il, elle n'était pas du genre à jouer les premières de la classe, à s'asseoir à un pupitre près du professeur. « Elle préférait au contraire être assise à l'arrière de la salle. Elle n'hésitait pas à montrer ses devoirs à celles et ceux qui ne les avaient pas faits. » Socialement, elle a beau ne pas apparaître très exubérante comme chancelière allemande, elle a toujours participé aux sorties scolaires, aux activités sportives comme la voile, aux fêtes. « Quand on la revoyait, plus tard, elle pouvait être très cool, sans chichis. Elle était comme on l'a toujours connue. » L'ex-camarade de la chancelière ajoute: « Elle a beaucoup réfléchi à ce qu'elle voulait étudier. Au départ, elle semblait prête à opter pour la philosophie et la pédagogie, la voie choisie par sa mère. Mais des études en RDA étaient toujours liées à des attentes politiques. C'est pourquoi elle s'est finalement orientée vers les sciences. » Harmut Hohensee lui avait rendu visite à Leipzig quand elle étudiait la physique à l'université. Ils allaient trinquer dans une cave de l'université, la Moritzbastei, qu'elle avait dû, comme nombre d'étudiants, contribuer à construire.Le combat pour la paix « La première fois que je l'ai vue à la télévision, je ne l'ai pas reconnue! » ironise Harmut Hohensee, qui rappelle qu'Angela Kasner était engagée dans la FDJ, la Jeunesse allemande libre, l'antichambre du Parti communiste est-allemand. « C'était plutôt inhabituel pour la fille d'un pasteur et d'une mère membre du SPD. » L'influence de Herlind et Horst Kasner sur leur fille Angela a été « énorme, poursuit Harmut Hohensee. Horst était très charismatique, il avait un côté un peu « officier prussien », dit-il sur le ton de la boutade. Il a donné à sa fille la volonté et la discipline pour réussir. » Mais, ajoute l'ancien cardiologue, le père de Merkel aurait aimé réformer la RDA. Il pensait encore qu'une troisième voie était possible en lieu et place de la réunification des deux Allemagnes en 1990.En RDA, Angela Merkel a, conclut Harmut Hohensee, été marquée par l'Eglise protestante par le biais de son père, pasteur et formateur de théologiens. Une Eglise qui a joué un rôle majeur dans la révolution est-allemande de 1989. « Elle a aussi été marquée par l'esprit communautaire en RDA ainsi que le combat pour la paix. » ST. BU.
Illustration(s) :
Angela Merkel, ici le 13 décembre dernier en conférence de presse sur le confinement en Allemagne, maîtrise parfaitement le domaine sanitaire. (RAINER KEUENHOF/ GETTY IMAGES)
Des selfies en compagnie de migrants en Allemagne reconnaissants. (FABRIZIO BENSCH/REUTERS)
En 2001, avec Helmut Kohl, le chancelier de la réunification: une relation complexe. (DANIEL BISKUP/LAIF)
Avec Barack Obama, à Berlin en 2016. Selon la journaliste Mariam Lau, Merkel est une « hégélienne à la manière d'un Obama » . Dans un monde où la rationalité se délite, son côté très « Aufklärung » ( « les Lumières » ) a rassuré. (HANS CHRISTIAN PLAMBECK/LAIF)
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