Alternative für Deutschland, le nouveau parti d'extrême droite allemand⚓
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L'extrémisme de droite étend son emprise en Allemagne
Article publié par Ninon Renaud (Correspondante à Berlin) journal Les Echos. Publié le 9 juil. 2020 à 16h24 Mis à jour le 9 juil. 2020 à 16h54
Les renseignements allemands ont enregistré une augmentation de près de 10 % des infractions fondées sur des ressorts d'extrême droite. Parmi elles, celles à connotation antisémite ont augmenté de plus de 17 %. Berlin promet un rapport spécifique à la rentrée.
Le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer (à d.) et le président de l'Office fédéral de la constitution Thomas Haldenwang ont présenté jeudi le rapport annuel de l'institution garante de la sécurité et de la défense de la démocratie en Allemagne. (Hannibal Hanschke/Pool/Reuters)
La crise du coronavirus a beau avoir fait chuter sous les 10 % le parti d'extrême-droite AfD dans les sondages au bénéfice du parti chrétien-démocrate d'Angela Merkel qui avoisine les 40 %, le courant qu'il draine n'a jamais été aussi vivace. « L'extrémisme de droite constitue la plus grande menace pour la sécurité en Allemagne », a déclaré le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer jeudi, lors de la présentation du rapport annuel de l'Office de protection de la Constitution.
Terrorisme : le parti d'extrême droite allemand sur le banc des accusés
Selon ce document de plus de 380 pages, les délits motivés par des convictions politiques ont bondi de 14,2 %. La poussée de 40 % à 6.400 du nombre d'infractions issues des rangs de l'extrême gauche y est pour une bonne part. Mais celles perpétrées par des membres d'extrême-droite représentent plus du triple avec 22.300 infractions, ce qui représente une augmentation de 9,7 %. Parmi elles, les infractions à connotation antisémite ont augmenté de plus de 17 %, soit 1.844 cas recensés.
Potentiellement violents
« Une honte pour l'Allemagne », selon Horst Seehofer. Il a promis pour la rentrée un rapport de situation sur l'antisémitisme afin de mieux le combattre. « L'antisémitisme, la xénophobie et l'islamophobie continuent d'être les points de mire de l'agitation d'extrême droite », a précisé le ministre de l'Intérieur. L'an dernier, l'assassinat du préfet Walter Lübke , qui défendait la politique d'asile d'Angela Merkel, ainsi que l'attaque contre une synagogue à Halle ont marqué les esprits et donné un aperçu de la menace.
Le nombre d'actes violents inspirés par l'extrémisme de droite a beau avoir globalement diminué de 15 % l'an dernier, les rangs de la population susceptible de commettre de tels actes au sein de cette mouvance ont accueilli 300 individus de plus, soit un total de 13.000 personnes en 2019, évalue l'Office de protection de la Constitution. Comme en témoignent les neuf morts de l'attaque de Hanau en février dernier, « nous devons rester sur le pied de guerre », a déclaré Horst Seehofer.
L'AfD dans le viseur
C'est cette vigilance renforcée qui a d'ailleurs convaincu l'Office de la protection de la constitution de placer en mars « die Flügel » (l'Aile) sous surveillance . Avec quelque 7.000 aficionados, la mouvance la plus radicale de l'AfD, incarnée par le chef du groupe parlementaire de l'AfD en Thuringe Bjorn Höcke et le député du Brandebourg Andreas Kalbitz, représente près de 20 % des troupes du parti.
Selon le rapport des renseignements généraux allemands, le concept politique propagé par l'Aile vise la « privation extensive de droits » des migrants, des musulmans et des dissidents politiques. Cette décision explique aussi le bond de 30 % à 32.080 du nombre potentiel d'extrémistes de droite désormais dans le viseur des autorités allemandes.
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Allemagne. Le séisme politique de l'extrême droite
Article publié par Thomas Wieder dans Le Monde, lundi 8 octobre 2018.
En cinq ans d'existence, le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) a réussi une percée fulgurante. Née du combat contre l'euro, la formation mobilise désormais sur le racisme et la crise des migrants.Elle est entrée au Bundestag en septembre 2017 et menace la majorité absolue de la CSU lors des élections du 14 octobre en Bavière.
2013 6 février Fondation du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) à Oberursel, près de Francfort (Hesse). 22 septembre Aux élections législatives, l'AfD recueille 4,7 % des voix, moins que les 5 % nécessaires pour être représenté au Bundestag. 2014 31 août En Saxe, l'AfD entre pour la première fois dans un Parlement régional, obtenant 9,7 % des voix. Dans ce Land de l'ex-Allemagne de l'Est, où les prochaines élections régionales auront lieu le 1er décembre 2019, il est aujourd'hui crédité de 24 %-25 % des voix. 2017 24 septembre Avec 12,6 % des voix aux élections législatives, l'AfD est désormais la troisième force politique du Bundestag, derrière la CDU-CSU et le SPD. Son groupe compte 94 députés (sur 709). |
Berlin correspondant - Un soir de septembre en Bavière, à Moosburg-sur-l'Isar, coquette cité de 18 000 habitants à une cinquantaine de kilomètres de Munich. Corsetée dans un Dirndl, la robe traditionnelle bavaroise, Melanie Hilz est un peu seule sous son parasol aux couleurs du parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD, Alternative pour l'Allemagne). Peu de passants viennent lui parler. Beaucoup l'évitent, détournent le regard ou changent de trottoir. Certains sont agressifs. Comme cet automobiliste qui s'arrête devant elle pour lui lancer : « Espèce de sale nazie! »
Melanie Hilz ne se laisse pas démonter. Rien ne semble pouvoir altérer le sourire conquérant de cette femme de 32 ans, « mariée, mère de trois enfants et grossiste à temps partiel », comme le précise le tract qui promeut sa candidature aux élections régionales bavaroises du 14 octobre. A ses côtés, un de ses soutiens répond du tac au tac : « Nous sommes habitués à être traités comme des pestiférés. Comment voulez-vous qu'il en soit autrement, quand la presse et les partis du système nous insultent du matin au soir? Mais cela n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est la façon dont les gens votent. Or, sur ce point, ce qui s'est passé depuis la création de l'AfD, en 2013, est extraordinaire! Qui aurait imaginé, à l'époque, que nous serions aujourd'hui le premier parti d'opposition de ce pays? Voilà pourquoi ceux qui nous méprisent ou nous haïssent ne nous font ni chaud ni froid. Ils verront, encore une fois, le 14 octobre... »
Le 14 octobre est la date des élections bavaroises. Il y a longtemps qu'un scrutin régional n'avait suscité tant de fébrilité en Allemagne. Semaine après semaine, la très conservatrice Union chrétienne-sociale (CSU) s'enfonce un peu plus dans les sondages. Avant l'été, elle était encore créditée d'un peu plus de 40 % des voix. Depuis, elle plafonne à 35 %-36 %. Loin, très loin des 47,7 % qu'elle avait obtenus en 2013. Pour la deuxième fois seulement depuis 1962, les conservateurs s'apprêtent à perdre leur majorité absolue en sièges au Maximilianeum, cet imposant palais dont le roi Maximilien II de Bavière entreprit la construction au coeur de Munich en 1857, et qui abrite, depuis 1949, le Parlement régional. Pour la première fois, surtout, l'extrême droite est assurée d'y faire son entrée. A une semaine du scrutin : l'AfD oscille entre 12 % et 14 % des voix. Aux régionales de 2013, le parti, qui n'avait que quelques mois d'existence, n'avait même pas présenté de candidat...
Un lourd symbole
L'extrême droite au Parlement régional : en Bavière, plus qu'ailleurs, le symbole est lourd. Ici, tout le monde garde en mémoire la fameuse phrase de Franz-Josef Strauss (1915-1988), alors ministre-président de Bavière, qui, au milieu des années 1980, avait affirmé : « Il n'y a pas de place pour un parti démocratique à la droite de la CSU. » La phrase était alors dirigée contre les Republikaner, une petite formation qui tentait de tailler des croupières à la CSU sur sa droite et à qui il ne manqua que 0,1 point, en 1986, pour franchir le seuil des 5 % nécessaires à l'entrée du Parlement régional. Depuis, l'extrême droite n'y a jamais compté le moindre élu. Avec l'entrée prochaine de l'AfD au Maximilianeum, toute cette stratégie d'endiguement définie par Franz-Josef Strauss s'apprête à voler en éclats. De ce point de vue, l'émergence de l'AfD est d'abord la conséquence de l'échec des conservateurs qui ont laissé à leur droite un espace politique vacant, que ce jeune parti est ¬parvenu à combler avec des scores qu'aucune formation comparable n'avait réussi à recueillir en Allemagne, depuis la fin de la ¬seconde guerre mondiale.
Cette percée est surtout un véritable séisme, tant l'AfD est parvenu et c'est sans doute sa principale réussite, au-delà de ses scores électoraux à polariser le débat politique national, comme l'avait d'ailleurs prophétisé Bernd Baumann, premier député du parti d'extrême droite à monter à la tribune, le 24 octobre 2017, jour de la séance inaugurale du nouveau Bundestag, élu un mois plus tôt : « Le peuple a décidé, et une nouvelle ère commence. A partir de maintenant, on va parler ici différemment de certains thèmes, comme l'euro, l'immigration galopante, l'ouverture des frontières et la criminalité de plus en plus violente dans nos rues. »
L'histoire de l'AfD n'est pas seulement celle d'une fulgurante ascension. C'est aussi celle d'une profonde mutation. Fondé le 6 février 2013 par une vingtaine d'économistes et d'essayistes, passés pour beaucoup par l'Union chrétienne-démocrate (CDU) ou le Parti libéral-démocrate (FDP), le parti a, au départ, un objectif unique : la sortie de l'Allemagne de la zone euro et le retour au deutschemark à l'horizon 2020. Son nom se veut d'ailleurs une réponse directe à Angela Merkel qui, le 5 mai 2010, avait déclaré au Bundestag qu'il n'y avait « pas d'alternative au plan d'aide à la Grèce pour préserver la stabilité de la zone euro . L'homme fort de l'AfD s'appelle alors Bernd Lucke, professeur de macroéconomie à l'université de Hambourg, ancien de la CDU. En septembre 2013, c'est lui qui conduit la première campagne du nouveau parti aux élections législatives. Avec 4,7 % des voix, il rate de peu son entrée au Bundestag.
De ce « parti des professeurs », comme la presse l'a surnommé à l'époque, il ne reste plus grand-chose aujourd'hui. La première rupture a lieu en juillet 2015, au congrès d'Essen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), avec la mise en minorité de Bernd Lucke il quittera le parti quelques semaines plus tard et la prise de pouvoir de Frauke Petry. Avec cette chimiste née en Saxe en 1975, quand cette région se trouvait encore en République démocratique allemande (RDA), l'AfD change de centre de gravité idéologique.
Femme de pasteur et mère de trois enfants, Frauke Petry ne place plus la sortie de l'euro au premier plan de ses revendications. Désormais, l'accent porte sur la dénonciation du « folklore de l'intégration » et sur le combat contre l'islam, « une religion qui nous est étrangère et qui est contraire à notre Loi fondamentale », selon l'expression de Frauke Petry, qui place au coeur de son programme l'organisation de « référendums sur la construction de mosquées . En cette année 2015, marquée par l'entrée d'un million de demandeurs d'asile en Allemagne, la priorité du parti devient la lutte contre « l'immigration de masse », le « chaos de l'asile ... La violence des attaques contre la politique d'accueil de la chancelière, symbolisée par la formule « Wir schaffen das » (« Nous y arriverons ») prononcée la première fois le 31 août 2015, bouscule un premier tabou dans une culture politique du compromis permanent.
Une deuxième rupture se produit en avril 2017, lors d'un nouveau congrès organisé à Cologne (Rhénanie-du-Nord Westphalie). Cette fois, c'est Frauke Petry qui va être mise sur la touche. A cinq mois des élections législatives, la présidente de l'AfD s'inquiète de l'image de son parti, qui accuse un trou d'air dans les sondages, tandis que des responsables aux opinions très radicales y prennent une place grandissante. C'est le cas de Björn Höcke, le patron de la fédération AfD de Thuringe, l'un des Länder de l'ex-RDA où le parti est le mieux implanté. Deux ans plus tôt, cet ancien professeur d'histoire et d'éducation physique passé par l'organisation de jeunesse de la CDU, la Junge Union, était l'un de ses principaux alliés pour renverser Bernd Lucke et lui permettre de s'imposer à la tête du parti.
Le tabou de l'après-guerre
Le personnage, lié au Mouvement identitaire autrichien et à l'éditeur d'extrême droite Götz Kubitschek, est devenu encombrant. En janvier 2017, à Dresde (Saxe), il a prononcé un discours retentissant. « Jusqu'à ce jour, notre état d'esprit est celui d'un peuple vaincu, a-t-il déclaré. Nous, Allemands, sommes le seul peuple au monde à avoir planté au coeur de sa capitale un monument de la honte » - référence au Mémorial aux victimes de la Shoah, inauguré en 2005 à Berlin. « Il ne nous faut rien de moins qu'un virage à 180 degrés de notre politique de mémoire », ajoute Björn Höcke, avant de réclamer « une vision positive de notre histoire », afin que le peuple allemand échappe à l' « autodissolution » et puisse pleurer « ses victimes » de la seconde guerre mondiale.
Le tabou majeur de l'après-guerre vient de tomber. Ce discours provoque une réelle indignation. « L'AfD montre avec ces mots des plus antisémites et inhumains son vrai visage (...). Je n'aurais jamais cru possibles de telles déclarations de la part d'un politique allemand, soixante-dix ans après l'Holocauste », dénonce ainsi le président du Conseil central des juifs d'Allemagne, Josef Schuster. Le SPD évoque un « langage digne du NSDAP », le Parti national-socialiste des travailleurs allemands d'Adolphe Hitler.
Pour la présidente de l'AfD Frauke Petry, c'en est trop. Convaincue que la baisse enregistrée par son parti est la conséquence de ces déclarations provocatrices, elle lance une procédure d'exclusion contre son ancien allié et propose de réfléchir à une « option réaliste » pour accéder au pouvoir en 2021. Elle échoue sur les deux tableaux. Humiliée, la présidente de l'AfD quitte le congrès de Cologne avant la fin. Absente pendant quasiment toute la campagne durant laquelle elle donne naissance à son quatrième enfant , elle claquera la porte du parti au lendemain de son élection au Bundestag.
Avec la fin de l'ère Petry, l'AfD entre dans une troisième phase de sa jeune histoire. Fort de ses 92 députés au Bundestag, le parti est devenu la première force d'opposition du pays, puisque les deux premiers partis (CDU et SPD) se sont résignés à former une grande coalition. Avant le scrutin, certains observateurs avaient imaginé que l'AfD, en faisant son entrée dans l'arène parlementaire, se normaliserait, voire s'assagirait. Dès le soir des élections, ils comprennent qu'il n'en sera rien. En ce dimanche 24 septembre 2017, dans une boîte de nuit d'Alexanderplatz, dans l'ex- Berlin-Est, l'AfD fête sa victoire : 12,6 % des voix, plus que ne l'avaient prédit les sondages. « Nous allons changer ce pays, faire la chasse à Mme Merkel, et récupérer notre pays » , promet ce soir-là Alexander Gauland, l'une des deux têtes de liste de l'AfD, aux côtés de l'état-major du parti et face à quelques dizaines de militants venus célébrer l'événement.
Né en 1941 à Chemnitz (Saxe), Alexander Gauland est un avocat à la retraite. Visage imperturbable et éternel veste en tweed vert sombre, il est le seul des dirigeants fondateurs de 2013 à être encore présent. Allié de Frauke Petry au moment de pousser Bernd Lucke vers la sortie en 2015, il fut le principal artisan de la chute de celle-ci deux ans plus tard, n'hésitant pas à sceller un pacte avec les amis de Björn Höcke et les fédérations de l'ex-RDA aux positions plus radicales que celles de l'Ouest, pour s'emparer du pouvoir. Depuis, cet ancien militant de la CDU, dont il fut membre pendant près de trente ans, est devenu l'homme fort d'Alternative pour ¬l'Allemagne, cumulant les fonctions stratégiques de coprésident du groupe parlementaire et de coprésident du parti.
Provocation permanente
Des 92 députés de l'AfD, Alexander Gauland est incontestablement le plus capé. Ancien chef de cabinet à la mairie de Francfort dans les années 1970, secrétaire d'Etat dans le gouvernement régional de la Hesse au milieu des années 1980, cet homme cultivé, auteur de plusieurs essais sur la pensée conservatrice, passionné par l'Allemagne impériale du XIXe siècle, s'est rendu incontournable. Il donne un nombre incalculable d'interviews dans les journaux et à la télévision au point de s'imposer, à partir de 2017, comme la voix principale de l'AfD.
Dans ce rôle, Alexander Gauland a choisi son registre, celui de la provocation permanente. Un mois avant les élections de 2017, il s'en prend à Aydan Özoguz, la secrétaire d'Etat (SPD) à l'intégration, estimant qu'il faut la « jeter » en Anatolie, utilisant le verbe entsorgen, d'habitude employé pour parler des ordures... Huit jours avant le scrutin, ¬invité par la fédération de Thuringe, il récidive, expliquant que, « si les Français ont le droit d'être fiers de Napoléon et les Anglais de Churchill, il n'y a pas de raison que nous ne puissions pas être fiers des performances des soldats allemands durant la seconde guerre mondiale .
Depuis son élection à la coprésidence de l'AfD en décembre 2017, au congrès de Hanovre (Basse-Saxe), Alexander Gauland n'a pas tempéré son discours. En juin, encore en Thuringe, mais cette fois devant la Junge Alternative, l'organisation de jeunesse de l'AfD, il précise sa vision de l'histoire, affirmant que « Hitler et les nazis ne sont qu'une fiente d'oiseau à l'échelle de plus de mille ans d'histoire glorieuse » . Plus encore que ses précédentes déclarations, celle-ci suscite un émoi considérable. Plusieurs associations portent plainte contre lui pour « appel à la haine » .
Au sein même de l'AfD, certains en particulier des élus des Länder de l'Ouest se montrent agacés, redoutant que les propos de leur président nuisent à l'image du parti. Quelques jours plus tard, dans un meeting organisé à Nuremberg par la fédération AfD de Bavière, un Land où le parti mise sur une rhétorique plus lisse dans l'espoir de séduire les électeurs conservateurs déçus par la CSU, Alexander Gauland « regrette » mollement ses propos, sans les remettre en question sur le fond, concédant qu'ils n'étaient « politiquement pas très malins ...
En cinq ans, la mue de l'AfD a été spectaculaire. « Aujourd'hui, l'AfD n'est plus le parti libéral qu'il était au moment de sa fondation en 2013, ni même un parti conservateur. C'est un parti réactionnaire, dont une part non négligeable des membres est farouchement nationaliste. C'est le parti de la xénophobie assumée, rejetant le "système". Ses principaux dirigeants encouragent la subversion », résume Franziska Schreiber, ancienne responsable de la Junge Alternative et auteure d'un récent témoignage (Inside AfD, Europa Verlag, 2018, non traduit) sur ses années de militantisme à l'AfD, qu'elle a quitté avant les élections législatives de 2017, en désaccord avec la ligne de plus en plus extrême de sa direction.
Comparé aux autres formations politiques allemandes, l'AfD demeure un parti de taille modeste, aux effectifs limités : à peine 30 000 adhérents revendiqués, quand la CDU ou le SPD en affichent respectivement 425 000 et 450 000; 157 députés régionaux sur 1 821; 92 députés au Bundestag sur un total de 709. Son influence, toutefois, s'étend bien au-delà de ses maigres cohortes. A Deggendorf, par exemple, petite ville des bords du Danube, dans l'est de la Bavière, le parti a fait l'un de ses meilleurs scores de toute l'ex-Allemagne de l'Ouest aux législatives de 2017 (19,2 %), alors qu'il n'y comptait qu'une petite cinquantaine d'adhérents, soit onze fois moins que la CSU, qui a recueilli, elle, 40,6 % des voix.
« Notre capacité de mobilisation est considérable si on la rapporte à la réalité de nos forces militantes, explique Katrin Ebner-Steiner, candidate locale et figure montante de l'AfD dans la région. Cela est notamment dû à notre très forte présence sur les réseaux ¬sociaux. Notre impact en est surmultiplié », explique cette experte-comptable de 40 ans qui, comme la plupart des responsables du parti, veille scrupuleusement à alimenter sa page Facebook.
Le contraste avec les autres partis allemands est, de ce point de vue, saisissant. Cette stratégie de communication s'apparente à celle de l' « alt-right » américaine et aux méthodes de l'ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, que des dirigeants de l'AfD ont d'ailleurs consulté au printemps.Au Bundestag, une équipe d'une quinzaine de collaborateurs est chargée d'alimenter en permanence les réseaux sociaux en vidéos montrant des extraits d'interventions de députés du parti dans l'hémicycle, mais aussi de repérer les faits divers susceptibles de conforter le discours de l'AfD. Dernier exemple en date : un clip d'une quarantaine de secondes, montrant trois hommes en sang sur un trottoir de Ravensburg (Bade-Wurtemberg), entourés de passants apeurés, avec ce commentaire : « A Ravensburg, un prétendu réfugié a blessé avec un couteau trois personnes, dont l'une grièvement. L'homme a pu être interpellé. L'insécurité en Allemagne est de plus en plus inquiétante. » Trois jours après avoir été postée sur la page Facebook d'Alice Weidel, la coprésidente du groupe AfD du Bundestag, la vidéo avait déjà été visionnée plus de 230 000 fois...
« Merkel doit dégager »
Les exemples de ce type sont légion, presque quotidiens. C'est là, sans doute, l'une des réussites les plus notables de l'AfD en ces douze derniers mois : avoir perfectionné son efficacité en tant que « mouvement » établi au cœur des institutions, tout en réussissant à mobiliser des centaines, voire des milliers de partisans, avec les mêmes slogans, de « Wir sind das Volk » (« Nous sommes le peuple ») à « Merkel muss weg » (« Merkel doit dégager »), le plus souvent scandés dans la rue. L'AfD est un parti à deux visages. Présent au Bundestag et dans quatorze des seize parlements régionaux, le parti s'est institutionnalisé. Il a hérité de trois présidences de commissions parlementaires, dont deux stratégiques (celles des lois et du budget), mais aussi de sièges dans plusieurs conseils d'administration, du Mémorial de la Shoah à Berlin aux Archives de la Stasi, l'ancienne police politique de RDA, en passant par plusieurs chaînes de radio et de télévision régionales. Des postes où les représentants du parti ont jusque-là pris soin d'éviter de créer la polémique, conscients d'être surveillés de près.
Ce souci de « respectabilité » et de « professionnalisme » n'est cependant qu'une des deux faces de la nouvelle stratégie poursuivie par l'AfD. Selon un document interne de sa direction, daté de 2017 et récemment publié par le Spiegel, l'autre objectif est bien de « planifier minutieusement des provocations » , étant entendu que, « plus les vieux partis réagissent injustement et nerveusement, mieux c'est [pour l'AfD] . De ce point de vue, les récents événements de Chemnitz ont été l'occasion d'illustrer l'efficacité de cette stratégie.
Défilé avec les islamophobes de Pegida
Le 1er septembre, une semaine après la mort de Daniel Hillig, un Allemand de 35 ans poignardé lors d'une altercation avec des demandeurs d'asile, l'AfD organisait ainsi une manifestation conjointe avec le mouvement islamophobe Pegida, fondé dans la ville voisine de Dresde, fin 2014, outrepassant une autre ligne rouge. La direction de l'AfD avait en effet interdit à ses membres de participer à des actions communes avec Pegida en 2016. Sous la pression des fédérations d'ex-RDA, Alexander Gauland a indiqué, au début de 2018, être favorable à une remise en cause de cette interdiction, estimant qu'un « rapprochement était désormais possible . Six mois plus tard, à Chemnitz, Björn Höcke et Lutz Bachmann, le fondateur de Pegida, défilent côte à côte, entourés de quelques élus et représentants locaux de l'AfD, en tête d'un cortège auxquels se sont mêlés des néonazis et des hooligans.
Depuis ces événements, Alexander Gauland continue de présenter ce même double visage. Le 4 septembre, il appelle à une « révolution pacifique » contre le « système politique . Le 1er octobre, il présente son parti comme assez mûr pour gouverner, affirmant envisager la possibilité d'une « coalition avec une CDU revenue à la raison . Ce double discours, destiné aux différents électorats de l'AfD, des plus conservateurs aux plus radicaux, témoigne surtout d'un objectif qui, s'il ne paraît pas réalisable à court terme en Bavière, où la CSU a exclu toute idée de coalition avec l'AfD, pourrait provoquer de vifs débats dans les mois prochains au sein de la droite conservatrice des anciens Länder de l'Est, notamment en Saxe, dans le Brandebourg et en Thuringe, où des élections régionales sont prévues en septembre et octobre 2019, et où l'AfD est déjà crédité de plus de 20 % des voix.
Ces intentions de vote semblent faire réfléchir des responsables conservateurs locaux sur leurs stratégies d'alliance. Christian Hartmann, à peine élu président du groupe CDU au Parlement régional de Saxe, le 25 septembre, a ainsi fait savoir qu'il n'excluait pas une coalition avec l'AfD. L'hypothèse a certes aussitôt été condamnée au plus haut niveau par Angela Merkel, mais aucun responsable de la CDU n'avait osé la formuler jusque-là. Un signe, parmi d'autres, de l'affaiblissement politique d'une chancelière qui, après treize ans au pouvoir, semble assister, impuissante, à l'enracinement d'une extrême droite conquérante.
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Qu'est-ce que l'AfD, le parti d'extrême droite qui perce en Allemagne?
Article publié par Stanislas Poyet dans Le Figaro le 2 septembre 2019 à 18:51, mis à jour le 30 octobre 2019 à 11:52
FOCUS - Alternative für Deutschland a réalisé des scores importants lors des élections régionales du 1er septembre dans le Brandebourg et la Saxe, deux länder de l'ex-République communiste est-allemande. Depuis sa création en 2013, le parti s'est implanté durablement à l'extrême droite de l'échiquier politique.
L'AfD mobilise largement et s'implante durablement en Allemagne. ANDREAS GEBERT/REUTERS
Alternative für Deutschland (Alternative pour l'Allemagne) ou AfD a une fois de plus percé aux élections régionales allemandes. Dimanche 1er septembre, le parti d'extrême droite est arrivé en deuxième position dans deux länder de l'est anciennement communistes, avec 27,5% des voix dans la Saxe et 22,5% des voix dans le Brandebourg. Depuis 2013, le parti s'implante de plus en plus dans le paysage politique allemand, et aujourd'hui ses résultats fragilisent la coalition de la chancelière Angela Merkel.
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• D'une focale économique à une focale anti-immigration
Fondée en 2013, l'AfD est d'abord un parti libéral et anti-euro qui se caractérise par ses attaques contre l'Union européenne. Six années plus tard, ce sont principalement les thèmes de l'immigration et de la sécurité qui animent ses meetings.
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À son origine, l'AfD est un parti composé d'universitaires, d'essayistes, de hauts fonctionnaires, si bien qu'on lui affublait le sobriquet de «parti des professeurs». Parmi les têtes médiatiques de la formation, on retrouve Bernd Lucke, un économiste de l'université de Hambourg ancien de la CDU, ou encore Hans-Olaf Henkel, l'ancien président de la Fédération allemande des industries et ancien PDG de la branche Europe, Moyen-Orient et Afrique de la multinationale IBM. L'AfD construisait sa rhétorique sur le sentiment que l'Allemagne a trop payé pour les autres, notamment pour les fonds de secours de la zone euro.
Aujourd'hui, l'euro a été remplacé par l'immigration dans les diatribes de l'AfD. Au fil des ans, la frange la plus radicale du parti, die Flügel («l'aile» en allemand) a pris la tête du mouvement et a orienté sa focale sur les questions migratoires. Dès 2015, cette question devient prégnante dans l'espace médiatique allemand avec la politique d'accueil lancée par Angela Merkel. La même année, l'élection de Frauke Petry, tenante de l'aile nationale conservatrice, à la tête de la formation amorce la droitisation de l'AfD. Dans la foulée, cinq des sept députés, tous issus de l'aile libérale, quittent le parti, fragilisant les tenants de l'aile libérale. L'AfD se droitise et se rapproche du révisionnisme historique en relativisant les horreurs de la période nazie. Deux ans plus tard, Frauke Petry est elle-même dépassée par sa droite: élue au Bundestag, elle refuse de siéger avec son parti pour protester contre sa radicalisation et fini par quitter le mouvement la même année.
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La droitisation de l'AfD s'explique par la base militante du parti, foncièrement d'extrême droite et très attachée aux questions migratoires. En s'attaquant à l'Europe, l'AfD a attiré un électorat anti-immigration qui a pris du poids dans la prise de décision jusqu'à renverser la tête du parti. Reste que l‘AfD n'est pas passé d'un discours libéral anti-euro à un parti anti-immigration: pour Bénédicte Laumond, chercheuse en science politique au centre Marc Bloch à Berlin, «le nativisme était présent dans la rhétorique du mouvement dès les premiers temps, même si moins important, et aujourd'hui les tenants de l'aile libérale toujours en place - notamment dans l'ouest du pays - s'y accommodent sans peine».
• Ses succès électoraux
En six ans, l'AfD s'est imposé. En 2013, le parti manque de peu d'envoyer des députés au Parlement. En 2017, ils étaient 94 (sur 709) à prendre place dans le Bundestag et en 2019, ils envoyaient 11 des 96 eurodéputés allemands au parlement de Strasbourg.
À l'instar des partis d'extrême droite européens, l'AfD s'implante durablement et mise sur les sujets classiques de ces formations: l'immigration, la sécurité, l'Europe. Son discours séduit, les élections régionales du 1er septembre lui octroient 27,5% dans la Saxe contre 9,7% en 2014, et 22,5% contre 12,2% en 2014 dans le Brandebourg. Pour Bénédicte Laumond, la force de l'AfD est d'avoir convaincu les abstentionnistes. «Contrairement à ce qu'on peut souvent entendre, explique-t-elle, le vote AfD est qualitatif, il reflète une adhésion aux propositions avancées».
Pour mobiliser, l'AfD a su s'appuyer sur les organisations et associations d'extrême droite, très nombreuses en Allemagne. Les services de renseignement allemands sur les groupes radicaux estiment ainsi à 25.000 le nombre d'individus affiliés à des groupes d'extrême droite (contre 1500 à 2000 selon les travaux du chercheur Jean-Yves Camus). Cette population, structurée au sein d'associations, de groupes, de lieux de sociabilité constitue une base électorale importante et organisée qui se mobilise désormais en votant AfD.
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• L'ex-RDA, bastion de l'AfD
Dans les länder de l'est de l'Allemagne, l'AfD a réussi à s'implanter en surfant sur le mécontentement général de ces régions qui n'ont intégré la République fédérale qu'à la réunification. «Les variations locales sont nombreuses, prévient la chercheuse Bénédicte Laumond, il ne faut pas considérer l'ancienne RDA comme un bloc monolithique». Pour cause, certains pôles urbains votent AfD, quand certains espaces ruraux leur accordent leurs suffrages. Le schéma souvent utilisés qui alloue des votes extrêmes aux territoires périphériques et des votes centristes aux territoires urbains ne s'appliquent pas ici.
Reste que l'AfD perce dans les länder de l'ex-RDA. Le parti a réussi à canaliser les désillusions de la démocratie qui s'est imposée en 1990. Un sondage diffusé dimanche par la première chaîne de ARD avance ainsi que plus d'un électeur sur deux (54% en Saxe, 51% dans le Brandebourg) juge que les habitants de l'Est sont traités comme des «citoyens de seconde zone». L'AfD a surfé sur cette idée en reprenant des slogans de la réunification qu'elle a adaptée. «La révolution volée», n'est plus celle que promettait le communisme, mais celle que promet la démocratie.
La peur du déclassement joue un rôle important dans le succès de l'AfD. Bénédicte Laumond précise, «ce n'est pas le déclassement, mais la perception du déclassement. Les länder de l'Est restent bien portants, la Saxe est bien plus riche que la Picardie par exemple. Pourtant, elle vote massivement AfD».
D'après un sondage Infratest dimap, 77% des électeurs de l'AfD considèrent lors des élections pour le Land de Brandebourg du 1er septembre 2019 que "les Allemands de l'Est sont des citoyens de seconde classe". Source : site ARD.
• L'AfD aujourd'hui
L'AfD compte 94 députés au Bundestag (sur 709) et 11 eurodéputés sur les 96 de la délégation allemande. Le parti compte 35.000 membres en 2019. Deux portes-paroles mènent la formation dans son orientation très droitière: Alexander Gauland, 76 ans et ancien cadre de la CDU aujourd'hui député au Bundestag, et Jörg Meuthen, un économiste libéral, professeur à l'Académie de Kehl, et eurodéputé depuis 2017.
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Alexander Gauland s'est illustré par ses saillis racistes, à propos du footballeur allemand d'origine ghanéenne, Jérôme Boateng, il avait déclaré «les gens l'appréciaient en tant que footballeur mais qu'ils ne veulent pas l'avoir comme voisin». Pendant la campagne de 2017 pour les élections fédérales, il avait défendu que les Allemands avaient autant le droit d'être «fiers des performances des soldats allemands durant les deux guerres mondiales», que les Anglais d'être fiers de Winston Churchill ou les Français de Napoléon Ier.
Jörg Meuthen, économiste, a d'abord été présenté comme un tenant de l'aile libérale du parti, mais il ne s'est jamais désolidarisé des éléments les plus radicaux. Il n'est pas a proprement parlé un eurosceptique, il défend que la «bonne idée de l'unification européenne a été pervertie par une mauvaise construction de l'union monétaire». Tout comme Alexander Gauland, il critique sévèrement la politique d'accueil d'Angela Merkel et il a multiplié les remarques sur l'invasion migratoire, et la nécessité de «reconquérir» le pays.
Dans le Brandebourg, la tête de liste, Andreas Kalbitz, est un personnage sulfureux: la presse a révélé qu'il avait participé à des rassemblements néonazis à la fin des années 2000. En Saxe, c'est Jörg Urban qui a mené la liste AfD, il a œuvré pour un rapprochement avec le mouvement islamophobe Pegida.
Alexander Gauland, à gauche, et Jörg Meuthen à droite. TOBIAS SCHWARZ/AFP
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Les deux visages du radicalisme de droite en Allemagne
Article publié par Bénédicte Laumond dans AOC, quotidien d'auteurs en ligne, le 19 novembre 2019. Politiste, Chercheuse post-doctorante au Centre Marc Bloch, Berlin
Attentat de Halle-sur-Saale, nouveau succès de l'AfD lors des récentes élections régionales de Thuringe : malgré la mise en place de grands programmes de prévention, l'Allemagne n'est pas parvenue à endiguer la montée en puissance de l'extrême droite, ni sur le plan culturel, ni sur le plan politique. Si toute coalition incluant l'AfD est pour l'instant exclue, la sphère politique n'a pas mis en place de barrières aussi étanches aux idées de ce parti que celles érigées dans la sphère publique. Une position de plus en plus intenable qui demande clarification.
La récente actualité allemande est venue nous rappeler que les démocraties européennes doivent faire face à deux expressions du radicalisme de droite. D'une part, des mouvements non-partisans qui n'ont pas pour objectif d'obtenir de mandats électoraux mais qui présentent une propension importante à la violence comme l'a montré l'attentat dans la ville de Halle ou au printemps dernier le meurtre du chrétien-démocrate Walter Lübcke commis par des militants ou sympathisants néo-nazis. D'autre part, la percée du parti radical de droite Alternative für Deutschland (AfD) qui accepte les procédures démocratiques et connait des résultats électoraux lui permettant d'être représenté dans les parlements fédéraux et régionaux mais qui est toujours perçu par une majorité de la population comme dangereux pour la démocratie (en 2019, 78% des Allemands estiment ainsi que l'AfD représente un danger pour la démocratie allemande).
Ces mouvements, qui présentent des degrés de radicalité divers, appartiennent à une famille politique, la droite radicale, unie par un socle idéologique reposant sur une conception ethnocentriste de la nation articulée à une critique de la démocratie libérale, et sur l'approbation de politiques autoritaires conduites par un chef. Partant, nous sommes invités à nous interroger sur les moyens dont disposent les gouvernements afin de répondre de manière différenciée à ce phénomène.
La violence de l'extrême droite
Comme je le présentais dans une récente tribune, le radicalisme de droite en Allemagne se caractérise par l'importance historique des mouvements extrémistes violents et non-partisans qui sont aujourd'hui estimés à 24 000 personnes dont 12 700 avec un potentiel violent ; parmi eux, près de 500 activistes sont activement recherchés par la police. Par contraste, cette sous-culture d'extrême droite est évaluée en France à 3000 membres environ.
Le lecteur pourra s'étonner de la précision des chiffres nous venant d'Allemagne. Pour l'expliquer, il faut préciser que l'État allemand s'est, depuis 1949, muni d'une politique publique visant à lutter contre l'extrémisme politique considéré comme dangereux pour l'ordre démocratique. Dans ce cadre a notamment été développé un système statistique dénombrant le nombre d'extrémistes de droite ainsi que le nombre de délits et de crimes commis chaque année au nom de cette idéologie. Par ailleurs, les services de renseignement intérieur produisent un rapport annuel identifiant les mouvements considérés comme extrémistes qui fait l'objet de discussions fournies au Bundestag comme dans la presse allemande.
Jusqu'au début des années 1990, la politique publique contre l'extrémisme ciblait principalement l'extrémisme de gauche. L'éruption de violences d'extrême droite qui a touché l'Allemagne après la réunification a révélé les difficultés des acteurs étatiques à identifier et à endiguer un phénomène jusque-là largement ignoré. Ces difficultés étaient d'autant plus marquées dans l'est de l'Allemagne que la population s'émancipait de quatre décennies d'un régime autoritaire et devait faire face à un affaiblissement de ses institutions, à un bouleversement culturel provoqué par la disparition de la RDA et à un changement radical de ses structures économiques.
Pourtant, partout en Allemagne, des initiatives contre la violence extrémiste ont émergé au cours des années 1990 et se perpétuent jusqu'à ce jour. Celles-ci ont finalement été soutenues par l'exécutif qui délègue désormais depuis deux décennies la tache de la prévention contre le radicalisme de droite à ces initiatives non-gouvernementales. Depuis le début des années 2000, l'État allemand investit largement dans des projets de prévention conçus et mis en œuvre par des associations de la société civile qui adoptent des formats variés : travail politique, projets culturels, appui aux acteurs locaux pour faire face à des mouvements extrémistes, travail social, accompagnement dans le désengagement...
Les dernières violences commises par l'extrême droite ont fait resurgir dans le débat allemand le traumatisme qu'ont constitué pour de nombreux Allemands les années 1990 dans différents Länder. Depuis plusieurs semaines, le mot clé Baseballschlaegerjahre (les années batte de base-ball) se répand en effet sur le Twitter allemand : il rend visible des récits relatant l'expérience de victimes de l'extrémisme de droite et de la violence de ses militants. L'ensemble de ces témoignages, largement relayés dans la presse allemande, relatent des agressions physiques ou des intimidations et montrent comment des espaces urbains et ruraux ont été et demeurent parfois dominés par des militants et sympathisants d'extrême droite. À cet égard, il faut rappeler que les associations allemandes dénombrent aujourd'hui au moins 169 victimes de l'extrême droite depuis 1990.
Ce nouveau type de libération de la parole, en plus d'éclairer une face sombre du quotidien de nombreux Allemands peu après la réunification, permet de mettre en avant le manque de réponses des acteurs étatiques d'alors – des policiers jusqu'aux enseignants. Ces récits rappellent par ailleurs que ces décennies ont marqué le développement d'une culture radicale de droite, souvent violente, qui subsiste. En ce sens, le mouvement civique observé actuellement vise à nouveau à pousser la société allemande, et avec elle ses élus, à réellement travailler sur ce qu'ont représenté les années 1990 pour l'ancrage de structures extrémistes dans de nombreux territoires. Dans un pays marqué par le travail, dans les décennies d'après-guerre, de gestion du passé (Vergangenheitsbewältigung), l'objectif politique de cette mobilisation est précisément de revendiquer un soutien plus massif à la prévention de l'idéologie radicale de droite.
La promesse faite par le gouvernement suite à l'attentat d'Halle, d'engager un minimum de 115 millions d'euros par an pour la lutte contre l'extrémisme de droite, ne satisfait pas les associations qui réclament des investissements atteignant le milliard d'euros. Enfin, le gouvernement s'est engagé sur une série de mesures répressives, allant du durcissement du contrôle du permis d'arme à la hausse des effectifs de la police criminelle et des sections du service de renseignement intérieur en charge de la répression de l'extrémisme de droite. De la même manière, des cellules sont actuellement créées au sein des services de sécurité afin d'identifier les potentiels agents extrémistes. Dans un contexte marqué par l'ancrage territorial d'une sous-culture d'extrême droite, ce plan est critiqué pour son approche largement répressive, échouant selon les acteurs de la prévention à endiguer la diffusion de l'idéologie et donc à éviter les passages à l'acte.
La (ré)émergence d'un parti radical de droite
Contrairement au cas français, le système partisan allemand s'est longtemps distingué par l'absence de partis radicaux de droite significatifs. On se souvient de l'émergence dans les années 1980 puis de la disparition dans les années 1990 du parti Die Republikaner qui avait réussi à s'établir dans des Länder de l'ouest de l'Allemagne ou du très extrémiste Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) qui a réussi, lors de la réunification, à s'établir à l'est. Néanmoins, aucun de ces deux partis n'a réussi à réellement compter dans la compétition politique. En cela, l'Allemagne faisait figure d'exception européenne, avec d'autres pays comme l'Irlande ou le Portugal.
Lorsque l'AfD naît en 2013, le parti se présente avant tout comme eurosceptique dans un contexte économique marqué par la crise des dettes souveraines et de la zone euro. Rapidement, la programmatique de l'AfD va s'orienter vers les traditionnelles thématiques de la droite radicale européenne et défendre de manière plus offensive une politique migratoire restrictive. Au bénéfice de la décision de la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel d'accueillir une partie des réfugiés arrivés sur le territoire européen en 2015, l'AfD profite alors du recentrage du parti chrétien-démocrate (CDU) sur l'échiquier politique lorsqu'il opte pour une position libérale sur les questions migratoires laissant un espace politique à sa droite. Depuis, l'AfD a montré sa capacité à s'imposer comme un compétiteur crédible face aux partis de gouvernement en réussissant à entrer dans tous les parlements allemands.
Pour la troisième fois de l'année avaient lieu des élections régionales le 27 octobre dernier en Allemagne. Les électeurs du Land de Thuringe se rendaient aux urnes. Il s'agissait d'un scrutin intéressant : non seulement l'AfD est populaire dans cette zone, mais la section régionale de ce parti présente en outre la particularité d'être dominée par Björn Höcke, un élu qui se fait régulièrement remarquer pour sa proximité avec le national-socialisme. Pourtant, la liste AfD a réussi à rassembler 23,5% des suffrages exprimés en mobilisant les abstentionnistes et en faisant des scores particulièrement élevés dans les zones dans lesquelles le NPD, que l'exécutif a tenté – sans succès – d'interdire, était autrefois populaire.
On a vu plus haut que la sous-culture d'extrême droite est parvenue à se structurer ces dernières décennies malgré la mise en place de larges programmes de prévention. Les récents succès de l'AfD viennent également questionner les réponses apportées au radicalisme de droite, mais cette fois au prisme de la compétition politique. Alors que se posait jusqu'à récemment seulement la question des réponses aux violences d'extrême droite, les partis politiques allemands doivent désormais aussi faire face à ce nouveau parti et endiguer ses succès électoraux.
Des études menées sur l'AfD montrent que le vote pour ce parti est un vote de conviction et non seulement de protestation. Cela vient compliquer la formulation de stratégies pour les compétiteurs politiques qui sont contraints de penser des réponses qui se confrontent à l'idéologie radicale de droite et non seulement à la régulation de la violence de groupes extrémistes non-partisans.
Pour le moment, l'AfD reste, pour tous les partis politiques, infréquentable. Pourtant, ces derniers mois, en Thuringe comme en Saxe, certains représentants politiques issus du parti chrétien-démocrate, ont montré des signes d'ouverture à la discussion. Toujours recadrés par les cadres fédéraux de leur parti, les alliances locales semblent néanmoins envisageables à moyen-terme. En cela, elles rappelleraient les coopérations engagées par la droite conservatrice avec le Front National en France dans les années 1990 ou la récente coalition des chrétiens-démocrates autrichiens avec le parti de droite radicale Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ).
Enfin, si l'AfD n'est pas en position de gouverner ni à l'échelon fédéral ni dans les Länder pour le moment, des enquêtes comme celle menée récemment par M. Zobel montrent déjà la capacité de ce parti comme de ses homologues européens à influencer la mise à l'agenda des débats gouvernementaux et l'orientation de certaines politiques comme l'immigration vers une législation plus restrictive.
Dès lors, quel est l'enjeu auquel le gouvernement allemand doit faire face ? On constate tout d'abord que les partis de gouvernement, en particulier les chrétiens-démocrates, doivent clarifier leur positionnement vis-à-vis de l'AfD. Ceci passe tout d'abord par un choix entre isolation de l'AfD dans le jeu politique ou coalition avec celui-ci. Dans le cas où la stratégie de l'isolation serait choisie, ce qui est probable au regard de la politique historique contre l'extrémisme en Allemagne, la reprise à son compte d'éléments programmatiques de l'AfD par le parti chrétien-démocrate, comme cela a été le cas ces dernières années, interroge. La lutte contre l'extrémisme de droite qui se déploie dans la sphère des politiques publiques, voire son renforcement annoncé, semble difficilement pouvoir atteindre ses objectifs si les acteurs gouvernementaux ne mènent pas en même temps une lutte, cette fois dans l'arène politique, contre l'expression partisane du radicalisme de droite.
Voilà donc la situation paradoxale dans laquelle les acteurs de gouvernement allemands se situent. Elle met en avant la difficile articulation des différentes réponses qui sont apportées, en Allemagne et plus largement en Europe, à l'ensemble des mouvements radicaux de droite.
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L'AfD signe une victoire à la Pyrrhus
Article publié par Ninon Renaud dans Les Echos, mardi 11 février 2020.
En piégeant les partis de la droite traditionnelle en Thuringe, le leader de l'aile la plus radicale du parti d'extrême droite, Björn Höcke, a conforté son pouvoir au sein de l'AfD. Mais il risque de la rendre encore plus sulfureuse.
La mise sens dessus dessous de la CDU est la victoire incontestable du leader du parti d'extrême droite en Thuringe, Björn Höcke. « Nous avons fait l'histoire », s'est-il réjoui mercredi dernier, dans la foulée de l'élection du libéral Thomas Kemmerich à la tête du Land avec les voix de l'AfD et de la CDU réunies. Cet ancien professeur d'histoire et d'éducation physique de quarante-sept ans, originaire de Rhénanie du Nord-Westphalie et père de quatre enfants, menace de poursuivre son œuvre déstabilisatrice.
Faiseur de roi
Face au refus de la droite traditionnelle d'apporter son soutien à Bodo Ramelow et pour que le Premier ministre sortant issu de l'extrême gauche (Die Linke) obtienne la majorité absolue qu'il réclame pour reprendre les commandes de la Thuringe, l'homme au regard bleu glace évoque ainsi le projet d'apporter à celui-là les voix de l'AfD. Le fondateur de l'Aile, mouvance la plus radicale du parti d'extrême droite, conforterait ainsi son statut de faiseur de roi et son emprise sur son propre parti.
Jusqu'à l'automne dernier, ses déclarations racistes vis-à-vis des migrants, mais aussi révisionnistes sur la nécessité d'un « virage à 180 degrés de la politique mémorielle de l'Allemagne » et sur le mémorial de l'Holocauste, qu'il considère comme « un mémorial de la honte », avaient contenu son influence. D'autant que la proximité de ses membres avec des groupuscules néonazis lui vaut d'être sous la surveillance de l'Office fédéral de protection de la Constitution.
Mais le succès électoral de Björn Höcke fin octobre et ceux de ses affiliés dans le Brandebourg et en Saxe, où l'AfD est devenue la première force politique d'opposition, ont commencé à changer la donne au sein d'un parti qui rêve d'accéder au pouvoir. « Il est complètement absurde et irréaliste de ne pas vouloir coopérer avec l'AfD sur le long terme. La base de la CDU l'a reconnu depuis longtemps », a ainsi déclaré lundi le président honoraire du parti d'extrême droite, Alexander Gauland.
Lors du congrès du parti d'extrême droite fin novembre, le renouvellement de sa direction a été l'occasion pour Björn Höcke de placer ses proches, notamment le député de Görlitz Tino Chrupalla qui a pris la succession du coprésident Alexander Gauland, et Andreas Kalbitz, leader du parti dans le Brandebourg. Alors qu'il avait maintenu ses distances vis-à-vis de cette mouvance, le porte-parole fédéral de l'AfD, Jörg Meuthen, célèbre désormais l'élection de Thomas Kemmerich comme « la première pièce du puzzle d'un tournant politique en cours en Allemagne » .
Selon Tilman Mayer, politologue à l'université de Bonn, le récent « coup d'Etat » de Björn Höcke pourrait néanmoins être une victoire à la Pyrrhus. « L'influence de l'AfD ne pourra se renforcer car l'événement va pousser les partis de la droite traditionnelle à se démarquer plus clairement de ce parti », souligne-t-il. C'est d'ailleurs ce qu'a fait Annegret Kramp-Karrenbauer lundi en soulignant que tout rapprochement avec l'AfD fait du mal à la CDU. Un signal clair à la Werte Union, l'aile la plus conservatrice de son parti qui avait pourtant salué l'élection du libéral Thomas Kemmerich.
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En Thuringe, l'AfD a su jouer des divisions entre chrétiens-démocrates
Article publié par Philippot, David dans Le Figaro, mardi 11 février 2020.
« Constructif-destructif » : cet oxymore résume la stratégie mise en place avec succès par l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) en Thuringe. « Installer quelqu'un sur le trône à Erfurt qui sera déboulonné par Berlin » , explique Götz Kubischek, mentor de la Nouvelle Droite, cité par l'hebdomadaire Der Spiegel . C'est aussi le nom du piège dans lequel la CDU de Thuringe est tombée. À son corps défendant ou de son plein gré, selon les versions. Maintenant que le scandale enfle, le personnel politique se rejette le « Schwarzer Peter » - le « pouilleux » allemand.
Le scénario d'une élection au troisième tour du libéral Thomas Kemmerich, avec les voix de l'extrême droite, de la démocratie-chrétienne et du centre, circulait déjà dans les coursives du Parlement régional d'Erfurt avant le vote de ce « mercredi noir » . Le « coup » , comme l'appelle en français la presse locale, a-t-il été fomenté par le chef régional de l'AfD, Björn Höcke, en accord avec le chef local du parti conservateur Mike Mohring ? Difficile de le prouver, mais des indices vont dans ce sens.
Le groupe CDU au Parlement de Thuringe se divise entre ceux (3 députés) qui acceptent l'idée de gouverner avec Die Linke (gauche radicale), et ceux qui privilégient une alliance avec l'extrême droite de l'AfD (18 députés). « Nous n'avons pas de preuves mais nous avons beaucoup d'indices que ce vote ne fut pas un hasard mais préparé de longue main » , estime Alexander Thumfart, professeur de sciences politiques à l'université d'Erfurt. L'ancien élu des Verts y voit « une mutinerie de cette fédération qui, sciemment, a voulu faire exploser le cours suivi à Berlin, celui d'un rapprochement entre les conservateurs et les écologistes, sur le modèle autrichien. Dans les villages, du nord et du sud de la Thuringe, il y a déjà une coopération de fait entre la CDU et l'AfD. Ensemble, ils sont pour une souveraineté nationale, pour l'industrie automobile, contre la globalisation et les Verts. Peu importent les dérapages de Björn Höcke et peu importe surtout ce que Merkel, dont ils n'ont jamais digéré la décision de laisser la porte ouverte aux réfugiés, dit ou pense ; son temps est compté. »
C'est un symptôme de la fracture Est-Ouest : Die Grünen pèse peu dans les régions de l'ancienne RDA, où les responsables CDU préfèrent s'arrimer à la force électorale de « l'Alternative » . Aux trois scrutins de l'automne, la démocratie-chrétienne a enregistré de sévères reculs (- 7,3 points en Saxe, - 7,4 points dans le Brandebourg, - 11,7 points en Thuringe) par rapport aux résultats précédents. Dans le même temps, l'AfD a doublé ou triplé ses scores. Le vice-président de la CDU en Saxe-Anhalt, où auront lieu les prochaines élections dans l'Est, a ouvert la porte à une collaboration ( « Je ne peux pas heurter de front 25 % de nos électeurs en leur disant que je ne parlerai pas avec leurs élus » ) avant d'être rappelé à l'ordre.
La ligne du « ni-ni »
Dans un Parlement éclaté en six formations, avec les extrêmes au-dessus de 50 %, la consigne du « ni AfD, ni Die Linke » venue de Berlin a rendu l'équation quasi-impossible à résoudre en Thuringe. Cette ligne allemande du « ni-ni » est incarnée par la chef démissionnaire de la CDU, et défendue par son fidèle Roland Theis : « Nous ne pouvons nous associer avec les extrémistes de gauche qui, encore aujourd'hui, se refusent à considérer la RDA comme un État de non-droit ou qui veulent un rapprochement avec la Russie de Poutine » . À l'affût d'une majorité introuvable, Mike Mohring a exploré toutes les options avant d'envisager une alliance avec ceux qu'il traitait de nazis pendant la campagne. « Avec le recul, il a surtout donné l'impression, avec ses atermoiements, qu'il lui importait de sauver son job ! » , accuse-t-on au siège du parti. L'heure des règlements de comptes a sonné. De son côté, le groupe régional CDU a envoyé une lettre de soutien au président démissionnaire Thomas Kemmerich, dont le mandat de 73 heures est du jamais-vu dans l'histoire du pays. Il a voulu reverser son salaire de président déchu à une association des victimes du stalinisme dirigée par un membre de l'AfD, avant de se rétracter.
Le parti d'extrême droite peut fêter son triomphe, quelle que soit l'issue d'un processus gelé pour cause de vacances d'hiver en Thuringe. Au sein du Parlement ou via un retour aux urnes, de nouvelles élections devront avoir lieu. Sur la place du marché d'Erfurt, au pied de la cathédrale, deux crânes rasés et tatoués, accoudés à un SUV noir, tempêtent contre « le vol de leur victoire » . « Pourquoi exclut-on de travailler avec l'AfD qui, comme les autres, a été élue démocratiquement ? , peste Frank, habillé en motard. C'est la RDA 2.0. Comme le disait Honecker, vous allez voter jusqu'à ce que le résultat nous convienne ! »
L'ancien dirigeant communiste n'a, en réalité, jamais prononcé cette phrase colportée sur les réseaux sociaux. Mais l'extrême droite se voit confortée dans son statut de martyr. Weimar n'est qu'à 20 km d'Erfurt et Björn Höcke l'historien sait comment les nazis, en partant de Thuringe, ont accédé au pouvoir : en détournant les règles démocratiques à leur profit. Le parallèle historique apparaît « exagéré » à beaucoup d'habitants. Mais l'analogie se justifie sur un point. L'AfD mûrit l'idée de voter pour Bodo Ramelow, le ministre-président sortant de Die Linke, dans l'espoir de saboter son élection et de paralyser les institutions. « Constructif-destructif » .
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L'AFD en Allemagne : une perspective historique
Les Enjeux internationaux, émission sur France Culture animée par Julie Gacon du lundi au vendredi de 6h45 à 6h55, mardi 18/02/2020
Jérôme Vaillant, professeur émérite en civilisation allemande de l'Université de Lille et directeur de la revue « Allemagne d'aujourd'hui », revient sur l'histoire de l'extrême-droite allemande depuis la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu'aux succès électoraux d'Alternative für Deutschland.
Affiche de campagne du parti AfD (Alternative for Germany) à Hambourg le 12 février dernier.• Crédits : Patrik Stollarz / - AFP
Le 5 février dernier, un tabou politique est tombé en Allemagne. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le président d'un Land, la Thuringe, a été élu grâce aux voix de l'extrême-droite, l'AFD – Alternative für Deutschland. Tous les élus de l'AFD ont fait bénéficier de leurs voix au candidat du Parti libéral-démocrate, qui a ainsi pu devancer (d'une voix), le président sortant Bodo Ramelow. L'évènement a précipité la crise politique à la CDU, la formation d'Angela Merkel, et le départ de sa présidente Annegret Kramp-Karrenbauer.
L'AFD progresse aujourd'hui aussi bien en Allemagne de l'ouest qu'en Allemagne de l'est - même si c'est à l'est qu'elle a fait ses meilleurs résultats lors des élections régionales de l'automne dernier: 23,5% dans le Brandebourg, 27,5% en Saxe.
Le site Diploweb a mis en ligne la semaine dernière un article important pour comprendre l'évolution et l'histoire de l'extrême-droite en Allemagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il est signé Jérôme Vaillant, qui est notre invité ce matin.